Par un jugement du 10 avril 2025, le Tribunal judiciaire de Paris a précisé les limites juridiques de l’upcycling lorsque le procédé implique la transformation et la réutilisation d’œuvres protégées.
Une créatrice proposait à la vente des vestes personnalisées ornées d’empiècements issus de la découpe de foulards en soie d’une célèbre maison de luxe et acquis sur le marché de la seconde main. Les vestes étaient commercialisées sur le site Internet de la créatrice, qui reproduisait la marque de la maison de luxe ainsi que des photographies des foulards parmi lesquels les clients pouvaient choisir pour personnaliser leur veste.
Estimant que ces pratiques commerciales, présentées comme relevant du « surcyclage » (ou « upcycling »)[1], portaient atteinte à ses droits, la maison de luxe a assigné la créatrice en contrefaçon de droit d’auteur et de marque ainsi qu’en concurrence déloyale et parasitisme.
Saisi de l’affaire, le Tribunal judiciaire de Paris a fait droit aux demandes de la maison de luxe. Il a en conséquence fait interdiction à la créatrice, sous astreinte, de produire et commercialiser les vestes litigieuses, ainsi que de faire usage de la marque de la maison de luxe dans le cadre de cette activité.
L’épuisement du droit d’auteur n’a pas vocation à s’appliquer en cas de reproduction sur un nouveau support
La maison de luxe soutenait que la créatrice avait violé ses droits d’auteur sur les dessins ornant ses foulards, notamment en les reproduisant sur des vestes.
Le Tribunal, après avoir reconnu l’originalité des dessins — lesquels relèvent d’œuvres graphiques protégées par le droit d’auteur — a écarté l’argument de la créatrice tiré de l’épuisement du droit de distribution, composante du droit d’auteur.
Il a rappelé que ce mécanisme, qui interdit au titulaire du droit d’auteur de s’opposer à la revente d’un exemplaire d’une œuvre mis en circulation avec son consentement[2], ne s’applique qu’à l’objet initial. Il ne saurait légitimer des actes de reproduction sur un support nouveau, à l’instar du transfert sur toile d’une œuvre initialement imprimée sur papier.
En l’espèce, les foulards, support original des dessins protégés, avaient été découpés puis apposés comme empiècements sur des vestes. Cette transformation, qui a altéré la forme et l’usage des foulards, a abouti à la création d’un nouveau support, distinct de l’objet initial, et donc à une nouvelle reproduction de l’œuvre protégée.
Dès lors, la commercialisation de ces vestes nécessitait l’autorisation préalable de la maison de luxe, peu important que les foulards aient été acquis de manière licite sur le marché de la seconde main.
Un produit upcyclé à partir d’un produit de marque ne peut bénéficier de l’exception de référence nécessaire
La maison de luxe reprochait également à la créatrice d’avoir commis des actes de contrefaçon de marque en raison de l’apposition sur les vestes d’empiècements issus des foulards portant la marque et de la reproduction du signe sur son site Internet à des fins promotionnelles.
En défense, la créatrice invoquait l’exception dite de « référence nécessaire », soutenant que l’usage du signe était justifié pour indiquer la provenance des foulards utilisés dans le processus d’upcycling.
Si cette exception permet effectivement à un tiers de faire usage de la marque d’autrui sans autorisation, c’est à condition que la référence à la marque soit indispensable pour indiquer la destination du produit, notamment comme accessoire ou pièce détachée, dès lors qu’elle ne crée pas de confusion sur l’origine du produit.
Le Tribunal a toutefois considéré que la reproduction de la marque sur le site Internet n’avait pas pour objectif d’informer sur la provenance des foulards, dès lors que la créatrice ne les commercialisait pas en tant que tel. De plus, dans la mesure où les empiècements portant la marque avaient été incorporés aux vestes, la marque n’était plus utilisée pour désigner les produits de la maison de luxe, mais ceux de la créatrice.
Enfin, le Tribunal a relevé que le découpage des foulards avait pu conduire à la suppression de la marque sur certaines parties du tissu. Or, la suppression non autorisée d’une marque apposée par son propriétaire sur un produit authentique constitue également un acte de contrefaçon[3].
L’absence de primauté de la liberté de création et de la protection de l’environnement sur les droits de propriété intellectuelle
La créatrice soutenait que les atteintes aux droits de propriété intellectuelle de la maison de luxe étaient justifiées par l’exercice d’autres droits fondamentaux, en particulier la liberté de création et la protection de l’environnement.
En ce qui concerne la liberté de création, le Tribunal a jugé que la créatrice ne justifiait pas du caractère artistique propre des vestes litigieuses, distinct de celui des œuvres préexistantes, et donc de l’exercice de la liberté de création dans le processus de production. Dès lors, l’atteinte aux droits d’auteur de la maison de luxe n’était pas justifiée.
Quant à l’argument tiré de la protection de l’environnement, le Tribunal a relevé qu’« aucune disposition communautaire ou légale n’[érige] le surcyclage comme justifiant une restriction aux droits de propriété intellectuelle ». Il a ensuite constaté que l’activité poursuivie par la créatrice était lucrative et non environnementale. En outre, même en admettant la poursuite d’un objectif de protection de l’environnement, les foulards utilisés, qui n’étaient pas détériorés, avaient une valeur économique intrinsèque sur le marché de la seconde main.
Enfin, compte tenu de la finalité commerciale de l’activité, l’usage de la marque ne pouvait davantage être justifié par la protection de l’environnement ou la liberté de création. Le Tribunal a estimé que l’usage de la marque traduisait une volonté de tirer profit de la renommée de celle-ci, alors que la créatrice aurait pu faire le choix d’utiliser des foulards sans marque.
Outre les atteintes aux droits d’auteur et de marque, le Tribunal a retenu des actes de parasitisme, considérant que la créatrice s’était inscrite dans le sillage économique de la maison de luxe en promouvant ses vestes sur les réseaux sociaux à l’aide de visuels issus de campagnes publicitaires réalisées par cette dernière.Lire le jugement du Tribunal judiciaire de Paris
[1] Le surcyclage (ou « upcycling ») est une pratique consistant à réemployer des matériaux ou d’objets usagés pour la fabrication de nouveaux produits à valeur ajoutée, esthétiques ou utiles.
[2] Article L.122-3-1 du Code propriété intellectuelle
[3] Article L. 713-3-1, 7° du Code de la propriété intellectuelle