La lettre recommandée électronique : une première étape de franchie

La lettre recommandée permet de disposer d’une preuve fiable de la date d’un envoi postal et, lorsqu’un accusé de réception est demandé, de la date de sa réception de même que de l’identité de la personne en accusant réception. De nombreux textes de loi prescrivent également que certaines formalités soient réalisées par lettre recommandée.

C’est l’ordonnance n°2005-674 du 16 juin 2005 relative à l’accomplissement de certaines formalités contractuelles par voie électronique qui a créé la possibilité d’avoir recours à la lettre recommandée électronique. Cette ordonnance a introduit dans le Code civil l’article 1369-8 prévoyant qu’une lettre recommandée relative à la conclusion ou à l’exécution d’un contrat puisse être envoyée par courrier électronique. L’article 1369-8 prévoit cependant que l’eLRAR doit être acheminée par un tiers selon un procédé permettant d’identifier ce tiers, de désigner l’expéditeur, de garantir l’identité du destinataire et d’établir si la lettre a été remise ou non au destinataire. La description de ces contraintes techniques était renvoyée par le texte à un décret d’application. Depuis 2005, ce décret se faisait attendre. A tel point que la société Document Channel avait saisi le Conseil d’Etat de cette carence du pouvoir réglementaire. Dans un arrêt du 22 octobre 2010, la Haute juridiction administrative avait enjoint au Gouvernement de prendre le décret dans les 6 mois.

Le 2 février 2011 a donc été publié le décret relatif à l’envoi d’une lettre recommandée par courrier électronique pour la conclusion ou l’exécution d’un contrat. Ce décret décrit le processus d’envoi et d’acheminement d’une eLRAR mais laisse de nombreuses questions dans l’ombre.

Un décret qui recèle des subtilités

Le décret prévoit que les eLRAR seront distribuées par des « tiers chargés de leur acheminement ». N’importe quelle personne physique ou morale respectant les conditions du décret peut exercer cette fonction. C’est ce tiers « achemineur » qui va organiser l’ensemble des opérations relatives à la distribution de l’eLRAR.

D’un usage aujourd’hui naturel, la lettre recommandée voit son régime juridique plus complexe dans le monde électronique que dans le monde physique. Premier facteur de complexité, l’eLRAR est d’une nature hybride : elle peut être à la fois électronique et papier. En effet, remise nécessairement sous forme électronique au tiers achemineur par son expéditeur, l’eLRAR peut ensuite être distribuée soit sous forme électronique, soit sous forme papier. Ce n’est donc pas un document électronique unique, « original », qui va transiter de l’expéditeur au destinataire mais un contenu informationnel dont l’intégrité doit être garantie par le tiers achemineur mais dont le support va « transmuter » au gré de son acheminement.

Comment doit s’opérer le choix entre une distribution sous forme électronique et une distribution sous forme papier ? C’est ici le second facteur de complication car ce choix n’est pas de l’entière liberté de l’expéditeur. Le législateur a entendu faire une distinction selon que le destinataire est un professionnel ou un particulier. Dans le premier cas, dès lors qu’un professionnel a fourni son adresse de courrier électronique, il est réputé avoir accepté de recevoir des recommandés électroniques. En revanche, le particulier doit avoir préalablement accepté de recevoir une missive sous forme électronique. Il faudra donc que le professionnel, qui entend être en mesure d’adresser des eLRAR à sa clientèle composée de particuliers, se ménage la preuve préalable, sous forme papier, de leur consentement à ce mode de communication (on songe notamment aux banquiers ou aux assureurs).

Il convient enfin de préciser que l’eLRAR prévue par l’article 1369-8 du code civil, et son décret d’application du 2 février 2011, ne concerne que la lettre recommandée « relative à la conclusion ou à l’exécution d’un contrat », c’est-à-dire essentiellement les rapports de droit privé. L’utilisation d’une LRAR électronique de « bout en bout » dans une relation avec l’administration, n’est pas envisagée par ce texte.

Le processus de l’eLRAR

Ainsi que nous l’avons indiqué, le décret se borne à décrire le processus que le tiers achemineur devra respecter pour la délivrance d’une eLRAR. Nous allons en reprendre les étapes.

Première étape : le dépôt. Lors du dépôt de l’eLRAR, le tiers achemineur doit recueillir un certain nombre d’informations relatives à l’expéditeur : ses nom et pre?nom ou sa raison sociale, son adresse de courrier e?lectronique et son adresse postale ; le choix de l’expéditeur pour une lettre recommandée avec ou sans avis de re?ception ; le choix de l’expéditeur pour une distribution sur papier ou non et le choix du niveau de garantie contre les risques de perte, vol ou de?te?rioration. Ce dernier choix est pour le moins étonnant car, s’il se conçoit dans le monde physique, il est plus difficile d’imaginer la perte, le vol ou la détérioration d’un courrier électronique puisque celui-ci peut-être réexpédié à l’envi, tant que son destinataire ne l’a pas reçu !

Nécessairement, le tiers achemineur doit obtenir de l’expéditeur les coordonnées du destinataire, à savoir ses nom et pre?nom ou sa raison sociale ainsi que son adresse postale ou de courrier e?lectronique.

Seconde étape : la preuve du dépôt. Le tiers achemineur doit renvoyer par courrier électronique à l’expéditeur, une preuve de dépôt comprenant les informations suivantes : le numéro d’identification de l’envoi et la date et l’heure du dépôt.

