Un distributeur peut décompiler un progiciel pour assurer son interopérabilité avec les systèmes de ses clients

La Cour d’appel de Rennes a considéré que la société qui avait décompilé le logiciel qu’elle distribue pour développer un portail et une interface en vue de son interopérabilité avec les systèmes informatiques de ses clients n’avait commis aucun acte de contrefaçon. 

La société FSMAX avait conclu avec la société IDEOLYS un contrat de distribution aux termes duquel IDEOLYS devait promouvoir et commercialiser les progiciels développés par FSMAX.

Face aux soucis d’interopérabilité que rencontraient ses clients avec le progiciel « E-food Max » de FSMAX, IDEOLYS a développé une interface et un portail permettant de résoudre ces difficultés– ce dont l’éditeur avait eu connaissance.

En parallèle, IDEOLYS a développé son propre progiciel dénommé « Easilys », présentant des fonctions similaires à celui de FSMAX mais s’adressant à une clientèle différente. 

Après avoir rompu ses relations commerciales avec IDEOLYS, FSMAX l’a assignée à titre principal en contrefaçon de son progiciel, et subsidiairement en concurrence déloyale et parasitaire. 

Déboutée en première instance par le Tribunal de Grande Instance de Rennes, FSMAX a interjeté appel de ce jugement. Dans un arrêt du 17 mai 2022, la Cour d’appel de Rennes a confirmé le jugement selon lequel le développement du portail et de l’interface par IDEOLYS ne constituait pas une contrefaçon. Les demandes en contrefaçon de FSMAX à l’encontre du progiciel Easilys développé par IDEOLYS ont pareillement été rejetées. La Cour d’appel a également débouté FSMAX de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme.

Le distributeur du progiciel peut bénéficier de l’exception de décompilation

FSMAX soutenait qu’IDEOLYS avait eu accès à une partie du code source de son progiciel pour développer les interfaces et portails nécessaires pour assurer l’interopérabilité de ce progiciel avec les systèmes informatiques de ses clients. Elle considérait que cet accès constituait une contrefaçon de ses droits d’auteur.

La Cour a rappelé à cet égard que l’accès au code source n’est pas systématiquement constitutif d’une contrefaçon. En effet, le logiciel est une œuvre complexe qui a la spécificité de ne pouvoir exister en toute indépendance. Il doit donc pouvoir être interopérable avec d’autres programmes du système informatique de son utilisateur. Cette interopérabilité est le plus souvent assurée par le développement interfaces logiques qui assurent la communication entre les systèmes. 

Pour garantir cette interopérabilité, l’article L. 122-6-1 (iv) du Code de la propriété intellectuelle[1] prévoit une exception dite de décompilation[2] permettant à « l’utilisateur légitime » ou à toute personne agissant pour son compte d’accéder au code source d’un logiciel aux fins d’assurer son interopérabilité avec d’autres programmes. L’utilisateur ne bénéficie de cette exception que si son accès est limité aux seules parties du code source nécessaires à l’interopérabilité du logiciel.

En l’espèce, la Cour a relevé qu’IDEOLYS avait développé le portail et l’interface à la demande de ses clients, qui se plaignaient d’une compatibilité limitée du progiciel « E-food Max » avec leurs systèmes informatiques. Elle a ajouté que FSMAX, informée des faits, y avait consenti et avait perçu des redevances grâce aux développements d’IDEOLYS, sans lesquels elle n’aurait pas pu distribuer son progiciel. 

La Cour a par ailleurs constaté que le seul objet de ces développements était d’assurer l’interopérabilité entre le progiciel E-food Max et les systèmes informatiques des clients d’IDEOLYS.  

Dès lors, IDEOLYS n’ayant procédé qu’aux « seules opérations nécessitées par les exigences d’interopérabilité », la Cour a jugé que la création de l’interface et du portail n’était pas constitutive de contrefaçon. 

Des fonctionnalités similaires ne constituent pas une contrefaçon 

Les logiciels sont des œuvres de l’esprit protégées par l’article L. 122-6 du Code de la propriété intellectuelle[3] dès leur qu’ils sont originaux. En matière d’œuvres logicielles, cette originalité s’apprécie par rapport au code source[4]. Le titulaire de droits qui agit en contrefaçon de son logiciel doit en conséquence démontrer une reprise non autorisée de ce code source.

En l’espèce, FSMAX relevait une similarité des fonctions de son progiciel « E-food Max » avec celles du progiciel « Easilys » développé par son ancien distributeur. 

Après avoir rappelé que les fonctionnalités d’un logiciel ne sont pas protégeables et que la seule similitude entre les fonctionnalités de logiciels ne permet pas de caractériser une contrefaçon, la Cour a relevé que FSMAX ne rapportait pas la preuve d’une copie de son code source par IDEOLYS. Elle ne démontrait pas non plus comment IDEOLYS aurait pu accéder à la totalité de ce code source, FSMAX lui refusant systématiquement cet accès. 

