La Cour d’appel de Paris a jugé abusives et/ou illicites plusieurs centaines de clauses insérées dans différentes versions des CGU d’un réseau social et l’a condamné à réparer le préjudice ainsi causé à l’intérêt collectif des utilisateurs.
Une association de consommateurs français (l’« Association ») avait assigné un réseau social afin de faire constater le caractère abusif ou illicite de 269 clauses présentes dans différentes versions des conditions générales d’utilisation (les « CGU ») et politiques de confidentialité de la plateforme.
L’Association entendait obtenir que les clauses litigieuses soient supprimées ou réputées non écrites ainsi que l’octroi de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs, utilisateurs du réseau social.
Le Tribunal de grande instance de Paris ayant fait droit aux demandes de l’Association, le réseau social avait fait appel du jugement.
Dans un arrêt du 14 avril 2023, la Cour d’appel de Paris a jugé abusives et/ou illicites un grand nombre de clauses litigieuses et a ordonné leur suppression par le réseau social dans l’ensemble des versions des CGU encore applicables aux consommateurs.
La gratuité des services fournis n’exclut pas l’application des dispositions du Code de la consommation relatives aux clauses abusives ou illicites
Le réseau social soutenait que les dispositions du Code de la consommation relatives aux clauses abusives n’étaient pas applicables en l’espèce en raison de la gratuité des services fournis aux utilisateurs.
La Cour d’appel a, dans un premier temps, rappelé la portée extraterritoriale de la législation française en matière de clauses abusives et illicites.
En effet, la circonstance selon laquelle les CGU étaient régies par la loi californienne était indifférente, les dispositions protectrices des consommateurs ayant vocation à s’appliquer dès lors qu’il existe un « lien étroit » entre le contrat et la France[1].
En l’espèce, la Cour a jugé, au regard des dispositions de l’article L. 231-1 du Code de la consommation, qu’il existait un lien étroit entre les CGU et la France dans la mesure où :
- les consommateurs concernés résidaient habituellement sur le territoire français ;
- le contrat avait été conclu en France ; et
- le réseau social dirigeait son activité, sur laquelle portait le contrat, vers le territoire français (les CGU étant proposées en langue française dès l’ouverture du site Internet).
Si les dispositions relatives aux clauses abusives étaient applicables aux CGU soumises au droit étranger, il appartenait encore à la Cour de vérifier leur applicabilité dans le cadre d’un contrat portant sur la fourniture de services à titre gratuit.
Se fondant sur la directive européenne[2] à l’origine du régime français, la Cour d’appel a jugé que le champ d’application de cette directive n’était pas restreint aux seuls contrats à titre onéreux dès lors qu’elle vise expressément « tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ».
La qualification de contrat de consommation dépend donc de la qualité des parties et non de l’objet du contrat. Aussi, les dispositions du Code de la consommation étaient applicables aux CGU.
La Cour a tout de même entendu préciser que, contrairement à ce que soutenait le réseau social, les services, objet des CGU, n’étaient pas fournis à titre gratuit. Le fait que le réseau social indique monétiser les informations personnelles et les contenus partagés par les utilisateurs suffisait à qualifier les CGU de contrat à titre onéreux.
Le caractère abusif et/ou illicite d’une clause peut résulter du non-respect de la règlementation applicable en matière de protection des données personnelles
Les clauses abusives sont définies comme celles qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties[3].
Sont par exemple présumées abusives, les clauses qui imposent au consommateur, en cas de non-respect de ses obligations, une pénalité importante ou encore la clause permettant à un professionnel de résilier unilatéralement un contrat sans préavis d’une durée raisonnable.
- Clauses permettant la suspension ou la suppression des services par le réseau social
Une série de clauses portant sur la possibilité pour le réseau social de supprimer ou de suspendre de façon discrétionnaire et unilatérale ses services était soumise à l’analyse de la Cour d’appel.
La Cour a indiqué que les dispositions du Code de la consommation ne s’opposent pas à ce que le professionnel puisse apporter des modifications unilatérales au contrat à condition que ces modifications soient liées :
- au service objet du contrat et que le consommateur en ait été averti dans un délai raisonnable pour qu’il puisse, le cas échéant, résilier le contrat ; ou
- à l’évolution technique et n’impliquent ni augmentation des prix ni altération de la qualité et des caractéristiques au regard desquels l’engagement du consommateur était subordonné[4].
