L’ouverture à la concurrence des jeux et paris en ligne

La contrainte européenne. La loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne est intervenue à la suite d’un avis motivé de la Commission européenne en date du 27 juin 2007[1] qui a considéré que les restrictions imposées par la législation française aux paris sportifs et hippiques n’étaient pas justifiées au regard du principe de libre-prestation de services prévu par l’article 49 du Traité CE. La France a donc été appelée à modifier sa législation en la matière.

Cet avis a été immédiatement suivi par un arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2007[2] censurant la décision de la Cour d’appel de Paris du 4 janvier 2006[3]. Dans cette affaire opposant la société Zeturf (de droit maltais) au PMU, la Haute juridiction a condamné le monopole étatique, reprochant à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si les autorités nationales françaises n’adoptaient pas une politique extensive dans le secteur des jeux afin d’augmenter les recettes du Trésor public. Elle a estimé que les activités de paris sont assimilables à des services, ce qui autorise la liberté d’établissement et de prestation en Europe (Traité de Rome, art. 49) et a relevé que les restrictions imposées par la loi ne peuvent être justifiées que si elles sont nécessaires pour prévenir l’exploitation des jeux de hasard à des fins criminelles ou frauduleuses.

C’est dans ce contexte qu’a été amorcé le processus d’ouverture « maîtrisée » du secteur des jeux à la concurrence.

Le nouveau dispositif légal. La loi a été promulguée le 12 mai 2010, immédiatement suivie de trois décrets d’application du 13 mai 2010. Le premier décret crée l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), le deuxièmeprécise les conditions de délivrance des agréments aux opérateurs, et le troisième est relatif aux compétitions sportives et aux types de résultats sportifs définis par l’Arjel.

Désormais, les paris sportifs et hippiques, lorsqu’ils sont proposés en ligne, sont ouverts à la concurrence. Les paris hippiques ne peuvent porter que sur des courses définies par voie réglementaire et seuls sont autorisés en ligne les paris en la forme mutuelle (au titre desquels les joueurs gagnant se répartissent l’intégralité des sommes engagées, l’opérateur ayant un rôle neutre et désintéressé), par opposition aux paris à cote (pour lesquels l’opérateur propose aux joueurs des cotes correspondant à son évaluation des probabilités de survenance des résultats sur lesquels les joueurs parient). Les jeux de cercle peuvent également être proposés en ligne et sont ouverts à la concurrence ; étant précisé que sont uniquement concernés « les jeux de répartition reposant sur le hasard et le savoir-faire dans lesquels le joueur, postérieurement à l’intervention du hasard, décide, en tenant compte de la conduite des autres joueurs, d’une stratégie susceptible de modifier son espérance de gain ». Cette définition vise par exemple le poker mais exclut en revanche des jeux comme le blackjack ou la roulette où les participants jouent contre la banque.

Le monopole de la Française des Jeux est par ailleurs maintenu pour les jeux de grattage et de tirage. Les machines à sous sont également exclues de l’ouverture à l’internet.

Pour fournir des services de paris et de jeux en ligne, la loi impose aux entreprises intéressées d’obtenir préalablement un agrément (délivré par l’Arjel) qui est délivré pour une durée de cinq ans. Il est renouvelable mais n’est pas cessible. Pour solliciter l’agrément, l’opérateur de jeux ou de paris en ligne doit avoir son siège social dans un État membre de la Communauté européenne ou dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative afin de lutter contre la fraude fiscale.

Les objectifs de la loi du 12 mai 2010 sont triples : (i) assainir le secteur des jeux d’argent en ligne en proposant une offre légale, encadrée, sécurisée tout en restant attractive pour les joueurs, (ii) accentuer la lutte contre les addictions, (iii) définir une nouvelle source de revenus, puisque cette activité en ligne sera taxée, au même titre que les jeux d’argent dans l’environnement réel.

Le contrôle de l’activité des sites de jeux et paris en ligne. L’Arjel a pour mission : i) de rédiger le cahier des charges et de délivrer les licences aux opérateurs, ii) de contrôler les opérateurs en ligne et notamment, le respect du cahier des charges par ces opérateurs, iii) de participer à la lutte contre les sites illégaux.

En préparant le cahier des charges s’imposant aux candidats-opérateurs, l’Arjel effectue ainsi  un contrôle permanent de l’activité des sites, notamment pour améliorer la lutte contre le jeu des mineurs et la dépendance aux jeux, préserver l’éthique des compétitions sportives et lutter contre le blanchiment d’argent.

