Action en paiement du juste prix d’une invention hors mission : le salarié doit démontrer la brevetabilité de l’invention

La Cour d’appel de Paris a rappelé que pour bénéficier du régime légal de l’invention salariée, le salarié doit démontrer que son invention est brevetable.

Dans un arrêt du 16 mars 2022, la Cour d’appel de Paris a débouté un ancien salarié d’une entreprise de son action en paiement du juste prix d’un prototype qu’il qualifiait d’invention.

En l’espèce, un ingénieur informatique salarié d’une société de conseil en systèmes et logiciels informatiques, a créé et développé un prototype de visualisation 3D. Quelques mois plus tard, il a déclaré l’invention à son employeur afin de s’en faire attribuer un juste prix.

À la suite de son licenciement pour motif disciplinaire, il a sollicité auprès de son ancien employeur la régularisation d’un accord portant sur les droits de propriété intellectuelle afférents audit prototype. Faute d’accord, l’ancien employé a assigné la société devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. Il demandait que le prototype soit qualifié d’invention salariée hors mission attribuable à l’employeur, et l’allocation en conséquence d’un juste prix en contrepartie de la cession de ses droits sur l’invention à ce dernier.

Formalisme de la déclaration de l’invention à l’employeur

Aux termes de l’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle[1], l’employeur a le droit de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l’invention que son salarié a réalisée. Les inventions salariées relèvent de trois catégories : l’invention de mission, l’invention hors mission dite attribuable et l’invention hors mission dite non attribuable. 

Ce régime légal s’applique, à défaut de stipulation contractuelle plus favorable, aux inventions réalisées dans le cadre d’un contrat de travail soumis au droit français. 

Lorsque l’invention en question relève de la catégorie de l’invention hors mission attribuable, son attribution à l’employeur oblige ce dernier à payer au salarié inventeur un « juste prix »[2]. Cela couvre les situations dans lesquelles l’invention a été réalisée (i) en dehors de toute mission inventive du salarié, et (ii) entre dans le domaine d’activité de l’entreprise ou (iii) a été réalisée grâce aux moyens techniques et connaissances mis à la disposition du salarié par l’entreprise. 

Pour bénéficier de ce juste prix, le salarié doit immédiatement déclarer à l’employeur qu’il est à l’origine de l’invention[3]. Cette déclaration comporte un certain nombre d’informations relatives à l’invention, devant permettre à l’employeur de déterminer la qualification de celle-ci, à savoir[4] :

  • l’objet de l’invention ainsi que les applications envisagées ; 
  • les circonstances de sa réalisation ;
  • le classement de l’invention tel qu’il apparaît au salarié (inventions de missions, inventions hors missions attribuables ou non).

L’employeur dispose ensuite de quatre mois à compter de la réception de la déclaration du salarié pour exercer son droit d’attribution sur l’invention, en lui précisant la nature et l’étendue des droits qu’il entend se réserver[5].

En l’espèce, le salarié n’avait pas respecté le formalisme requis dans la mesure où il n’avait adressé à son employeur qu’une série de courriers électroniques qui ne comportaient aucune définition de l’invention, mais seulement ses applications envisagées. En outre, le salarié n’avait à aucun moment indiqué les circonstances de la réalisation de l’invention, ni la qualification qu’il lui attribuait. 

Le statut d’invention de salariés est conditionné à la brevetabilité 

L’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle règle les questions d’attribution de propriété en cas d’invention réalisée par le salarié d’une entreprise. Ce régime ne s’applique donc logiquement qu’aux inventions susceptibles d’être brevetées. 

Selon l’article L.611-10 du Code de la propriété intellectuelle[6], est brevetable la création technique qui est (i) nouvelle, (ii) inventive, et (iii) susceptible d’application industrielle. 

Or, en l’espèce, l’ancien salarié ne rapportait pas la preuve de la brevetabilité de l’invention. Le procès-verbal de constat d’huissier communiqué en première instance par l’employé ne contenait qu’une description du prototype, qui ne permettait pas d’apprécier son contenu. La Cour fait le même grief aux autres documents versés par le salarié en cause d’appel. 

Ainsi, faute d’identifier le contenu de l’invention revendiquée et de démontrer sa brevetabilité, le demandeur ne pouvait se prévaloir d’une invention salariée.

Les logiciels ne peuvent bénéficier du statut des inventions de salariés

Quand bien même elles pourraient en principe remplir les conditions de brevetabilité, certaines innovations ne peuvent légalement faire l’objet d’un brevet. C’est par exemple le cas des programmes d’ordinateur (ou logiciels) qui, aux termes de l’article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle, sont expressément exclus de la protection par les brevets.

En l’espèce, les défendeurs opposaient au demandeur les pièces par lui produites aux débats, faisant apparaître que « son invention prétendue consiste en un programme ou un concept, lesquels ne sont pas brevetables ». 

L’ancien employé affirmait au contraire que son invention pouvait être brevetable tout en soutenant parallèlement « qu’il existe un ‘volet droit d’auteur’ portant sur ces prototypes pour lesquels ‘il est sans doute nécessaire d’envisager le versement de rentes ou ’royalties’ ».

À ce titre, l’article L. 113-9 du Code de la propriété intellectuelle[7] précise que les droits patrimoniaux sur les codes sources de logiciels et leur documentation créés par un salarié dans l’exercice de ses fonctions sont en principe automatiquement dévolus à l’employeur. Cette dévolution automatique n’ouvre pas le droit à une rémunération supplémentaire ou à un juste prix, contrairement aux inventions de salariés, et ne nécessite aucun formalisme particulier. 

L’employeur relevait cet argument et arguait que l’ancien employé n’apportait pas la preuve d’une quelconque originalité de son prototype. 

Ainsi, faute de rapporter la preuve de la brevetabilité de son invention et d’une quelconque exploitation de celle-ci par l’employeur, le salarié appelant est débouté de sa demande au titre du droit des brevets. La demande au titre du droit d’auteur est pareillement rejetée en l’absence de démonstration de l’originalité de son programme.  

Lire l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 16 mars 2022 (RG n° 20/07721) sur Lamyline.fr (réservé aux abonnés)


[1] Article L.611-7 du Code de la propriété intellectuelle

[2] Article L.611-2 Alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle

[3] Article L. 611-7 et R. 611-1 du Code de la propriété intellectuelle

[4] Décret n° 95-385 du 10 avril 1995 relatif à la partie Réglementaire du code de la propriété intellectuelle, articles R. 611-1 et suivant.

[5] Article R.611-7 du Code de la propriété intellectuelle. Voir également notre billet relatif à la possibilité pour l’employeur de céder le droit portant sur une invention de mission développée par un salarié.

[6] Article L.611-10 du Code de la propriété intellectuelle

[7] Article L.113-9 du Code de la propriété intellectuelle

Ne manquez pas nos prochaines publications

Votre adresse email est traitée par FÉRAL afin de vous transmettre les publications et actualités du Cabinet. Vous pouvez vous désabonner à tout moment. Pour en savoir plus sur la manière dont sont traitées vos données et sur l’exercice de vos droits, veuillez consulter notre politique de protection des données personnelles.

Rechercher
Fermer ce champ de recherche.