En l’espèce, la Cour d’appel a relevé que les clauses litigieuses ne donnaient aucune indication sur les raisons de la suspension et/ou de la suppression des services décidée par le réseau social. Il n’apparaissait pas non plus que ces modifications soient conditionnées à une éventuelle évolution technique. En outre, aucun droit de réponse, information préalable ou mise en demeure permettant de recueillir le consentement de l’utilisateur n’était prévu.
Dès lors, ces clauses ont été jugées abusives.
- Clauses relatives à la licence accordée au réseau social sur les contenus publiés par les utilisateurs
Les juges du fond se sont ensuite penchés sur les clauses relatives à la licence accordée au réseau social par les utilisateurs sur les contenus qu’ils publient.
La Cour a, dans un premier temps, considéré que ces clauses, qui traitent de l’édition de contenus par les utilisateurs et de leur utilisation par le réseau social, définissaient l’objet principal du contrat et échappaient donc, a priori, au mécanisme des clauses abusives.
En effet, les clauses qui portent sur la définition de l’objet principal du contrat échappent généralement au mécanisme des clauses abusives sous réserve qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
En l’espèce, la Cour a, dans un second temps, relevé que ces clauses ne répondaient pas à l’impératif de clarté et d’intelligibilité et pouvait de ce fait être jugées abusives si elles créaient un déséquilibre significatif au détriment des utilisateurs.
Or, ces clauses ne fixaient aucune limite quant aux modifications que le réseau social pouvait apporter aux contenus, à l’étendue de l’autorisation qui lui était donnée pour mettre à disposition ces contenus au « reste du monde ». Ces clauses prévoyaient également que l’utilisateur autorisait, en plus du réseau social, d’autres personnes à réutiliser ses contenus, sans toutefois préciser l’identité de ces personnes, engendrant ainsi un déséquilibre significatif au détriment des utilisateurs.
- Clauses portant sur les données personnelles des utilisateurs
L’Association soutenait encore que certaines clauses de la politique de confidentialité, intégrée aux CGU, ne respectaient pas les dispositions de la Loi Informatique et Libertés (la « LIL ») et devaient de ce fait être considérées comme abusives et/ou illicites.
Suivant le raisonnement de l’Association, la Cour a jugé que plusieurs clauses relatives aux consentements des utilisateurs, à la collecte et au traitement de leurs données personnelles contrevenaient à la LIL et créaient ainsi un déséquilibre entre les droits et obligations des parties.
La Cour a notamment reproché au réseau social de présumer le consentement de l’utilisateur au transfert de ses données dans l’hypothèse où l’activité du réseau social serait transférée à une société tierce. Outre le fait que ces clauses étaient illicites, car contraires à la LIL, elles ont été jugées abusives au regard des dispositions du Code de la consommation qui prévoient que la clause permettant au professionnel de céder son contrat sans l’accord du consommateur est présumée abusive[5].
À également été qualifiée d’abusive la clause présumant le consentement des représentants légaux des mineurs de plus de 13 ans pour l’utilisation des services et la collecte de leurs données personnelles.
En conséquence, la Cour d’appel de Paris a ordonné la suppression des clauses jugées abusives et/ou illicites et a condamné le réseau social au paiement de 50 000 euros de dommages et intérêts au vu du nombre de clauses et d’utilisateurs concernés ainsi que de la durée de l’atteinte.
Que retenir de cet arrêt ?
- Les conditions d’utilisation d’un réseau social dirigeant son activité vers le territoire français sont soumises aux dispositions du Code de la consommation relatives aux clauses abusives, peu important que les services soient fournis à titre gratuit ou onéreux.
- Les clauses contrevenant à la règlementation applicable en matière de protection des données personnelles peuvent être qualifiées de clauses abusives.
Lire l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 avril 2023, RG n° 19/09244
[1] Articles L. 232-1 et L. 232-3 du Code de la consommation.
[2] Directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs.
[3] Article L. 212-1 du Code de la consommation
[4] Article R. 212-4 du Code de la consommation.
[5] Article R. 212-2 5° du Code de la consommation.