Stream ripping : la question de la licéité de la copie privée à l’ère du streaming reste posée

Le streaming s’est imposé face au téléchargement sur Internet. Si mettre en ligne une œuvre (musique, film, photo, …) nécessite l’autorisation préalable des ayants droit, les internautes ont-ils le droit à la copie privée – exception au droit d’auteur – lorsqu’ils capturent le flux (stream ripping) ?

Le streaming désigne, dans une traduction littérale (de l’anglais « stream »), une « diffusion en flux ». Dans le cas d’un direct, le diffuseur est ainsi maître du moment et du contenu de la diffusion et l’internaute peut décider de se connecter ou non, mais sans pouvoir choisir le contenu ou le moment de la diffusion. Dans le cas d’œuvres protégées stockées et disponibles en ligne (œuvres musicales, audiovisuelle, photographiques …), cette technologie permet à l’internaute – au moyen d’un logiciel fourni habituellement par le site de « diffusion » – d’avoir accès à ces fichiers en lecture seulement mais sans qu’il ait besoin d’effectuer préalablement une copie entière et pérenne par téléchargement sur son disque dur.

Streaming et ripping plébiscités

La popularité exponentielle du streaming suscite de plus en plus l’inquiétude des auteurs et ayants droit en raison, d’une part, de la prolifération sur Internet de sites Internet illicites mettant en ligne des contenus protégés sans l’autorisation préalable des auteurs ou titulaires de droits, et, d’autre part, du développement du stream ripping[1]. Cette technique se développe rapidement, permettant  à  l’internaute de réaliser une copie sur son disque dur en « capturant » ainsi le flux du streaming.

L’opération de streaming suppose que l’œuvre mise en ligne ait été préalablement numérisée – lorsque celle-ci n’est pas créée ab initio – et copiée sur le serveur de l’exploitant du site web où l’œuvre va être accessible. Tant la doctrine que la jurisprudence ont pu confirmer que l’acte de numérisation s’analyse en un acte de reproduction soumis en conséquence à l’accord du titulaire du droit d’auteur ou des droits voisins. De même, pour copier l’œuvre sur le serveur, l’exploitant procède à son « chargement sur une mémoire centrale d’un ordinateur »[2] ou encore à son « stockage (…) sous forme numérique sur un support électronique »[3]entraînant la « fixation matérielle de l’œuvre ». Cette opération s’analyse également en un acte de reproduction soumis à l’autorisation du titulaire du droit d’auteur ou des droits voisins. La reproduction de l’œuvre constitue donc un préalable indispensable à mise en ligne de l’œuvre[4]. Une fois l’œuvre numérique numérisée copiée sur le serveur de l’exploitant, celui-ci peut décider de la mettre en ligne, à la disposition du public, par exemple à partir d’une plateforme d’écoute ou de vidéos en ligne. La question s’est posée de savoir si cette mise en ligne constitue un acte de représentation publique au sens du Code de la propriété intellectuelle (CPI)[5]. La jurisprudence française répond très clairement par l’affirmative : « la représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque[6], nécessitant donc l’accord de l’auteur pour diffuser l’œuvre sur Internet (…). (Ainsi) constitue une atteinte aux droits patrimoniaux sur une œuvre cinématographique, la diffusion de celle-ci en streaming sur un site Internet sans autorisation du titulaire des droits patrimoniaux »[7]. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se prononce également en ce sens puisqu’elle considère que la mise à disposition du public – par voie de streaming – de contenus protégés par le droit d’auteur ou les droits voisins justifie le blocage des sites litigieux[8]. C’est également la position des juges américains qui ont sanctionné le site de streaming musical Grooveshark pour violation massive du droit d’auteur en raison de 5.977 morceaux de musique téléchargés directement et sans autorisation[9].

