Condamnation de l’auteur de faux avis dénigrants publiés sur la page Google d’une entreprise

Motivée par un conflit personnel, une internaute a publié, sous pseudonyme, des avis dénigrants sur la page Google de l’entreprise de son ancien colocataire. Identifiée par ses données de connexion, elle a été condamnée à 3 000 euros de dommages et intérêts et 4 000 euros de frais de justice.

L’auteur d’avis dénigrants identifié par ses données de connexion

Motivée par une animosité personnelle, une internaute a publié une série d’avis négatifs, sous des pseudonymes différents, sur la page Google de l’entreprise de son ancien colocataire.

La société victime de ces agissements a saisi le président du Tribunal judiciaire de Paris sur requête aux fins d’obtenir les données d’identification de l’auteur des avis frauduleux.

Elle a d’abord obtenu de Google l’adresse IP de l’auteur des avis litigieux, puis a obtenu des fournisseurs d’accès à internet l’identité du titulaire de cette adresse IP, qui lui a permis de remonter jusqu’à l’internaute qui se croyait probablement protégée par le pseudonymat d’Internet.

La société a donc assigné l’internaute identifiée en responsabilité civile devant le Tribunal judiciaire de Paris.

Dans un jugement du 22 juin 2022, le Tribunal judiciaire de Paris a condamné l’internaute indélicate à réparer le préjudice moral subi par la demanderesse et résultant des actes de dénigrement, ainsi qu’au remboursement des frais que cette dernière a été contrainte d’exposer dans le cadre de ce litige, y compris pour l’identifier.

Le dénigrement vise les services, la diffamation vise les personnes

Pour tenter de se défendre, l’internaute, qui reconnaissait avoir publié les avis litigieux, soutenait que ses publications relevaient non pas de la qualification de dénigrement, sanctionnée sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, siège de la responsabilité délictuelle, mais de la diffamation, appréhendée par la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

En conséquence, elle soulevait en premier lieu la nullité de l’assignation, qui aurait dû respecter un formalisme spécifique pour pouvoir être valable[1] si les propos poursuivis avaient effectivement relevé de la diffamation.

Le Tribunal n’a pas suivi cet argument de procédure soulevé tardivement.

En effet, depuis le 1er janvier 2020, le juge de la mise en état est seul compétent pour statuer sur les exceptions de procédure et les fins de non-recevoir, à l’exclusion de toute autre formation du Tribunal.

Cet argument n’aurait en tout état de cause pas prospéré au fond : les propos litigieux ne visaient pas l’ancien colocataire ou sa société directement, condition à l’action en diffamation, mais critiquaient les services proposés par cette société, ce qui relève du dénigrement.

En effet, les six avis, analysés ensemble, dénonçaient le « travail pas fini », la « qualité du matériel » ou l’absence de « professionnalisme » et de « sérieux » de l’entreprise visée.

L’un des avis visait pourtant nommément l’entrepreneur avec lequel la défenderesse entretenait un conflit personnel, dénonçant son manque de sérieux et de professionnalisme.

Pour autant, le Tribunal a jugé que cet avis devait être analysé avec les cinq autres, et était la prolongation de la critique exprimée par les autres avis contre les services et prestations de la société.

De surcroît, cet avis n’imputait à la personne visée aucun « fait précis de nature à atteindre son honneur ou sa considération », définition légale de la diffamation.

Par conséquent, la qualification de dénigrement était bien adaptée aux propos litigieux.

La liberté d’expression n’autorise pas la publication d’avis frauduleux

La défenderesse soutenait par ailleurs que les avis litigieux relevaient de sa liberté d’expression et ne pouvaient engager sa responsabilité.

Le Tribunal rappelle que, « s’agissant d’une restriction au principe fondamental de la liberté d’expression, la responsabilité civile de l’auteur des propos doit s’apprécier strictement ».  

Les consommateurs bénéficient en effet d’un droit à la libre critique et les juridictions considèrent souvent que leurs avis, fussent-ils exprimés en des termes vifs, ne constituent pas des usages abusifs de la liberté d’expression ou contribuent à un débat d’intérêt général.