La Cour a donc confirmé le jugement entrepris en ce qu’il avait débouté FSMAX de ses demandes de ce chef.

Pas de concurrence déloyale ni parasitaire

À titre subsidiaire, FSMAX demandait la condamnation d’IDEOLYS au paiement de dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale et parasitaire. Elle reprochait à IDEOLYS d’avoir détourné sa clientèle en commercialisant l’interface complémentaire d’une part, et son propre progiciel d’autre part. 

Sur la commercialisation de l’interface complémentaire, la Cour d’appel a relevé que le portail « ne fonctionnait qu’en combinaison avec E-food Max » et avait pour objectif, avec l’accord de FSMAX, de favoriser le succès commercial d’E-food Max. Dès lors, la Cour a jugé qu’IDEOLYS n’avait commis aucun acte de concurrence déloyale de ce chef.

S’agissant de la commercialisation du progiciel développé par IDEOLYS, la Cour a relevé qu’il n’était pas destiné aux mêmes clients que ceux qu’IDEOLYS prospectait pour le compte de FSMAX. En outre, FSMAX ne démontrait pas avoir perdu de clients du seul fait de la commercialisation par IDEOLYS de son propre progiciel. La Cour a ainsi relevé que les deux principaux clients de FSMAX avaient mis fin à leur contrat avec FSMAX en raison des dysfonctionnements du progiciel E-food Max, ce que l’appelante avait d’ailleurs reconnu.

Enfin, la Cour d’appel a débouté FSMAX de ses demandes au titre du parasitisme. Elle a rappelé à cet effet que le « parasitisme [implique] que l’entreprise [profite] des efforts financiers de l’entreprise parasitée pour réaliser ses propres économies de développement ». En l’espèce, IDEOLYS démontrait qu’elle avait investi plus de 700 000 euros dans le développement de son propre progiciel. La Cour a en conséquence estimé qu’il n’était pas établi que IDEOLYS avait cherché à profiter des investissements de FSMAX sans bourse délier.  

La communication sur une action judiciaire en cours, même sans intention de nuire, peut constituer un dénigrement 

À titre reconventionnel, IDEOLYS reprochait à FSMAX de l’avoir dénigrée auprès de plusieurs clients. FSMAX leur avait en effet adressé un courrier mentionnant la procédure diligentée à l’encontre d’IDEOLYS devant le Tribunal de Grande Instance de Rennes et leur demandant s’ils utilisaient le progiciel édité par celle-ci. 

La Cour d’appel de Rennes a considéré que la seule révélation auprès de la clientèle d’une action judiciaire, alors qu’elle n’avait pas encore donné lieu à une décision de justice, était constitutive d’un dénigrement – et ce quand bien même FSMAX n’aurait pas eu l’intention de nuire à IDEOLYS mais aurait simplement recherché des preuves nécessaires au procès.

Néanmoins, IDEOLYS n’établissait pas avoir perdu de clients à la suite de ce dénigrement, et en particulier auprès des sociétés destinatrices des courriers litigieux. Seul son préjudice d’image et de réputation pouvait dès lors être indemnisé, à hauteur de 1 000 euros.

Que retenir de cet arrêt ?

Quelques enseignements peuvent être tirés de cet arrêt :

  • Les idées étant de libre parcours, la seule existence de similitudes entre des fonctionnalités n’est pas constitutive d’une contrefaçon de droits d’auteur sur une œuvre logicielle. Seule une démonstration d’une reprise non autorisée du code source pourra, s’il est considéré comme original, caractériser une contrefaçon ; 
  • La décompilation du logiciel ne constitue pas une contrefaçon lorsqu’elle est faite par l’utilisateur légitime ou pour son compte pour assurer l’interopérabilité de ce logiciel avec son système informatique ; 
  • La preuve d’un détournement de clientèle peut s’avérer nécessaire pour caractériser un acte de concurrence déloyale ou parasitaire, ou à tout le moins pour justifier des préjudices subis ; 
  • La communication sur une action judiciaire en cours comporte des risques, même si elle est faite sans intention de nuire. 

Lire l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 17 mai 2022 (RG n° 19/04607) sur Lamyline.fr (réservé aux abonnés)


[1] Article L. 122-6-1 du Code de la propriété intellectuelle. 

[2] L’acte de décompilation consiste à réécrire, à partir du code objet (illisible par l’être humain), du code source (compréhensible par l’homme). 

[3] Article L. 122-6 du Code de la propriété intellectuelle.

[4] D’autres éléments de l’œuvre logicielle sont susceptibles d’être protégés par le droit d’auteur. C’est notamment le cas des interfaces graphiques, dont la protection répond aux conditions et règles du droit commun du droit d’auteur.

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