Les réseaux sociaux et leurs conséquences juridiques

Interview de Maitre Christiane Féral-Schuhl, avocate spécialisée dans les technologies de l’information
Les dernières Assises de la sécurité à Monaco ont été le cadre d’un procès virtuel mettant en cause les dérives des réseaux sociaux. Adeptes et détracteurs de ces nouvelles technologies ont été représentés par des acteurs majeurs de l’internet. Maitre Christiane Féral-Schuhl –  candidate au Bâtonnat de Paris, cofondatrice de Féral-Schuhl / Sainte-Marie, cabinet dédié à l’informatique et aux technologies – a tenu le rôle clé d’avocate de la partie civile. Elle est également auteur de l’ouvrage de référence  « Cyberdroit, le droit à l’épreuve de l’internet » dont la 6° édition a été publiée en septembre dernier par Dalloz. Dans cette interview, Maitre Christiane Féral-Schuhl détaille les violations des réseaux sociaux en matière de vie privée ainsi que les réponses juridiques et culturelles qu’il serait nécessaire de mettre en place pour tenter d’y remédier.

Y a-t-il de nombreuses plaintes d’entreprises à raison de l’accès par leurs employés de leurs réseaux sociaux sur le lieu du travail ?

Il est certes trop tôt pour parler de contentieux. Toutefois, le sujet devient une préoccupation majeure pour tous les chefs d’entreprises qui sont, depuis la promulgation de la loi Hadopi, juridiquement responsables de la connexion professionnelle qu’ils mettent à la disposition de leurs employés. Ces derniers peuvent accéder aux réseaux sociaux à titre personnel ou à titre professionnel. Si les entreprises hésitent à interdire purement et simplement l’accès aux réseaux sociaux, ils souhaitent l’encadrer afin d’éviter les fuites possibles de données sensibles. Un chercheur du département de R&D, habitué au travail collaboratif, peut parfaitement livrer des données confidentielles sans s’en rendre compte. Bien sûr, il y a eu des cas de fuites, mais les entreprises préfèrent ne pas en parler, encore moins aller jusqu’au procès car cela pourrait nuire fortement à leur image de marque. La prise de conscience est effective. Les entreprises prennent des mesures afin d’éviter de telles situations tout en respectant les règles applicables, lesquelles ne sont pas en vigueur chez leurs homologues américains. Il s’agit du principe de transparence qui consiste à informer les employés et, lorsqu’il en existe un, le comité d’entreprise, pour indiquer quelles sont les mesures de contrôle mises en œuvre. Il s’agit également du principe de proportionnalité qui exige que la mesure de contrôle soit « proportionnée » à la finalité.  La frontière vie privée-vie professionnelle est aujourd’hui très difficile à définir car il n’existe plus d’unité de temps et de lieu au travail, l’employé pouvant travailler depuis son domicile ou en dehors des horaires d’ouverture. C’est dans cette zone grise que se cristallisent les problèmes.

En termes de respect de la vie privée, que peut-on reprocher exactement aux réseaux sociaux ?

En premier lieu, lorsque leurs conditions générales prévoient des formules complexes par lesquelles l’adhérent accorde le droit irrévocable, perpétuel, non exclusif, transférable et mondial (avec l’autorisation d’accorder une sous-licence) d’utiliser, copier, publier, diffuser, stocker, exécuter, transmettre, scanner, modifier, éditer, traduire, adapter, redistribuer…  n’importe quel contenu publié, nous sommes en présence d’un certain nombre d’irrégularités ! Sans être exhaustive, j’ai identifié au moins trois infractions au regard de la loi française que j’ai illustré dans ma plaidoirie, dans le cadre du procès virtuel de Rézosocio en faisant valoir : (i) d’une part, que la victime – mon client – avait été dépouillée par Rézosocio de son identité et qu’un tel comportement n’avait rien d’un Robin des Bois du 3ème millénaire car il n’est justifié que par la quête de puissance et d’argent puisque les données acquièrent une valeur marchande évidente (les internautes sont harcelés de publicités et de sollicitations commerciales), (ii) d’autre part, que Rézosocio avait menti par omission, incitant la victime à contracter des engagements perpétuels alors que de telles pratiques sont interdites et que de telles clauses doivent être réputées non écrites (cette règle a une valeur symbolique très forte que j’ai voulu illustrer en faisant un parallèle avec l’esclavage – dépendance de la victime à Rézosocio), (iii) enfin, que la conservation des données doit, conformément à la loi informatique et libertés, être limitée dans le temps et cette durée doit être raisonnable.

Y-a-t-il eu des plaintes individuelles contre les réseaux sociaux ?