Jurisprudence « Radioblog »

Le  site web de l’exploitant fournit parfois à l’usager les moyens d’enregistrer de manière pérenne les contenus, à l’exemple du logiciel StationRipper, disponible gratuitement sur Internet. Ces logiciels permettent de capter les flux musicaux de plusieurs plateformes (par exemples de webradios) et de les enregistrer sur le disque dur sous forme de fichiers MP3. Un tel dispositif doit également être soumis à l’autorisation des titulaires de droit, comme le rappelle la jurisprudence, notamment dans l’affaire du site Radioblogclub.fr. Ce site d’écoute à la demande et en streaming de musique fonctionnait à l’aide de liens hypertextes, d’un moteur de recherche fourni par le site et d’un logiciel téléchargeable. Avant sa fermeture au printemps 2007, il référençait automatiquement des listes d’écoute (ou playlists), plus de 800.000 connections par jour et jusqu’à plus de 20 millions de visiteurs par mois.

Le cas de TubeMaster++

En l’absence d’accord conclu avec les sociétés de perception et de répartition des droits, le créateur, le gérant et le responsable juridique de Radioblogclub.fr ont été assignés en contrefaçon de droits d’auteur[10] et condamnés[11] en septembre 2009, et le jugement a été confirmé en appel[12] en mars 2011 (1 million d’euros de dommages et intérêts à verser aux ayants droit, 10.000 euros d’amende et 9 mois de prison avec sursis). La Cour de cassation, saisie à son tour, a confirmé en septembre 2012 la décision d’appel, considérant que « les prévenus ont conçu le logiciel et le site en cause afin de permettre au public d’écouter, au mépris des droits de leurs auteurs et producteurs, des phonogrammes qu’ils savaient protégés (…) » alors que « tout service de communication au public en ligne d’œuvres protégées, sans avoir obtenu les autorisations requises et toute mise à disposition d’un logiciel ayant cette finalité, entrent dans les prévisions des articles (précités) »[13]. De même le créateur du logiciel TubeMaster++ qui permettait d’enregistrer les flux de Deezer et d’autres flux en streaming, a été condamné[14] à des peines d’amendes et à dédommager la Sacem, la SDRM et la SCPP (5000 euros chacun).

La technique du streaming autorise l’usager à lire les données au cours du téléchargement, sans qu’une copie pérenne n’ait à être préalablement effectuée. La question s’est donc posée de savoir si, en écoutant un enregistrement diffusé en streaming, l’usager pouvait bénéficier de l’exception visée à l’article L.122-5-6e du CPI ? Cet article autorise « la reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu’elle est une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et qu’elle a pour unique objet de permettre l’utilisation licite de l’œuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d’un réseau faisant appel à un intermédiaire ; toutefois, cette reproduction provisoire qui ne peut porter que sur des œuvres autres que les logiciels et les bases de données ne doit pas avoir de valeur économique propre ». L’acte de reproduction doit donc toujours constituer « une partie intégrante et essentielle du procédé technique ». Tel est bien le cas lorsque l’on analyse le processus technique de diffusion en streaming : la fixation s’opère à la fois dans la mémoire vive et dans la mémoire cache de l’ordinateur. Pour visualiser les contenus, l’usager a recours à des logiciels appropriés et aux ressources de l’hypertexte. Ces contenus sont stockés temporairement dans la mémoire vive de l’ordinateur et les éléments de la consultation sont simultanément et automatiquement, au moyen des logiciels de navigation (de type Internet Explorer, Safari ou autres) stockés dans un fichier temporaire logé dans la mémoire cache. Il faut également que l’acte de reproduction ait pour « unique objet de permettre l’utilisation licite de l’œuvre ou sa transmission ». Tel est bien encore le cas puisque le stockage n’est qu’un procédé technique d’acheminement des signaux permettant à l’internaute de consulter l’œuvre. Son caractère temporaire ne permet aucun acte d’exploitation.

Enfin, il ne doit pas avoir de valeur économique propre. La reproduction réalisée en streaming constitue donc bien une reproduction provisoire au sens de l’article L.122-5 6° du CPI et n’est donc pas soumis à l’autorisation des titulaires de droit.

