Marques : le point de départ du délai de forclusion par tolérance est antérieur à la mise en demeure

La Cour d’appel de Paris a considéré que la mise en demeure adressée à un concurrent direct ne constituait pas le point de départ du délai de forclusion par tolérance en matière de contrefaçon. Ce délai commence à courir à compter de la date de connaissance de l’usage effectif de la marque postérieure, qui précédait l’envoi de cette mise en demeure.

Le titulaire d’une marque antérieure dispose d’un délai de cinq ans à compter de sa connaissance de l’usage effectif d’une marque postérieure pour agir en contrefaçon[1]. Ce délai sanctionne la tolérance et l’inaction du titulaire d’une marque à l’égard d’une marque seconde déposée ou exploitée postérieurement à la sienne.

Dans un arrêt du 13 avril 2022, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur la détermination du point de départ de ce délai de forclusion par tolérance. 

La société GOURMIBOX était titulaire depuis 2012 de la marque éponyme, qu’elle exploitait dans le cadre de la commercialisation de produits d’épicerie fine sous forme de « box ». La société GASTRON’HOME, concurrent direct de GOURMIBOX, avait déposé la marque semi-figurative « LA GOURMET BOX » en juin 2014 pour les mêmes produits et services. 

Le 27 mars 2015, la société GOURMIBOX avait mis en demeure GASTRON’HOME de cesser toute utilisation de la marque « LA GOURMET BOX ». Néanmoins, ce n’est que le 10 août 2020 que GOURMIBOX assignait GASTRON’HOME en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale et parasitaire. 

GOURMIBOX estimait en effet que le délai de forclusion par tolérance courait à compter de la mise en demeure et aurait dû expirer le 23 août 2020, par l’effet des ordonnances prolongeant les délais de procédure en raison de la situation sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19[2].

Le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris a considéré que la société GOURMIBOX était irrecevable à agir, car forclose. La Cour d’appel de Paris a confirmé cette analyse et rejeté l’appel de GOURMIBOX, considérant que sa connaissance de l’usage de la marque postérieure remontait non pas à la date de sa mise en demeure, mais à celle du début de l’usage effectif de la marque par son concurrent en 2014, qu’elle ne pouvait ignorer.

La connaissance de l’usage effectif de la marque postérieure précède la mise en demeure

La question soumise à la Cour d’appel de Paris portait sur la fixation du point de départ du délai de forclusion par tolérance. À cet égard, la Cour a rappelé que le délai de forclusion commençait à courir à compter du jour où il est établi que le titulaire de la marque antérieure avait eu connaissance de l’usage effectif de la marque seconde. 

En l’espèce, GOURMIBOX soutenait qu’il n’était pas démontré qu’elle aurait eu connaissance de la marque litigieuse avant l’envoi de sa mise en demande. Elle affirmait, en conséquence, que le délai de forclusion devait commercer à courir à compter de cet envoi. 

La Cour d’appel a rejeté ces arguments. Elle a notamment relevé que cette connaissance était nécessairement antérieure à la date de la mise en demeure, qui avait dû être traduite dans la langue de GASTRON’HOME, établie en Espagne.

La Cour constate de surcroît que le demandeur ne pouvait pas ignorer l’usage effectif de la marque seconde par son concurrent direct, d’autant plus que les parties opéraient sur un « secteur de niche ». Elle relève en ce sens un ensemble d’éléments précédant tous l’envoi de la mise en demeure, à savoir : 

  • La réservation du nom de domaine reprenant la marque seconde en juin 2014 et l’ouverture en juillet d’un compte Facebook, « particulièrement actif à compter de décembre 2014 » ;
  • Le lancement de l’activité de GASTRON’HOME relayé par plusieurs sites spécialisés ;
  • Le référencement de la box de GASTRON’HOME sur les deux principaux sites de référencement de box, concomitamment au référencement de celles de GOURMIBOX.

Compte tenu de la situation de concurrence directe entre les parties et des éléments relevés ci-avant, la Cour d’appel de Paris a considéré que le demandeur avait eu connaissance de l’usage effectif de la marque bien avant l’envoi de sa mise en demeure. Elle a donc estimé qu’il avait sciemment toléré l’usage de la marque seconde pendant plus de cinq ans consécutifs et qu’il était donc forclos à agir. 

L’intensité de l’usage de la marque postérieure est indifférente

GOURMIBOX soutenait que GASTRON’HOME n’établissait pas une commercialisation importante des produits sous la marque litigieuse, de sorte qu’elle ne pouvait avoir connaissance de l’usage effectif de cette marque avant mars 2015.

Cet argument n’a pas été retenu par la Cour d’appel de Paris, qui a estimé que « l’article L.716-4-5 du code de la propriété intellectuelle précité n’impose pas l’existence de la preuve d’un usage sérieux de la marque en cause, de sorte qu’il n’est donc pas nécessaire que l’usage ait été quantitativement important ». GOURMIBOX ne pouvait donc pas se prévaloir du « nombre relativement faible de box commercialisées » sous la marque « LA GOURMET BOX » pour prétendre qu’elle n’avait pas connaissance de l’usage de cette marque. 

Une solution cantonnée aux secteurs de niche ? 

Une interrogation subsiste quant à la portée de cet arrêt, la Cour d’appel insistant sur le fait que les parties étaient en situation de concurrence directe sur un marché de niche – celui de la commercialisation de produits d’épicerie fine sous forme de box. Le demandeur pouvait donc difficilement ignorer les activités du défendeur, d’autant plus que le lancement de la marque seconde avait été relayé sur plusieurs sites spécialisés et accompagné d’ « efforts conséquents de communication ».

L’arrêt ne semble donc pas intégralement transposable à tous les marchés, et notamment à ceux sur lesquels opère une multitude de concurrents dont l’activité n’est pas nécessairement relayée par la presse spécialisée.

En tout état de cause, les titulaires de marques doivent donc veiller à surveiller les dépôts et usages des marques similaires aux leurs, particulièrement lorsque ces dépôts sont effectués par leurs concurrents et/ou sur un marché de niche. Ils devront également s’attacher à documenter la preuve de leur découverte de cet usage de la marque seconde et assigner son titulaire le plus tôt possible, et en tout état de cause dans le délai de cinq ans suivant cette découverte.

Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 13 avril 2022, n°21/12002 (non publié)


[1] Article L. 716-4-5 du Code de la propriété intellectuelle

[2] Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période. En application de cette ordonnance, les délais échus pendant la période du 12 mars au 23 juin inclus ont été automatiquement prorogés de deux mois.

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