e-Réputation : Google condamné à supprimer la fiche d’une professionnelle de santé créée sans son consentement

Le Tribunal judiciaire de Chambéry a jugé que Google avait commis des manquements au RGPD en créant une fiche au nom de cette dentiste sans son accord, et l’a également condamné à indemniser le préjudice moral résultant du dénigrement subit par la professionnelle de santé. 

En 2017, une dentiste a découvert l’existence d’une fiche entreprise « Google My Business »  la concernant. Cette fiche faisait notamment apparaître son nom, son adresse, une notation et des avis liés à son activité professionnelle. 

Certains de ces avis, pour partie anonymes, contenaient des propos particulièrement virulents et dénigrants. 

La dentiste a souhaité obtenir le retrait de ces avis, ainsi que la suppression de sa fiche dont elle n’avait pas sollicité la création et dont elle estimait qu’il s’agissait d’un traitement de données personnelles mis en œuvre illicitement. 

Après deux mises en demeure adressées à Google et restées infructueuses, suivis d’une action en référé qui n’a pas prospéré, la professionnelle de santé a saisi le Tribunal Judiciaire de Chambéry aux fins d’obtenir la suppression de sa fiche entreprise et l’indemnisation, par Google[1], des préjudices résultant des avis dénigrants dont elle faisait l’objet. 

La demanderesse invoquait notamment des violations du droit de la protection des données personnelles, des actes de dénigrement dont Google avait tiré profit, et des agissements parasitaires commis par cette dernière. 

Dans un jugement du 15 septembre 2022, le Tribunal judiciaire de Chambéry lui a donné raison. 

Les fiches Google poursuivent une finalité de prospection commerciale 

Pour être licite, un traitement de données doit reposer sur l’une des six bases légales prévues par l’article 6 du RGPD, parmi lesquelles figurent le consentement de la personne concernée et l’intérêt légitime du responsable de traitement. Le traitement doit par ailleurs reposer sur une finalité déterminée, explicite et légitime. 

Google invoquait précisément son intérêt légitime à traiter les données personnelles des professionnels aux fins de constituer un annuaire universel en ligne poursuivant un objectif d’information des internautes, et mettait en avant la totale gratuité de ses services. 

Le Tribunal s’est interrogé sur l’écart entre la finalité affiché par Google et l’intérêt réel qu’elle poursuit. 

Suivant l’adage « si c’est gratuit, c’est toi le produit », le Tribunal a estimé que l’intérêt économique d’un moteur de recherche n’est pas de devenir un annuaire universel, même s’il contribue à cet objectif, mais d’inciter les professionnels à avoir recours à ses services. 

En l’occurrence, les professionnels n’ont pas d’autre choix que de subir la création d’une fiche par Google au nom de leur entreprise, sans qu’ils n’en aient été informés ni qu’ils y aient préalablement consenti, et sous laquelle les internautes peuvent anonymement publier des avis.

Ces professionnels sont contraints de créer un compte Google pour répondre aux avis – ce que, selon le Tribunal, « un professionnel consciencieux » sera conduit à faire en cas d’avis négatif. 

Les professionnels sont alors amenés à recevoir des emails de prospection et des incitations à recourir aux services de Google, gratuits et payants. 

Même en ayant recours seulement aux services gratuits proposés par Google, la participation à ce système d’ e-réputation se fait au profit de Google. 

Par conséquent, le Tribunal a estimé que Google poursuivait une finalité « cachée » de prospection commerciale, qui ne correspond pas à la finalité affichée d’information du public que Google prétendait poursuivre au regard des motivations réelles de cette dernière.  

L’intérêt légitime de Google ne prévaut pas sur les droits et libertés fondamentaux des professionnels

Concernant l’intérêt légitime de Google, le Tribunal a rappelé la nécessité, pour le responsable de traitement qui l’invoque, d’effectuer une mise en balance entre l’intérêt légitime allégué et les droits et libertés fondamentaux des personnes concernées. 

En se livrant à cette analyse, le Tribunal a relevé que Google n’avait mis en place aucune mesure de nature à identifier les auteurs des avis et d’en vérifier la fiabilité.

Les juges ont pris pour point de comparaison les mesures adoptées par d’autres plateformes telles qu’Airbnb et Blablacar, qui prévoient un principe de notation réciproque entre l’utilisateur et le professionnel et réservent la notation aux seuls usagers des services. 

Le Tribunal relève également que les avis Google sont notoirement utilisés pour « se faire de l’autopromotion ou [pour] dénigrer un concurrent », ce qui est rendu possible par l’absence de mesure permettant de prévenir ces abus, ces comportements étant également favorisés par la « fâcheuse tendance » de l’internaute anonyme à oublier « tout sens de la modération voire tout sens commun ». 

Or, la publication d’avis négatifs peut considérablement nuire à la réputation d’un professionnel, avec, en conséquence, des répercussions sur sa vie professionnelle et personnelle. 

