Résiliation d’un contrat monétique fondée sur l’illicéité du contenu hébergé sur le site Internet du cocontractant

La Cour d’appel de Paris a jugé qu’une banque pouvait valablement se prévaloir de la clause prévoyant la résiliation d’un service de paiement en ligne en raison de l’hébergement de contenus contrefaisants sur le site Internet de son cocontractant.

L’exploitant d’un site Internet (le « Client »), permettant aux internautes de stocker et de partager des contenus, avait conclu un contrat monétique avec une banque (la « Banque ») afin de recevoir les paiements à distance effectués par les utilisateurs du site. 

Aux termes de ce contrat, le Client s’était engagé à utiliser le système de paiement en s’abstenant de toute « activité illicite », et en particulier de tout « acte de contrefaçon d’œuvres protégées par un droit de propriété intellectuelle ». 

En cas de manquement à cette obligation, la Banque était autorisée à procéder à la résiliation du contrat dès lors qu’elle était informée de la présence de contenus illicites sur le site Internet du Client. 

Après avoir été informée de l’accessibilité, sur le site du Client, de nombreux contenus (films et séries) portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle d’une société de production audiovisuelle, la Banque avait résilié le contrat.

Estimant que les actes de contrefaçon ne lui étaient pas imputables, le Client avait assigné la Banque devant le Tribunal de commerce, afin de voir juger la résiliation abusive et d’obtenir le rétablissement du service monétique objet du contrat. 

Aussi, le litige se cristallisait autour de la responsabilité de l’exploitant du site Internet au titre des contenus contrefaisants, responsabilité qui si elle était établie justifiait la mise en œuvre de la clause de résiliation.

Dans un arrêt du 3 mars 2023, la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement de première instance ayant jugé que la résiliation du contrat monétique était intervenue à bon droit. 

Le régime de responsabilité allégée de l’hébergeur, prévu par la LCEN, n’a pas vocation à s’appliquer dans le cadre d’une action en responsabilité contractuelle

Le Client soutenait que les actes de contrefaçon ne lui étaient pas imputables au regard du régime de responsabilité allégée instauré par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (« LCEN ») au bénéfice des hébergeurs. 

La LCEN[1] prévoit en effet que la responsabilité des hébergeurs ne peut être engagée à raison des contenus qu’ils stockent dès lors : 

  • qu’ils n’ont pas connaissance du caractère manifestement illicite des contenus ; ou
  • si, après avoir été dument informés de leur caractère illicite, ils ont agi promptement pour les retirer ou en rendre l’accès impossible.

En l’espèce, la Cour a relevé que la qualité d’hébergeur du Client était établie dans la mesure où son comportement, essentiellement technique, se limitait à la structuration du site ainsi qu’à la présentation et la classification des données. 

Si le Client bénéficiait de la qualité d’hébergeur, la Cour a toutefois considéré que cette seule circonstance ne permettait pas de faire jouer le mécanisme de responsabilité délictuelle, prévu par la LCEN, dans le cadre d’un litige de nature contractuelle. 

La Cour d’appel a donc jugé que la LCEN était inapplicable dans le cadre du litige, qui portait sur l’exécution d’un contrat. 

En conséquence, la responsabilité du Client, au titre des actes de contrefaçon, ne pouvait pas être exclue sur le fondement des dispositions de la LCEN. 

Les actes de contrefaçon imputables à l’hébergeur justifient la mise en œuvre de la clause de résiliation fondée sur l’illicéité du contenu du site 

Après avoir écarté l’application de la LCEN, il appartenait à la Cour de déterminer si la mise en ligne des contenus illicites était imputable au Client et justifiait la résiliation du contrat.

Faisant application de la jurisprudence européenne[2], la Cour a rappelé que l’exploitant d’un service de partage de contenus effectue une communication au public des contenus contrefaisants publiés par ses utilisateurs, engageant ainsi sa responsabilité, lorsqu’il :

  • joue un rôle incontournable dans la mise à disposition des contenus illicites ; et 
  • contribue, de façon délibérée, c’est-à-dire au-delà de la simple mise à disposition de son service, à donner accès à ces contenus.

Ce second critère peut notamment être déduit de l’absence de mise en œuvre de mesures techniques appropriées[3] pour contrer les violations de droits de propriété intellectuelle par l’exploitant qui a connaissance de l’existence de contenus illicites.

En l’espèce, la Cour a considéré que le Client jouait un rôle incontournable dans la mise à disposition des contenus litigieux puisqu’en son absence le libre partage de ces contenus serait impossible ou, à tout le moins, plus complexe.

S’agissant du second critère, la Cour a relevé que le Client avait nécessairement connaissance du caractère illicite des contenus dès lors que plusieurs notifications, attestant de cette illicéité, lui avaient été adressées. 

Malgré cette connaissance, le Client ne démontrait pas avoir mis en œuvre les mesures techniques appropriées qu’il est permis d’attendre d’un opérateur normalement diligent dans sa situation. 

Au regard de ces éléments, le Client, qui avait effectué des actes de communication au public en violation des droits d’auteur de la société de production audiovisuelle, pouvait donc être tenu responsable des contenus contrefaisants accessibles sur son site. 

Dès lors, la Banque pouvait, conformément aux dispositions contractuelles, résilier le contrat monétique.

En conséquence, la Cour d’appel a confirmé le jugement de première instance. 

Que retenir de cet arrêt ?

  • Un hébergeur ne peut se prévaloir du régime de responsabilité allégée, prévu par la LCEN, dans le cadre d’un litige de nature contractuelle.
  • La communication au public d’œuvres protégées en violation du droit d’auteur justifie la mise en œuvre de la clause contractuelle prévoyant la résiliation du contrat en raison de l’illicéité du contenu du site Internet du cocontractant.

Lire l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 3 mars 2023, RG n°21/10178


[1] Article 6, I.-2 et 3 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004.

[2] CJUE, gde ch., 22 juin 2021, aff. C-682/18 et C-683/18.

[3] Au titre de ces mesures, la Cour cite notamment l’installation d’un bouton de notification, d’un procédé de signalement et l’utilisation d’un logiciel d’identification de contenus potentiellement contrefaisants. 

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