Oui, en France comme aux Etats-Unis, particulièrement en Californie, où plusieurs plaintes ont été déposées pour absence de contrôle et atteinte à la vie privée. Le problème est le plus souvent lié à l’impossibilité de retirer des données qui ont été publiées à un instant t, voire de les modifier. Mais cela tient au modèle économique des réseaux sociaux : inciter à publier un maximum de données à caractère personnel permettant à l’éditeur du réseau social d’exploiter une formidable base de données personnelles !

Quelles solutions préconisez-vous pour régler ces problèmes ?

Il faut avant tout responsabiliser les internautes. Le président Barak Obama l’a fait en s’adressant aux étudiants américains. La Commission Européenne a également lancé une campagne d’information auprès des jeunes, dans une soixantaine de pays sur le thème « tu publies ? Alors réfléchis ! ». Il faut généraliser les bonnes pratiques et faire prendre conscience des conséquences. Par exemple, la personne qui publie la photo d’un tiers sur son espace peut porter atteinte à la vie privée de cette personne. Il faut l’inciter à obtenir son accord avant de publier une telle photo. Autre exemple : les réseaux sociaux sont de plus en plus utilisés pour la recherche d’emplois. Mais les jeunes ne savent peut être pas encore qu’un DRH peut décider de ne pas retenir une candidature après avoir examiné le profil de l’intéressé sur Facebook ! Prenez le cas d’un étudiant qui fête l’obtention de son diplôme avec des amis. La vidéo des dérives de cette fête sont mises en ligne, à l’initiative d’un copain, pour rire tout simplement. Les dégâts peuvent être considérables car l’entreprise hésitera à l’embaucher même s’il a le diplôme requis. Cette vidéo restera là des années. Il est donc important de responsabiliser les jeunes sur le fait que leur publication se fait dans des espaces publics qui peuvent être visualisés et qui peuvent leur faire du tort.

Certains préconisent de nouveaux textes, notamment le droit à l’oubli. Prenez l’exemple des moteurs de recherche qui permettent de retrouver de vieux articles relatifs à une affaire déjà jugée et dont l’auteur a pourtant fini de payer sa dette à la société ou a même été relaxé. Dans ce cas précis, la liberté de la presse avancée par les moteurs de recherche s’oppose au droit de prescription. Si certains préconisent le droit à l’oubli, d’autres font valoir qu’il existe un devoir de mémoire. Le juste équilibre n’est pas facile à trouver entre la liberté d’expression sur les réseaux et la protection de la vie privée.

En fait, les réseaux sociaux et l’internet en général, obligent à repenser les fondamentaux du droit.

Pour ma part, j’encourage la mise en ligne de messages d’alertes. Ceux-ci existent bien sur les paquets de cigarettes « fumer peut tuer » ou encore sur les autoroutes « ralentissez, votre vie est en danger ! ». Alors pourquoi pas un message fort du type « attention, vous allez publier dans un espace public ! ».

Les problèmes engendrés par les réseaux sociaux peuvent-il être graves ?

Oui. Je peux vous citer le cas d’une jeune fille originaire d’un pays musulman qui a étudié en France. Elle a été prise en photo lors d’une fête au cours de laquelle elle a dû être droguée, c’est en tous les cas ce qu’elle explique. Les auteurs de ces photos n’ont pas hésité ensuite à la faire chanter, la menaçant de divulguer les photos si elle ne leur versait pas une rançon. Comme elle n’a pas eu les moyens de régler les sommes réclamées, les photos ont été diffusées via Facebook en utilisant son carnet d’adresses, donc notamment à tous les membres de sa famille. Vous pouvez aisément imaginer les conséquences dans un milieu social comme le sien.

Sans aller jusqu’à ce cas extrême, il est fréquent que des internautes regrettent d’avoir publié certains contenus sur lesquels ils n’ont plus aucun contrôle. D’où l’importance de l’autorégulation sur laquelle je me permets d’insister. De même qu’on ne traverse par un rond point les yeux fermés, on ne publie pas sur Facebook sans réfléchir. La réunion du G29 qui regroupent les « CNIL européennes » a émis un avis en juin 2009 rappelant que le droit communautaire sur la protection des données personnelles s’appliquait aux réseaux sociaux.

Si je devais conclure par une phrase, je dirais que les réseaux sociaux sont un outil efficace pour développer votre réseau personnel ou professionnel ….mais à la condition de ne jamais perdre de vue qu’il reste difficile d’en sortir et qu’il ne faut pas en devenir prisonnier.

Propos recueillis par Jo COHEN

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