En outre, l’Arjel peut saisir le juge afin d’obtenir le blocage et le déréférencement des sites illégaux sur les moteurs de recherches.

La lutte contre l’addiction aux jeux et la protection des mineurs. La loi nouvelle institue un Comité consultatif des jeux, placé sous l’autorité du Premier ministre et composé de dix-neuf membres, qui a pour mission de garantir et de coordonner une politique responsable d’encadrement des jeux.

La loi met par ailleurs à la charge des opérateurs une obligation de faire obstacle à la participation aux jeux ou paris qu’ils proposent aux personnes interdites de jeux et doivent, à cette fin, consulter les fichiers des interdits de jeux tenus par les services du ministère de l’Intérieur. Il appartient également aux opérateurs de prévenir les comportements de jeu excessif ou pathologique en mettant en place différents mécanismes : auto-exclusion, modération, autolimitation des dépôts et des mises, communication permanente du solde du compte, messages de mise en garde…

La lutte contre la fraude et le blanchiment.  Les entreprises sollicitant l’agrément sont tenues à plusieurs obligations en vue de lutter contre la fraude : préciser les modalités d’accès et d’inscription à leur site de tout joueur ainsi que les moyens qui leur permettent de s’assurer de l’identité de chaque paiement ; s’assurer, lors de l’ouverture initiale du compte joueur, que celui-ci est bien une personne physique ; exercer un contrôle étroit sur son approvisionnement ; préciser les modalités d’encaissement et de paiement, à partir de leur site, des mises et des gains ; décrire les moyens mis en œuvre pour protéger les données à caractère personnel et la vie privée des joueurs…

Par ailleurs, tout opérateur de jeux ou paris en ligne agréé devra transmettre à l’Arjel un document attestant de la certification qu’il a obtenue concernant notamment le respect de l’archivage en temps réel, sur un support matériel situé en France métropolitaine, de l’intégralité des données portant sur : (i) l’identité de chaque joueur, (ii) le compte de chaque joueur ; (iii) les événements de jeu ou de pari et, pour chaque joueur, les opérations associées ainsi que toute autre donnée concourant à la formation du solde du compte joueur ; (iv) les événements relatifs à l’évolution et à la maintenance des matériels, plates-formes et logiciels de jeux utilisés. Cette certification est réalisée par un organisme indépendant choisi par l’opérateur au sein d’une liste établie par l’Arjel.

Enfin, toute entreprise titulaire de l’agrément d’opérateur de jeux et paris en ligne devra transmettre ses comptes, certifiés par un commissaire aux comptes, à l’Arjel après la clôture de chaque exercice.

Sanctions pénales. Toute personne qui aura offert ou proposé au public une offre en ligne de paris ou de jeux d’argent et de hasard sans être titulaire de l’agrément délivré par l’Arjel ou d’un droit exclusif, est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 90 000 euros d’amende. Ces peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 200 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée. Ces sanctions peuvent être assorties de peines complémentaires (interdiction des droits civiques, civils, et de famille ; publicité de la décision prononcée, etc.). Pour une personne morale, elles encourent également l’interdiction pour une durée de cinq ans de solliciter l’agrément auprès de l’Arjel ainsi que l’autorisation prévue à l’article 1er de la loi du 15 juin 1907 relative aux casinos et, le cas échéant, le retrait d’un tel agrément ou autorisation si la personne morale en est titulaire au moment du jugement.

Une fiscalité neutre. Le texte met en œuvre une fiscalité neutre et équivalente entre paris sportifs et hippiques en alignant le taux de prélèvement des jeux en ligne sur celui des jeux en réel. Les opérateurs disposant d’un agrément seront donc soumis à un taux de prélèvement correspondant à 7,5 % des mises des joueurs pour les paris sportifs et hippiques et à 2 % des mises pour le poker. Une partie de ces recettes doit être affectée au financement de mesures d’intérêt général. Il s’agira notamment de la santé (lutte contre la dépendance aux jeux) et de la préservation du patrimoine. A cette fiscalité s’ajouteront, pour les paris sportifs, une contribution au financement du sport amateur et, pour les paris hippiques, une contribution à la filière hippique.


[1] Commission européenne, avis IP/07/909 du 27 juin 2007 ;

[2] Com. 10 juill. 2007, no 06-13.986, sté Zeturf limited, sté de droit maltais c/GIE Pari mutuel urbain (PMU)

[3] CA Paris, 14e ch., sect. A, 4 janv. 2006, Zeturf, Eturf c/PMU

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