La marque BOUILLON CHARTIER n’est pas une marque de renommée, faute d’une connaissance suffisante en dehors de la région parisienne

Dans un arrêt du 14 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris a jugé que la marque BOUILLON CHARTIER ne pouvait bénéficier de la protection étendue des marques de renommée et que les codes et standards propres aux brasseries parisiennes ne peuvent faire l’objet d’une appropriation. 

La société Ancien Restaurant est titulaire depuis 1995 de la marque BOUILLON CHARTIER qu’elle utilise comme nom commercial et enseigne pour son restaurant éponyme créé en 1896. 

En novembre 2017, elle a constaté l’ouverture de l’établissement « Bouillon Pigalle » qui reprenait les mêmes codes visuels et le même concept de brasserie parisienne que les siens.

Après deux mises en demeure infructueuses, la société Ancien Restaurant a assigné la société Bouillon Pigalle devant le Tribunal de Grande Instance de Paris pour atteinte à sa marque de renommée et, à titre subsidiaire, pour concurrence déloyale et parasitisme.

Le Tribunal a débouté la société Ancien Restaurant de l’ensemble de ses demandes. 

Dans un arrêt du 14 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement de première instance et considéré que la marque BOUILLON CHARTIER n’était pas une marque de renommée. Elle a également débouté la société Ancien Restaurant de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme.

La marque BOUILLON CHARTIER n’est pas renommée, faute d’une connaissance suffisante par le public en dehors de la région parisienne   

La société Ancien Restaurant demandait à la Cour d’appel de juger que sa marque BOUILLON CHARTIER était renommée et en conséquence d’interdire toute utilisation des termes « Bouillon Pigalle », « Bouillon Service » et « Bouillon République » par l’intimée.

Une marque est considérée comme renommée lorsqu’elle est connue d’une fraction significative du public et dans une partie substantielle du territoire sur lequel elle est enregistrée. 

Cette marque bénéficie d’une protection particulière, qui déroge au principe de spécialité des marques selon lequel leurs titulaires ne peuvent normalement qu’interdire l’usage d’un signe identique ou similaire pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés par la marque. 

À l’inverse, une marque de renommée permet à son titulaire d’empêcher sa reproduction ou son imitation pour des produits et services qui ne sont ni identiques ni similaires à ceux pour lesquels elle est enregistrée, si cet usage est de nature à lui porter préjudice[1].

En l’espèce, l’appelante soutenait que sa marque BOUILLON CHARTIER jouissait d’une renommée certaine. À l’appui de ses allégations, la société Ancien Restaurant produisait plusieurs articles de presse attestant du succès commercial de son restaurant ainsi que plusieurs sondages attestant de la connaissance de sa marque BOUILLON CHARTIER en région parisienne et en France.

Tout en reconnaissant la notoriété de la société, la Cour d’appel a cependant considéré que les éléments apportés n’apportaient pas la preuve de la renommée de la marque sur une partie substantielle du territoire français et auprès d’une fraction significative du public pertinent à la date des faits.

En effet, si les sondages produits par la société Ancien Restaurant indiquaient que 37% des sondés en région parisienne connaissaient le restaurant le Bouillon Chartier, seuls 6% des sondés à l’échelle nationale le citaient spontanément parmi les restaurants parisiens « bon marché ». 

En conséquence, faute de connaissance suffisante sur une partie substantielle du territoire français de la marque BOUILLON CHARTIER, la Cour d’appel a débouté la société Ancien Restaurant de ses demandes relatives à l’atteinte à une marque de renommée.

La reprise des codes propres aux brasseries parisiennes ne constitue pas un acte de concurrence déloyale et parasitaire 

À titre subsidiaire, l’appelante demandait la condamnation de la société Bouillon Pigalle au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme.

Elle lui reprochait d’avoir repris le concept du bouillon traditionnel tel qu’elle l’avait réinventé, ce qui aurait entraîné un risque de confusion dans l’esprit du public. Elle estimait également que la société Bouillon Pigalle avait commis des actes de parasitisme en s’inscrivant dans son sillage, et avait profité de sa notoriété auprès du public parisien.

La Cour d’appel de Paris a d’abord rappelé que les notions de concurrence déloyale et de parasitisme devaient s’apprécier au regard du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, « qui implique qu’un produit ou un service qui ne fait pas l’objet d’un droit de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou par l’existence d’une captation parasitaire ».

La Cour d’appel de Paris a ensuite repris le raisonnement du Tribunal de Grande Instance de Paris qui avait jugé que le terme « bouillon » désignait « un type de restaurant populaire né à la fin du 19ème siècle, ayant connu son plein essor à la Belle Époque » pour ainsi juger que la société Ancien Restaurant ne pouvait revendiquer être à l’origine du concept de « bouillon »

Les juges d’appel ont également estimé que les codes standards et traditionnels de la restauration de type brasserie – couleur rouge, plats classiques, prix modérés, tenue des serveurs, etc. – n’étaient pas appropriables au regard du principe de la liberté de commerce. Dès lors, leur reprise ne pouvait pas être fautive. 

Sur le parasitisme, la Cour d’appel a jugé que la reprise du concept du bouillon pour le faire évoluer vers celui d’une brasserie ne constituait pas « une valeur économique individualisée protégeable en tant que telle ». Dans ces conditions, il ne pouvait être reproché à la société Bouillon Pigalle de s’être placée dans le sillage de la société Ancien Restaurant. 

Enfin, la Cour d’appel a considéré que l’usage par la société Bouillon Pigalle des dénominations « Bouillon » et « Bouillon Service » à titre de nom de domaine ou d’identifiant sur les réseaux sociaux ne résultait pas d’agissements fautifs puisque, le terme « bouillon » étant un terme générique, la société Ancien Restaurant ne pouvait se l’approprier.

Les juges ont également considéré que la confusion n’était pas caractérisée – la société Bouillon Pigalle étant systématiquement mentionnée sur son site Internet et ses comptes de réseaux sociaux, de sorte que les consommateurs pouvaient toujours identifier l’opérateur du service en cause. 

Que retenir de cet arrêt ? 

  • La renommée d’une marque ne peut être établie qu’en apportant la preuve d’une renommée sur une partie substantielle du territoire français et auprès d’une fraction significative du public. 
  • La reprise des codes et standards propres aux brasseries parisiennes par un concurrent ne constitue pas un acte de concurrence déloyale ou parasitaire. 

Lire l’arrêt n° 20/13260 de la Cour d’appel de Paris du 14 septembre 2022.


[1] Article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction applicable à l’époque des faits

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