Le Tribunal judiciaire de Paris a jugé que l’éditeur d’un site Internet qui maintient la diffusion de photos et vidéos après l’expiration du contrat de cession de droit à l’image engage sa responsabilité civile délictuelle.
Un mannequin avait conclu un contrat de cession de droit à l’image autorisant un photographe à faire un usage commercial des photos et vidéos qu’il avait pris d’elle et notamment à les mettre en ligne sur Internet.
Le contrat prévoyait que cette autorisation était accordée pour une durée de dix ans. En contrepartie, le photographe s’était engagé à verser 10% des gains découlant de la vente des photographies au mannequin.
Deux ans après l’expiration du contrat, le mannequin avait fait constater que les photos et vidéos objet du contrat étaient toujours en ligne sur le site Internet du photographe, et accessibles moyennant un abonnement payant.
S’estimant victime d’une atteinte à son droit à image, le mannequin avait contacté le photographe afin qu’il procède au retrait des contenus litigieux et lui verse une indemnité à raison de l’utilisation frauduleuse et commerciale de son image.
Le photographe avait accepté de supprimer les contenus, mais avait refusé de verser la somme réclamée.
Insatisfait, le mannequin avait – après avoir obtenu les données d’identification de l’éditeur du site Internet qui n’était autre que le photographe – assigné le photographe devant le Tribunal judiciaire de Paris, en réparation du préjudice résultant de la violation de son droit à l’image.
Dans un jugement du 17 mai 2023, le Tribunal a, en partie, fait droit aux demandes du mannequin, formulées sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
Le maintien en ligne de photographies après l’expiration du contrat de cession de droit à l’image engage la responsabilité délictuelle du cessionnaire
Les juges ont rappelé que l’article 9 du Code civil permet à toute personne de s’opposer à la diffusion non autorisée de son image, attribut de sa personnalité.
Aussi, le titulaire de ce droit peut autoriser un tiers à exploiter son image, sous réserve que cet accord stipule clairement les limites de l’autorisation donnée et notamment sa durée, son étendue géographique, la nature de l’utilisation et les supports concernés.
En l’espèce, les parties avaient conclu un contrat de cession de droit à l’image dont la durée était limitée à dix ans.
La diffusion des photos et vidéos ayant perduré après l’expiration de cette période, le mannequin estimait que la violation de son droit à l’image était intervenue en dehors de tout contrat. Elle sollicitait donc la réparation de son préjudice sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
Le photographe estimait, quant à lui, qu’il s’agissait d’un manquement à l’obligation contractuelle relative à la durée de l’autorisation dont la réparation devait nécessairement être demandée sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
Le Tribunal a suivi l’argumentaire de la demanderesse, estimant que le dommage subi par cette dernière découlait non pas d’une inexécution ou d’une mauvaise exécution du contrat, mais du maintien en ligne des photos et vidéos après l’expiration du contrat.
En outre, le maintien en ligne des contenus litigieux ne pouvait s’analyser comme la poursuite de la publication licite antérieure, dès lors qu’aucune disposition du contrat ne prévoyait que les parties seraient tenues par des obligations au-delà du terme de celui-ci.
Les juges ont considéré qu’un tel raisonnement reviendrait à permettre la poursuite artificielle du contrat et à reconnaître l’existence d’une obligation générale et illimitée de ne pas poursuivre la diffusion des contenus.
Le Tribunal a donc jugé que le mannequin était fondé à agir sur le fondement de l’article 9 du Code civil puisque la diffusion litigieuse ne se rattachait pas à l’exécution du contrat de cession.
L’appréciation du préjudice découlant de la violation du droit à l’image
Le mannequin soutenait que l’exploitation non autorisée de son image pendant deux ans lui avait causé un préjudice et sollicitait la réparation de celui-ci à hauteur de 20 000 euros.
En l’espèce, la violation du droit à l’image de la demanderesse ne faisait pas de doute puisque le photographe ne justifiait pas avoir été autorisé à diffuser les contenus litigieux après l’expiration du contrat.
Le Tribunal a donc jugé que l’atteinte au droit à l’image du mannequin était caractérisée.
Afin d’évaluer le préjudice patrimonial subi par la demanderesse, les juges devaient tenir compte de plusieurs éléments, tels que sa notoriété, la durée de l’exploitation, la nature des supports utilisés et la dépréciation de la valeur de son image.
Or, le mannequin ne produisait aucun élément permettant de justifier du montant de son préjudice, et notamment d’établir qu’elle avait conféré une valeur patrimoniale à son image du fait de son activité et de sa notoriété.
En l’absence de ces éléments, le Tribunal a conclu à l’absence de préjudice patrimonial du mannequin.
S’agissant du préjudice moral, si la seule constatation de l’atteinte au droit à l’image ouvre droit à réparation, il appartient toutefois au demandeur de démontrer l’étendue du dommage allégué.
En l’espèce, le Tribunal reconnaissait l’existence du préjudice moral du mannequin dont l’image avait été exploitée sans autorisation pendant deux ans. Néanmoins, la demanderesse ne fournissait aucun élément de preuve supplémentaire permettant de justifier de l’étendue de son préjudice moral.
En outre, les juges ont relevé que le site Internet sur lequel les contenus avaient été diffusés avait une très faible audience et générait des revenus minimes.
En conséquence, le Tribunal a condamné le photographe à verser la somme de 3 000 euros, contre 10 000 euros initialement réclamés, en réparation du préjudice moral subi par le mannequin.
Jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 17 mai 2023 (non publié)