Une œuvre n’est pas collective en l’absence de directives du maître d’œuvre de nature à entraver la liberté des créateurs 

La Cour d’appel de Versailles a refusé de reconnaître à une société la qualité d’auteur ainsi que la titularité des droits sur l’œuvre qu’elle avait commandée.

Une société pharmaceutique avait conclu un contrat de commande avec une société de graphisme pour la réalisation de différents visuels pour les marques et produits du groupe auquel elle appartient.

La société de graphisme avait autorisé la société pharmaceutique à exploiter ses créations pendant une certaine durée. 

Après avoir constaté l’exploitation des œuvres au-delà de cette durée sans son autorisation, le graphiste a assigné la société commanditaire en contrefaçon.

Le Tribunal judiciaire de Nanterre a fait droit à sa demande et condamné la société commanditaire en contrefaçon des visuels originaux. La Cour d’appel de Versailles a, dans un arrêt du 12 septembre 2023, rejeté les arguments de la société commanditaire et confirmé le jugement de première instance. 

La présomption de la qualité d’auteur du fait de la divulgation de l’œuvre ne bénéficie pas aux personnes morales

La société commanditaire estimait que le graphiste n’avait pas apporté la preuve de sa qualité d’auteur et partant n’était pas recevable à agir en contrefaçon.

En effet, le Code de la propriété intellectuelle prévoit que la personne ayant divulgué l’œuvre en son nom est présumée être l’auteur de cette œuvre[1].

La société commanditaire considérait qu’elle était bien l’auteur des œuvres au titre de cette présomption dans la mesure où elle les avait divulguées sous son nom. 

La Cour d’appel a rejeté cet argument et rappelé que la présomption de qualité d’auteur du fait de la divulgation ne bénéficie pas aux personnes morales.

Par conséquent, la Cour a jugé que le graphiste était bien l’auteur des visuels litigieux.

À noter, la jurisprudence[2] a, au fil du temps, créé une présomption de titularité bénéficiant aux personnes morales en cas d’exploitation non équivoque d’une œuvre en l’absence de revendication du ou des auteurs. La société commanditaire n’avait pas argué bénéficier de cette présomption dont l’application était en tout état rendue difficile en raison des contestations de l’auteur des œuvres litigieuses. 

L’œuvre ne peut être qualifiée de collective que si les instructions du maître d’œuvre ont entravé la liberté des auteurs

La société commanditaire prétendait que les œuvres litigieuses étaient de œuvres collectives créées à son initiative. Partant, elle considérait en détenir les droits[3]

La qualification d’œuvre collective est soumise à différentes conditions[4], dont l’une tenant au fait que la création soit initiée et dirigée par une personne physique ou morale. Il en ressort que les instructions du maître d’œuvre doivent avoir réellement entravé la liberté du ou des auteurs.

La Cour a considéré qu’en l’espèce, les instructions sommaires données par la société commanditaire au graphiste étaient suffisamment larges pour permettre au prestataire de laisser libre cours à son imagination et imprimer son empreinte à l’œuvre.

Dès lors, les visuels ne pouvaient pas être qualifiés d’œuvres collectives et la société commanditaire ne pouvait pas arguer en détenir les droits par le bénéfice de la qualité de maître d’œuvre.

La dissolution d’une EURL entraîne le transfert à l’associé unique des droits d’auteur qu’il avait cédés 

Au surplus, la société commanditaire considérait que le graphiste n’était plus titulaire de ses droits et partant, irrecevable à agir en contrefaçon. 

Elle relevait que le graphiste, associé unique d’une EURL, avait cédé ses droits d’exploitation sur les visuels à sa société. En outre, il ne justifiait pas d’une rétrocession de ses droits d’auteur lors de la dissolution de sa société. 

La Cour a au contraire considéré que, quand bien même les factures émises au nom de l’EURL faisaient présumer que le graphiste avait cédé ses droits à son EURL, il devait aussi être présumé que ce dernier avait récupéré les droits lors de la liquidation de son EURL.

Pour se prononcer en ce sens, la Cour a considéré que la société concernée étant unipersonnelle, l’associé unique avait vocation à récupérer le boni de liquidation comprenant les droits d’auteur.

En conclusion, la Cour d’appel a confirmé la décision de première instance déclarant recevable l’action en contrefaçon du graphiste et condamnant la société commanditaire à l’indemniser.

Lire l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 12 septembre 2023, RG n°21/05036


[1] Article L113-1 du Code de la propriété intellectuelle : « La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ».

[2] Arrêt « Aréo » n° 91-16.543 de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 24 mars 1993.

[3] Aux termes de l’article L113-5 du Code de la propriété intellectuelle, l’œuvre collective est présumée être la propriété de la personne sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l’auteur.

[4] Article L113-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle.

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