Le Tribunal administratif de Paris a été saisi d’une question inédite relative à la communication des numérisations 3D réalisées par une institution culturelle sur des œuvres de sa collection tombées dans le domaine public.
Un artiste américain (l’« Artiste ») avait adressé à un musée français (le « Musée ») une demande de communication portant notamment sur les numérisations 3D de sculptures d’Auguste Rodin. Interrogé par le Musée sur la finalité de cette demande, l’Artiste avait indiqué vouloir réutiliser ces fichiers à des fins professionnelles et commerciales pour réaliser des reproductions en bronze.
Après avoir rejeté cette demande, le Musée avait adressé à la Commission d’accès aux documents administratifs (la « CADA ») une demande de conseil relative à la communication et la réutilisation de numérisations 3D d’œuvres d’art. Au terme de son examen, la CADA s’était prononcée en faveur de la communication de tels fichiers[1].
L’Artiste avait également saisi la CADA qui avait rendu un avis officiel s’inscrivant dans la continuité de son conseil[2]. Malgré cet avis favorable à l’Artiste, le Musée n’avait pas procédé à la communication sollicitée.
Insatisfait, l’Artiste dénonçait un cas de « copyfraud » (tentative de reconstitution d’un monopole après son expiration) résultant de la tentative implicite de revendication par le Musée de droits d’auteur sur la publication d’œuvres du domaine public sur un support différent de l’original.
C’est dans ce contexte que l’Artiste avait saisi le Tribunal administratif de Paris afin que soit annulée la décision de refus de communication opposée par le Musée.
Dans un jugement du 21 avril 2023, le Tribunal a confirmé la position de la CADA et enjoint le Musée à communiquer la majorité des documents sollicités par l’Artiste.
Les numérisations 3D d’œuvres d’art du domaine public qualifiées de documents administratifs communicables
Interrogée à la fois par le Musée et l’Artiste, la CADA s’était, dans un premier temps, prononcée sur la nature des documents en cause.
Elle avait ainsi considéré, au regard des dispositions du Code des relations entre le public et l’administration, que les numérisations d’œuvres dont le Musée assure la conservation à des fins d’étude et d’exploitation commerciale constituent des documents administratifs dès lors qu’elles ont été élaborées et sont détenues dans le cadre de la mission de service public qui lui est confiée[3].
La CADA en a conclu que ces numérisations étaient, comme tout document administratif, par principe communicable à toute personne qui en fait la demande[4].
En outre, la CADA a précisé que cette communication peut nécessiter l’accord préalable de l’auteur lorsque les documents administratifs sont grevés de droits d’auteur et qu’ils n’ont pas encore fait l’objet d’une divulgation au public[5].
En l’espèce, la commission a considéré que les fichiers sollicités n’étaient pas eux-mêmes grevés de droits d’auteur et que les œuvres sur lesquelles ils portent avaient déjà fait l’objet d’une communication au public.
La CADA n’ayant pas explicité son raisonnement, il semble qu’elle ait estimé que les numérisations 3D n’étaient pas protégeables au titre du droit d’auteur dès lors qu’elles se contentent de retranscrire l’existant.
Le risque d’atteinte au droit moral ne peut fonder un refus de communication
Le Musée tentait de légitimer sa décision de refus de communication au regard de sa qualité d’ayant droit de Rodin, investi des droits moraux sur les œuvres de ce dernier. Il soutenait ainsi que la communication des fichiers sollicités créerait un risque d’atteinte au droit moral de l’auteur.
Le Tribunal a toutefois jugé que l’existence d’un risque de contrefaçon ne permet pas de s’opposer à une demande de communication. Il serait en effet illogique que l’administration puisse fonder son refus sur un risque hypothétique de violation de la loi par l’usager.
La CADA avait, quant à elle, précisé que la qualité d’ayant droit du Musée ne lui permettait pas de veiller au respect de l’œuvre a priori, mais a posteriori lors de la réutilisation des fichiers.
L’indifférence de la remise en cause du modèle économique des institutions culturelles françaises
Le Musée soutenait encore que la communication des numérisations 3D serait de nature à bouleverser son modèle économique et ses ressources propres dès lors que son financement repose notamment sur la commercialisation d’éditions originales de bronzes et de reproductions en résine.
Le Tribunal a néanmoins jugé que cette circonstance était sans influence sur le caractère communicable des documents administratifs.
La CADA avait, en outre, rappelé que le Musée avait la possibilité de solliciter le versement d’une redevance pour la réutilisation des informations issues de la numérisation de ses collections[6].
En conséquence, le Tribunal administratif a annulé le refus de communication opposé par le Musée et l’a enjoint à communiquer les numérisations 3D sollicitées par l’Artiste.
Lire le jugement du Tribunal administratif de Paris du 21 avril 2023, RG n° 1926348
[1] CADA, conseil du 7 février 2019, n° 20190026.
[2] CADA, avis du 6 juin 2019, n° 20192300.
[3] Article L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’administration.
[4] Article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’administration.
[5] Article L. 311-4 du Code des relations entre public et l’administration.
[6] Articles L. 324-1 et L. 324-2 du Code des relations entre le public et l’administration.