Par deux arrêts, rendus le même jour, la chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé et harmonisé la définition jurisprudentielle du parasitisme
L’action en parasitisme économique est une construction jurisprudentielle permettant de sanctionner les comportements déloyaux par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit de ses efforts, de ses investissements, de son savoir-faire et/ou de sa notoriété, sans rien dépenser.
Les actes de parasitisme relèvent, le plus souvent, de la copie servile d’un produit ou service qui permet à son auteur de bénéficier, « sans bourse délier », des investissements consentis par un concurrent et/ou de sa notoriété.
Le parasitisme permet notamment de protéger les biens qui ne bénéficient pas d’une protection au titre d’un droit de propriété industrielle (brevet, marque ou dessin et modèle) ou du droit d’auteur.
Du fait même de sa construction prétorienne, la notion de parasitisme a pu être appréhendée de façon mouvante par les juridictions. Les deux arrêts récents de la Cour de cassation procèdent d’une volonté de clarifier et d’uniformiser cette notion.
La Cour revient ainsi sur les conditions permettant de caractériser les actes de parasitisme, à savoir : (i) l’identification par le demandeur de la valeur économique individualisée arguée de parasitisme, ainsi que (ii) la volonté d’un tiers de se placer dans son sillage.
La démonstration préalable de la « valeur économique identifiée et individualisée » prétendument parasitée
La Cour de cassation précise tout d’abord que celui qui se prétend victime de parasitisme doit nécessairement procéder à l’identification préalable de la valeur économique individualisée qu’il invoque.
Il revient ainsi au demandeur de démontrer que le produit ou service argué de parasitisme représente une valeur économique quantifiable en faisant la preuve des efforts et investissements consentis pour sa conception, son développement, sa publicité, etc.
La Cour rappelle ensuite que le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une « valeur économique identifiée et individualisée » ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit ou service prétendument parasité[1].
De même, le fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas, à lui seul, un acte de parasitisme[2].
Au regard de ces précisions, la Cour a, dans son premier arrêt, écarté tout acte de parasitisme estimant que la société prétendument victime n’établissait pas l’existence d’une « valeur économique identifiée et individualisée » pour différentes raisons, à savoir :
- le produit invoqué (un tableau) était composé de clichés disponibles en droit libre sur Internet ;
- il avait été commercialisé sur une période limitée ;
- il n’avait jamais été mis en avant comme étant emblématique de l’univers de la société ;
- il s’inscrivait dans un genre en vogue, que la société n’était pas la seule à exploiter ;
- le décor invoqué constituait une combinaison banale d’images préexistantes.
Dans son second arrêt, la Cour de cassation a considéré que la « valeur économique identifiée et individualisée » du produit argué de parasitisme (un masque subaquatique) était démontrée au regard des éléments suivants :
- grande notoriété du produit ;
- investissements conséquents liés à la conception, au développement et à la publicité ;
- absence d’articles équivalents sur le marché français au moment du lancement du produit qui démontre le caractère innovant de la démarche.
La caractérisation de la volonté du tiers de se placer dans le sillage de son concurrent afin d’en tirer indument profit
La caractérisation du parasitisme suppose de rapporter, dans un second temps, la preuve de la volonté de l’auteur de se placer dans le sillage de la société parasitée en vue d’en tirer un profit injustifié[3].
Sur ce point, la Cour de cassation a précisé que « la recherche d’une économie au détriment d’un concurrent n’est pas en tant que telle fautive mais procède de la liberté du commerce et de la libre concurrence, sous réserve de respecter les usages loyaux du commerce ».
Il s’agit dès lors de démontrer la faute de la société « parasite », qui consiste essentiellement en l’appropriation volontaire du travail d’autrui, « sans bourse délier ».
L’auteur du parasitisme a, par son comportement, profité des investissements, du travail intellectuel et du savoir-faire de son concurrent et en a ainsi tiré un avantage concurrentiel indu (économies de temps, d’argent, absence de prise de risque, etc.). D’où l’importance pour le demandeur de démontrer les efforts et l’investissement qu’il a consentis.
À titre d’illustration, dans son second arrêt, la Cour a retenu que le fait de distribuer un produit identique – tant au regard de sa fonction que de son aspect – au moment du succès commercial du produit concurrent caractérisait la volonté de se placer dans le sillage de la société concurrente pour bénéficier du succès rencontré par cette dernière auprès de la clientèle.
Lire les arrêts de la Cour de cassation du 26 juin 2024, n° 23-13.535 et 22-17.647 ; 22-21.497
[1] Cass. com., 5 juillet 2016, n° 14-10.108
[2] Cass. civ., 22 juin 2017, n° 14-20.310
[3] Cass com., 3 juillet 2001, n° 98-23.236 ; 99-10.406