Mais c’est sans compter la technique du stream ripping qui permet désormais à l’usager de copier un contenu en procédant à l’extraction du fichier caché derrière un flux en streaming. Cette copie s’opérant sur le disque dur, il ne s’agit donc plus d’une reproduction provisoire relevant de l’exception visée à l’article L.122-5-6e du CPI. S’agit-il alors de l’exception de copie privée prévue par l’article L. 122-5 2° du même CPI pour le droit d’auteur et son article L.211-3 pour les droits voisins ? C’est une question à laquelle tente de répondre l’Hadopi[15]. Sous réserve de la licéité de la source, cette exception vise la reproduction d’une œuvre strictement réservée à l’usage privé du copiste et non destinée à l’usage collectif. Selon les défenseurs de cette thèse, le convertisseur opèrerait comme un magnétophone, permettant l’enregistrement destiné à l’usage personnel de l’internaute[16]. Rappelons par ailleurs que le CSPLA a préconisé en octobre 2012 d’appliquer la rémunération pour copie privée au cloud, de plus en plus utilisé pour le streaming[17].

Copie privée : une exception, pas un droit

On rappellera que l’argument de la copie privée, conformément à la jurisprudence « Mulholland drive »[18] de juin 2008, ne constitue pas un droit mais une exception légale au principe prohibant toute reproduction intégrale ou partielle d’une œuvre protégée faite sans le consentement du titulaire de droits d’auteur. Aussi, soit l’auteur a autorisé la reproduction et il est fondé à percevoir une rémunération pour copie privée, soit l’œuvre est diffusée en violation du droit exclusif de l’auteur et la reproduction est illicite.

La question est d’autant plus importante que le stream ripping prend de plus en plus d’importance, l’Hadopi chiffrant à 41 % le nombre de « consommateurs de musiques, de films ou de séries (ayant) déjà utilisé des convertisseurs pour transformer de la musique ou un film diffusés en streaming en ficher audio ou vidéo ». @


[1] Lire le rapport annuel 2013-2014 de l’Hadopi (p.52).

[2]Livre vert de la Commission européenne « Le droit d’auteur et les droits voisins dans la Société de l’information », COM(95 ) 382 final 19 juillet 1995.

[3]Déclaration commune du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, 20 déc. 1996, art. 1.4.

[4]TGI Paris, 18 déc. 2009, Google JCP 2010, n°247, note A. Lucas ; Comm. com. électr. 2010, chron. N°11, Florence-Marie Piriou.

[5] Articles L.122-2 du CPI pour les auteurs, et L.212-3 et L.213-1 du CPI pour les droits voisins.

[6] Article L. 122-2 du CPI.

[7]TGI Paris, 13 juillet 2007, Carion c/ Dailymotion, Juris-Data n°344340 : http://lc.cx/Carion

[8] CJUE, 4e ch., 27 mars 2014, aff. C-314/12, UPC Telekabel Wien GmbH c/ Constantin Film Verleih GmbH, Wega Filmproduktiongesellschaft mbH, RLDI 2014/103, n° 3417,

[9] United States District Court Southerne District of New York, 29 septembre 2014, UMG Recording et autres c/ Grooveshark : http://lc.cx/Grooveshark

[10] Sur le fondement des articles L. 335-4 et L. 335-2-1 du CPI.

[11] TGI Paris 31e ch., 3 sept. 2009 Radioblog c/ SCPP et SPPF : http://lc.cx/Radioblogclub

[12] CA Paris 22 mai 2011 RLDI 2011/71 n°2344

[13] Crim 25 septembre 2012, n° 11/84224, RLDI, 2012, n°88, p.21 note  Lionel

[14] TGI de Nîmes, ch.corr., 28 juin 2013, n° 13/1677, Blogmusik, Sacem et autres/Jérôme G.,Comm. com. électr. 2014, comm. 11, Caprioli É.

[15] Voir le rapport annuel 2013-2014 de l’Hadopi,, p.53.

[16] CA Paris, pole 5, ch. 1, 14 déc. 2011, Sté Wizzgo c/ Sté Métropole Télévision, confirmant TGI Paris, 25 nov. 2008, RIDA 1/2009, p. 219, obs. P. Sirinelli.

[17] Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA). La Sacem est par exemple favorable à une taxe « copie privée » sur le streaming : http://lc.cx/Sacem-Stream

[18]Cass., Civ. 1re, 19 juin 2008, no 07-14.277, Bull. civ. I, no 177, préc. (v. ss no 73.22).

 

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