La qualification d’ « arnaque », par exemple, demeure dans les limites admissibles de la liberté d’expression[2].

En l’espèce, le Tribunal constate néanmoins que les messages litigieux exprimaient une critique sévère et sans nuance de la qualité des services et prestations fournies par la société demanderesse sous l’enseigne qu’elle exploite, « en remettant en cause le résultat et les conditions de réalisation de travaux de rénovation supposés tant au travers des termes employés que de la note » minimale à chaque fois attribuée.

En outre, la défenderesse avait admis que les avis négatifs étaient tous mensongers – l’internaute n’ayant jamais eu recours aux services critiqués – et motivés par un conflit personnel avec le demandeur.

Dans ces circonstances, le Tribunal a jugé que « loin de relever du droit à la libre critique (…), ces messages frauduleux, qui ne repos[aient] sur aucune base factuelle, proc[édaient] d’une intention de nuire de la demanderesse et caractéris[aient] un dénigrement fautif ».

L’existence et la démonstration du préjudice

En matière de concurrence déloyale, la démonstration du préjudice est une tâche particulièrement difficile.

Pour pallier cette difficulté à rapporter la preuve du préjudice, parfois diabolique, la jurisprudence a établi qu’il s’infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d’un acte de concurrence déloyale. Plus précisément en matière de dénigrement, le préjudice moral résulte nécessairement de l’atteinte à la notoriété, à la réputation, et à l’image.

Le demandeur doit néanmoins justifier de l’étendue du dommage subi pour justifier l’indemnisation qu’il sollicite.

Pour ce faire en l’espèce, la demanderesse a notamment démontré que :

  • Les avis étaient visibles immédiatement dans les résultats de recherche relatives à la société visée sur Google ;
  • La note globale de la société a baissé de 5 à 4,4 étoiles en raison des avis dénigrants,
  • Les publications sont restées en ligne pendant près de sept mois.

En outre, le Tribunal a relevé que le trafic sur son site Internet avait plus que triplé, et que les demandes de contact avaient presque doublé, après la suppression des avis frauduleux.

Ces évolutions étaient suffisamment notables pour établir un lien de corrélation avec les avis litigieux, le Tribunal notant néanmoins que leur suppression ne pouvait en être la cause exclusive.

Par conséquent, le Tribunal a condamné la défenderesse à payer 3 000 euros de dommages-intérêts à la société demanderesse en réparation de son préjudice moral, ainsi qu’au remboursement des frais exposés dans le cadre du litige à hauteur de 4 000 euros.

Que retenir de ce jugement ?

  • Ce jugement est une énième illustration démontrant que l’anonymat sur Internet est une légende : la plupart des internautes ne prennent aucune mesure pour assurer la confidentialité de leur navigation. Par conséquent, il est souvent possible de retrouver l’internaute ayant commis des actes illicites grâce aux données personnelles qu’il laisse durant sa navigation.
  • Publier des avis négatifs et mensongers contre les produits, services et prestations d’une entreprise, surtout sans avoir eu recours auxdits produits ou services, peut constituer des actes de dénigrement. En revanche, l’imputation de faits précis portant atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne physique ou morale relève de la diffamation.
  • En matière de dénigrement, le préjudice, ne serait-ce que moral, s’infère nécessairement de l’acte litigieux. Concernant des avis Google, l’étendue du dommage peut notamment être démontrée par l’évolution des statistiques de trafic et des demandes de contact sur le site de la société victime des agissements frauduleux, avant et après la suppression desdits avis.

Lire le jugement du Tribunal Judiciaire de Paris du 22 juin 2022 sur Legalis.net   


[1] CA Lyon, 11 déc. 2018, RG n° 18/02004 ; CA Paris, 17 déc. 2021, RG n° 19/16684

[2] Article 53 de la loi du 29 juillet 1881 : « La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite. Si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu’au ministère public. Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite. »

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