Troisième étape : la distribution.  C’est à ce stade que l’eLRAR peut se matérialiser. En effet, si l’expéditeur a demandé une distribution électronique de sa LRAR, le tiers achemineur doit informer le destinataire, par courrier e?lectronique, qu’une eLRAR va lui e?tre envoye?e. Le destinataire dispose alors quinze jours a? compter du lendemain de l’envoi de cette information, pour accepter ou refuser la eLRAR. Il s’agit de la transposition dans le monde électronique du refus de réception du recommandée papier. Le décret prend soin de préciser que le destinataire n’est pas informe? de l’identite? de l’expe?diteur à cette étape. Quoique le décret ne l’indique pas, il faut conclure que si le destinataire ne se manifeste pas, il est présumé refuser l’eLRAR. En cas d’acceptation, le tiers achemineur envoie l’eLRAR « a? destination de l’adresse e?lectronique qui lui a e?te? transmise par l’expe?diteur ».

Quatrième étape : l’accusé de réception. Dans le cas d’une eLRAR avec accusé de réception, le tiers achemineur doit adresser a? l’expe?diteur un courrier e?lectronique indiquant la date et l’heure a? laquelle le destinataire a accepte? ou refuse? de recevoir la lettre recommande?e e?lectronique ou l’absence de prise de connaissance de celle-ci.

Le tiers chargé de l’acheminement devra conserver pendant un an les « preuves » relatives à l’opération d’acheminement réalisée, notamment la date et l’heure de l’envoi de l’eLRAR, ainsi que le document original électronique et son empreinte informatique. Il devra les tenir à disposition de l’expéditeur pendant cette durée, et ce dernier pourra en obtenir copie.

Si l’expéditeur peut, ou doit, demander une distribution de la lettre sur papier, le tiers achemineur doit alors assurer l’impression de cette dernière et sa remise en main propre au destinataire, comme pour un recommandé classique. Cependant, cette distribution physique ne peut être réalisée que par un prestataire de services postaux autorisé au titre de l’article L.3 du Code des Postes et Communications Electroniques. C’est ce prestataire qui sera chargé d’adresser à l’expéditeur l’accusée de réception de la LRAR. La distribution d’une eLRAR peut donc être, dans les faits, réalisée par deux opérateurs différents.

Un décret qui ne règle pas tout

Il est frappant de constater que le décret du 2 février 2011 règle le processus de distribution d’une eLRAR mais ne contient aucune prescription concernant les techniques devant être employées par la personne chargée de son acheminement pour réaliser ces opérations.

Ainsi, on déduit du texte que le tiers achemineur doit réaliser une empreinte d’intégrité du document à expédier mais le décret ne contient aucune précision sur les conditions techniques de réalisation de cette empreinte : quel algorithme utiliser ? Quelle longueur en bit ? Quid de la signature électronique de cette empreinte d’intégrité par le tiers achemineur ? S’il nous semble possible de laisser aux opérateurs du marché le soin d’adopter les techniques les plus appropriées, on relèvera que dans le domaine proche de la signature électronique, les textes ont mis en place un processus complexe de certification et d’agrément des technologies employées et des prestataires. Une telle complexité n’a pas été reproduite pour la eLRAR. Ce n’est que la pratique qui nous enseignera si les tiers achemineurs de eLRAR sauront donner à leurs services les gages suffisants de fiabilité.

L’article 1369-8 du code civil prescrivait au pouvoir réglementaire d’adopter un décret définissant les conditions dans lesquelles est garantie l’identité du destinataire. Le décret du 2 février 2011 est pourtant muet sur ce point. La seule certitude dont disposera l’expéditeur de l’eLRAR est qu’une personne maîtrisant l’adresse de courrier électronique qu’il a communiqué au tiers achemineur a reçu l’eLRAR. Le lien entre cette adresse électronique et une personne physique clairement identifiée n’a rien de certain en l’état des textes.

S’agissant également de la date de remise d’une eLRAR à son destinataire, l’article 1369-8 du code civil prévoit que la fiabilité du dispositif électronique d’horodatage est présumée dans des conditions fixées par décret. Cependant, le décret de février ne prévoit rien sur ce point. Pourtant, le décret demande au tiers achemineur de conserver pendant un an la preuve de la date du dépôt, de la date de l’envoi de l’eLRAR ainsi que de la date à laquelle le destinataire a accepté ou refusé la distribution. Faut-il considérer que la date fournie par le tiers achemineur sera présumée comme fiable ? Les tiers achemineurs prendront certainement le soin d’utiliser des techniques fiables d’horodatage mais cette utilisation se fera en dehors d’un cadre juridique précis.

Enfin, le courrier recommandé est souvent utilisé dans un contexte contentieux ou pré-contentieux. Le cas échéant, l’expéditeur souhaitera produire en justice le contenu de la lettre adressée et sa date d’expédition ou de réception. Le décret du 2 février 2011 prévoit que le tiers achemineur doit conserver à disposition de l’expéditeur ses éléments de preuve pendant 1 an. C’est une durée bien courte au regard de la durée des contentieux. Les tiers achemineurs pourront utilement proposer des services offrant des durées de conservation plus longues.

A retenir

Attendu depuis 2005, le décret relatif à la lettre recommandée électronique a été publié le 2 février 2011. Cependant, l’eLRAR totalement dématérialisée ne peut aujourd’hui se pratiquer facilement qu’entre professionnels, pour la conclusion et l’exécution d’un contrat. Tous les obstacles juridiques pour les envois par eLRAR aux administrations et entre particuliers ne sont pas encore levés.

Droit applicable

Article 1369-8 du code civil

De?cret no 2011-144 du 2 fe?vrier 2011 relatif a? l’envoi d’une lettre recommande?e par courrier e?lectronique pour la conclusion ou l’exe?cution d’un contrat

Articles L.3 et L.5-1 du code des postes et communications électroniques

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