De l’autre côté de la balance, l’intérêt légitime invoqué par Google consistant à informer le public en constituant un annuaire universel combiné à la possibilité, ouverte à tous, de donner son avis sur chaque professionnel était fortement contestable au regard de la finalité commerciale que le Tribunal a mise en lumière. 

Il résulte de cette analyse que les sociétés Google n’ont « absolument pas procédé à une pondération entre leur intérêt légitime de participer à l’information et les droits et intérêts des personnes dont les données sont traitées ». 

Pour toutes ces raisons, le Tribunal judiciaire a estimé que Google ne justifiait pas d’un intérêt légitime suffisant lui permettant de fonder son traitement sur cette base légale, et qu’il aurait dû obtenir le consentement des personnes concernées.

Google est tenue de supprimer les fiches Google My Business en cas de demande d’opposition et d’exercice du droit à l’oubli d’un professionnel 

Le Tribunal a également relevé d’autres manquements de Google à ses obligations. 

Les juges ont dans un premier temps reconnu que Google avait manqué à ses obligations de transparence et de loyauté, Google n’ayant pas informé la dentiste de la collecte et du traitement de ses données personnelles pour la création de sa fiche entreprise. 

Par ailleurs, la dentiste s’opposait au traitement de ses données au motif que le traitement mis en œuvre était illégal pour les raisons décrites précédemment. 

Google estimait ne pas avoir à faire droit à cette demande en invoquant l’exercice de son droit à la liberté d’expression et le droit au public à être informé. Cet argument n’a pas prospéré au regard de la finalité de prospection commerciale identifiée par le Tribunal. 

Le Tribunal a également relevé que la fiche entreprise de Google impliquait la réalisation d’un profilage de la dentiste dans la mesure où il permettait d’analyser « des éléments concernant son rendement au travail (…) sa capacité à bien soigner ses patients, sa compétence, sa fiabilité et son comportement ». 

Dès lors, les juges ont estimé que la dentiste était fondée à s’opposer au traitement de ses données. 

Ils ont également fait droit à sa demande d’effacement des données qui la concernent, et condamné Google à supprimer sa fiche entreprise. 

Condamnation de Google pour dénigrement en l’absence de vérification des avis publiés

Enfin, la dentiste demandait la condamnation de Google, sur le fondement de sa responsabilité délictuelle, au paiement de dommages et intérêts pour dénigrement et agissements parasitaires. 

Sur le dénigrement, le Tribunal a noté que des avis dénigrants avaient été publiés sur la fiche entreprise de la demanderesse. Google arguait que les avis contenaient des propos factuels qui ne pouvaient être constitutifs de dénigrement. 

Les juges ont partiellement accueilli cet argument et ont relevé que « laisser croire que des professionnels réalisent des profits excessifs ou réalisent des actes délictueux constitue du dénigrement ». 

Ils ont également relevé que Google ne rapportait pas la preuve que les avis litigieux reposaient sur une base factuelle suffisante dans la mesure où ces derniers n’étaient pas vérifiés préalablement à leur publication. 

Le Tribunal a alors condamné la société Google pour dénigrement, estimant que cette dernière profitait directement des avis dénigrants puisque la publicité adressée aux professionnels était basée « sur la possibilité d’améliorer les avis Google et la visibilité de l’entreprise ».

Les juges ont également reconnu que Google avait commis des agissements parasitaires en créant des fiches aux professionnels sans leur accord, tout en les empêchant d’en obtenir la suppression. 

En conséquence, le Tribunal a jugé que Google tirait indument profit de la réputation des professionnels pour vendre ses propres services. 

Le Tribunal a condamné Google au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral, à la suppression de la fiche litigieuse sous astreinte de 100 euros par jour de retard et à 20 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Que retenir de ce jugement ? 

  • La création de fiches entreprises sur Google n’a pas pour finalité l’information du public, même si son service tend également à cet objectif. En réalité, l’objectif poursuivi par le traitement mis en œuvre est de permettre à Google d’effectuer des activités de prospection commerciale.
  • L’intérêt légitime de Google d’informer le public en constituant un annuaire universel ne prévaut pas sur les droits et libertés fondamentaux des personnes concernées, susceptibles de subir des conséquences négatives importantes du fait d’avis publiés sans vérification de leur authenticité. 
  • Les professionnels fichés dans le service Google My Business peuvent demander la suppression de leur fiche sur le fondement de leur droit d’opposition et de leur droit à l’oubli.
  • Google peut être tenue responsable des avis dénigrants publiés sur son service Google My Business qu’elle s’est abstenue de retirer malgré leur signalement. 

Lire le jugement du Tribunal judiciaire de Chambéry du 15 septembre 2022 (sur legalis.net)


[1] Les sociétés SARL GOOGLE France, GOOGLE LLC et GOOGLE IRELAND LIMITED étaient assignées. Notons que la SARL GOOGLE FRANCE, qui exerce une activité marketing n’a pas été mise hors de cause comme elle le demandait. 

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