La Cour d’appel de Paris a jugé que le bailleur d’un local commercial dont les services permettent à son locataire de commercialiser des produits contrefaisants peut être qualifié d’intermédiaire.
Quatre sociétés, chacune titulaire de plusieurs marques, (les « Sociétés ») avaient constaté la vente d’articles contrefaisants dans divers magasins et stands d’un marché.
Ne parvenant pas à faire cesser ces agissements, les Sociétés avaient assigné le locataire de l’un des stands (le « Locataire ») en contrefaçon de marques devant le Tribunal de grande instance de Paris. Elles avaient également fait le choix d’impliquer le propriétaire et bailleur de ce local (le « Bailleur ») afin qu’il lui soit ordonné de prendre des mesures propres à faire cesser les actes litigieux.
Le Tribunal avait fait droit à ces demandes et enjoint le Bailleur, en sa qualité d’intermédiaire, à procéder à la résiliation du bail et à l’éviction du Locataire dans un délai de dix mois à compter de la signification du jugement. Le jugement prévoyait également que le Bailleur serait solidairement tenu au paiement des sommes dues par le Locataire au titre de la contrefaçon s’il ne satisfaisait pas à l’injonction.
Insatisfait, le Bailleur avait fait appel de ce jugement.
Dans un arrêt du 8 mars 2023, la Cour d’appel de Paris a confirmé la qualité d’intermédiaire du Bailleur, mais a écarté la sanction prévue dans le cas où il ne se conformerait pas au jugement.
La qualité d’intermédiaire du bailleur permet de le contraindre à prendre toute mesure de nature à faire cesser et/ou à prévenir les actes de contrefaçon commis par son locataire
Issu de la transposition de la directive 2004/48[1], l’article L. 716-4-6 du Code de la propriété intellectuelle permet au titulaire de marques d’obtenir, en référé ou sur requête, d’un intermédiaire, dont le prétendu contrefacteur utilise les services, qu’il prenne toute mesure destinée à :
- prévenir une atteinte imminente à la marque ; ou
- à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon.
La notion d’intermédiaire a été explicitée par la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») qui a jugé que l’opérateur qui fournit à des tiers un service de location d’emplacements sur une place de marché physique ou d’hébergement sur une place de marché en ligne doit être qualifié d’intermédiaire[2].
En l’espèce, le Bailleur soutenait que l’absence de relations avec le Locataire, autre que la mise à disposition du local commercial, était insuffisante pour le qualifier d’intermédiaire.
Néanmoins, faisant application de la jurisprudence européenne, la Cour a jugé que le Bailleur pouvait valablement être qualifié d’intermédiaire dès lors qu’il mettait à disposition un local permettant au Locataire de vendre des marchandises contrefaisantes.
En conséquence, le Bailleur pouvait être enjoint de prendre toute mesure contribuant à mettre fin aux atteintes portées aux marques des Sociétés, mais également à prévenir de nouvelles atteintes de même nature.
Les injonctions et sanctions prononcées à l’encontre du bailleur doivent être proportionnées au but poursuivi
Le Bailleur soutenait encore que les injonctions prononcées à son encontre étaient disproportionnées et inéquitables.
Sur ce point, la Cour a rappelé que les droits de propriété intellectuelle sont protégés, à l’instar du droit de propriété, au titre des droits fondamentaux. De ce fait, le conflit entre les droits de propriété intellectuelle des Sociétés et le droit de propriété du Bailleur sur son local devaient nécessairement être mis en balance dans le cadre du litige.
Reprenant la jurisprudence de la CJUE, la Cour d’appel a précisé que les injonctions faites au Bailleur en sa qualité d’intermédiaire doivent être « effectives et dissuasives » et « équitables et proportionnées »[3]. Aussi, ces injonctions ne doivent en aucun cas être excessivement couteuses ou créer d’obstacle au commerce légitime.
De plus, la Cour a indiqué que le Bailleur, à l’instar de l’hébergeur, n’est pas tenu à une obligation générale et permanente de surveillance de ses clients.
- La proportionnalité de l’injonction faite au bailleur de résilier le bail de son locataire contrefacteur
S’agissant de l’injonction faite au Bailleur de résilier le bail et de procéder à l’éviction du Locataire contrefacteur dans un délai raisonnable, la Cour a jugé qu’elle constituait une mesure adaptée.
Selon elle, cette mesure assure la protection des droits de propriété intellectuelle sans être excessivement onéreuse ou priver le Bailleur de son droit de propriété et de sa liberté de choisir un nouveau locataire.
À cet égard, la Cour a précisé que l’article 1729 du Code civil permet au Bailleur de résilier le bail lorsque son locataire n’use pas « raisonnablement » de la chose louée, comme en l’espèce.
Dès lors, l’injonction faite au Bailleur de résilier le contrat de bail et de procéder à l’éviction de son locataire était proportionnée au but poursuivi, à savoir mettre fin aux actes de contrefaçon commis par le Locataire.
- La disproportion de la sanction consistant à rendre le bailleur solidairement responsable des actes de contrefaçons commis par son locataire
La disposition du jugement prévoyant que le Bailleur serait tenu au paiement des sommes dues au titre de la contrefaçon s’il ne procèdait pas à la résiliation du bail et à l’éviction du Locataire dans le délai imparti a toutefois été jugée disproportionnée.
La Cour a estimé que cette sanction avait un caractère punitif et non dissuasif et qu’une astreinte aurait suffi à dissuader le Bailleur récalcitrant de ne pas se conformer à l’injonction.
Dès lors, la condamnation solidaire du Bailleur a été jugée disproportionnée au but poursuivi. La Cour a donc annulé cette sanction pour lui substituer une astreinte de 500 euros par jour de retard.
Que retenir de cet arrêt ?
- À l’instar de l’exploitant d’une place de marché en ligne, le bailleur d’un local commercial permettant à son locataire de commercialiser des produits contrefaisants doit être qualifié d’intermédiaire.
- L’injonction faite au bailleur de résilier le bail de son locataire contrefacteur est une mesure proportionnée pour mettre fin et prévenir les atteintes portées aux marques d’autrui.
- Le bailleur, en sa qualité d’intermédiaire, ne peut cependant pas être tenu solidairement responsable des actes de contrefaçon commis par son locataire.
Lire l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 8 mars 2023, RG n°21/09769
[1] Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.
[2] CJUE, 7 juillet 2016, aff. C-494/15.
[3] CJUE, 12 juillet 2011, aff. C-324/09.