E-manifestation contre les grévistes: spam politique ou liberté d’expression

Une décision récente retient plus particulièrement l’attention. Il s’agit de l’ordonnance de référé rendue le 26 mai dernier par le Président du Tribunal de grande instance de Paris qui a considéré que la Droite Libre – un courant proche de l’UMP – a causé un « trouble manifestement illicite » en incitant ses membres à bloquer les boîtes aux lettres électroniques de diverses organisations syndicales et responsables syndicaux, pour protester contre les grèves qui ont paralysé les transports en France.

Le mot d’ordre lancé par l’organisation politique est non équivoque : « Ils bloquent la France, bloquons leur boîte e-mail ! ». L’objectif a été atteint puisque, destinataires de plusieurs centaines de milliers de messages,  certaines boites de réception ont été saturées, notamment celles du Syndicat national des enseignements de second degré (SNES), de la Fédération syndicale unitaire (FSU) et de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) et de son secrétaire général, qui ont décidé de réagir sur le terrain judiciaire.

Le juge a considéré qu’en procédant de la sorte, la Droite Libre avait fait preuve d’« intention malicieuse » et avait « privé les demandeurs de l’usage des services de courrier électronique dont ils ont une possession légitime ». Il a ainsi donné raison au demandeur et aux trois intervenants volontaires, leur allouant au total la somme de 3600 € (provision sur dommages et intérêts et article 700 NCPC confondus), outre la publication sur le site de la Droite Libre d’un communiqué rendant compte de l’ordonnance rendue.

A première lecture, cette décision ne suscite pas de commentaires. L’examen des circonstances révèle en effet l’intention déclarée de bloquer les systèmes. Certains considèrent même qu’il s’agit d’un fait d’entrave au fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données sanctionné par l’article 323-2 du Code pénal.

Cependant, en marge du débat judiciaire, cette forme inédite de « manifestation » électronique soulève au moins deux interrogations. Faut-il y voir un « spam politique », comme le suggèrent certaines des organisations syndicales ? Ou bien s’agit-il, comme le défend la Droite Libre, d’un nouveau « droit de pétition et d’expression des Français » ?

Sur le terrain du spamming, on rappellera tout d’abord que, au sens du rapport d’activité de la CNIL de 1999, celui-ci se définit comme « l’envoi massif de courriers électroniques non sollicités, le plus souvent à caractère commercial, à des personnes avec lesquelles l’expéditeur n’a jamais eu de contacts et dont il a capté l’adresse électronique dans des espaces publics d’internet ». Le spamming est donc perçu avant tout comme (a) « un envoi massif » de messages, (b) à de très nombreux destinataires, (c) à l’initiative « d’un expéditeur ».

Or, dans l’opération Droite Libre, nous ne retrouvons aucune de ces caractéristiques. Nous sommes en présence (a) d’une multitude d’envois, effectués (b) à quelques destinataires, (c) par une multitude d’expéditeurs.

Chaque envoi a contribué à la réception massive, par les mêmes destinataires, du même message sans que ce dernier, considéré isolément, puisse constituer un acte de spamming. Il ne s’agit donc pas tant de « spam politique » que de « mail bombing » ou encore de  « flaming », qui consiste à se livrer à des attaques via l’Internet en vue de perturber le système d’information de son interlocuteur.

Sur le terrain de la liberté d’expression revendiquée par la Droite libre, on rappellera que chaque citoyen a droit à la liberté d’opinion et d’expression. Dans le cas présent, le message collectif de milliers d’anti-grévistes a pris la forme d’une e-manifestation, chaque internaute restant libre de modifier, adapter, transmettre ou non le message type de protestation.

Il a, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 : « (…) le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

Certes, cette liberté connaît  des limites, notamment celle de ne pas nuire à autrui. Il appartient donc au juge de rechercher le point d’équilibre entre le droit et ses limites.

Sans doute, l’e-manifestation a-t-elle eu pour effet de bloquer certaines des messageries destinataires, notamment celles des plaignants. Cependant, aucune information à caractère technique ne vient expliquer pourquoi, à nombre de messages équivalents, certaines messageries syndicales ont été bloquées et d’autres non. Faut-il en conclure que certains syndicats se sont déjà dotés de serveurs et/ou de capacités de stockage « proportionnés » à la fois aux actions qu’ils mènent et aux effets qui en résultent ?

Il est fort probable que les syndicats auront à l’avenir et de plus en plus, à faire face à des internautes qui auront recours à ce mode d’expression, ceci alors même qu’il n’y aura eu aucune consigne donnée.

L’affaire reste à suivre puisque le débat se poursuit devant le juge du fond.

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