Dans un arrêt du 12 juin 2025, la Cour d’appel de Lyon a refusé d’accorder à un calculateur informatique la protection prévue par le droit sui generis et le droit d’auteur
Un pilote de la sécurité civile avait développé, à partir du tableur Excel, un outil informatique baptisé « FIM » (fiche individuelle mensuelle), destiné à gérer le temps de travail des pilotes. Son employeur avait ensuite confié à une société spécialisée dans la conception de logiciels de maintenance aéronautique (le « Prestataire ») la réalisation d’un logiciel permettant d’éditer ces fiches.
Convaincu que le nouveau logiciel portait atteinte à son droit sui generis de producteur de base de données, le pilote a assigné le Prestataire devant le Tribunal de grande instance, qui a rejeté ses demandes indemnitaires, estimant que l’outil en cause ne pouvait bénéficier de cette protection.
Saisie en d’appel, la Cour d’appel de Lyon a confirmé le jugement de première instance et rejeté la demande subsidiaire fondée sur la contrefaçon de droit d’auteur.
La protection du droit sui generis n’est pas applicable à un calculateur informatique qui ne constitue pas une base de données
Le pilote soutenait que son programme informatique devait être qualifié de base de données et bénéficier, à ce titre, de la protection offerte par le droit sui generis.
Ce droit confère au producteur d’une base de données la faculté d’interdire l’extraction ou la réutilisation de l’ensemble ou d’une partie substantielle de son contenu[1]. Encore faut-il, toutefois, que l’outil dont la protection est revendiquée réponde effectivement à la définition légale de la base de données.
Aux termes de l’article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle, la qualification de base de données est subordonnée à la réunion cumulative des conditions suivantes :
- Recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants[2] ;
- Éléments disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles[3].
Par ailleurs, le droit du producteur n’est reconnu que lorsque « la constitution, la vérification ou la présentation [du contenu de la base de données] atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel »[4].
En l’espèce, la Cour d’appel a confirmé l’analyse du tribunal et refusé de reconnaître la qualification de base de données au programme développé par le pilote. Elle a estimé que les informations compilées n’étaient ni mises à disposition de manière systématique et méthodique, ni individuellement accessibles.
S’agissant de l’investissement substantiel invoqué, la Cour a précisé que le temps consacré par le pilote à la conception et à la mise à jour de l’outil ne pouvait être assimilé à un investissement humain substantiel, dès lors qu’il n’était ni déterminé ni déterminable. En outre, aucun autre investissement financier ou matériel n’était démontré.
Enfin, à supposer que le programme ait pu être qualifié de base de données, la Cour a rappelé que la durée de protection du droit sui generis est limitée à 15 ans à compter de son achèvement et ne peut être prorogée qu’en cas de nouvel investissement substantiel[5]. Or, les mises à jour opérées par le pilote, liées à l’adaptation de l’outil aux évolutions réglementaires, ne sauraient être assimilées à un tel investissement.
La protection accordée aux logiciels par le droit d’auteur ne s’étend pas à un calculateur informatique dépourvu d’originalité
Le pilote faisait également valoir que son travail devait être considéré comme le matériel de conception préparatoire au logiciel conçu par le Prestataire et devait, à ce titre, bénéficier de la protection par le droit d’auteur reconnue aux logiciels.
Les dispositions de l’article L. 112 -2 du Code de la propriété intellectuelle énoncent en effet que peuvent bénéficier de la protection conférée par le droit d’auteur les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire[6].
Reste que, selon une jurisprudence constante, pour bénéficier de la protection du droit d’auteur, le logiciel doit être original, c’est-à-dire « exprimer la personnalité de son auteur qui a mis en œuvre dans ce cadre son imagination créatrice »[7].
La Cour a également refusé la qualification de logiciel au programme en cause qu’elle a qualifié de simple « calculateur ». Elle a, en outre, relevé que la présentation de l’interface du calculateur ne retranscrivait aucunement la personnalité de l’auteur déniant ainsi toute protection de l’outil au titre du droit d’auteur.
Lire l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 12 juin 2025 RG n° 19/08764
[1] Article L. 342-1 du Code de la propriété intellectuelle
[2] On entend par « éléments indépendants » des « éléments séparables les uns des autres sans que la valeur de leur contenu informatif, littéraire, artistique, musical ou autre s’en trouve affectée » (CJUE, 9 novembre 2004, C‑444/02, §29 et §32).
[3] Cette condition implique que « le recueil figure sur un support fixe » et comporte « une méthode ou un système, de quelque nature que ce soit, permettant de retrouver chacun de ses éléments constitutifs » (index, table des matière, plan, etc.) (CJUE, 9 novembre 2004, C‑444/02, §30 et §32).
[4] Article L. 341-1 du Code de la propriété intellectuelle
[5] Article L. 342-5 du Code de la propriété intellectuelle
[6] Le matériel de conception préparatoire correspond aux « travaux préparatoires de conception aboutissant au développement d’un programme, à condition qu’ils soient de nature à permettre la réalisation d’un programme d’ordinateur à un stade ultérieur » (Directive 91/250/CE du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, 7e considérant).
[7] Cass., Ass. Plén., 7 mars 1986, n° 83-10477 ; Cass., Civ. 1re, 27 avril 2004, no 99-18.464