Protection des créations de l’intelligence artificielle : que nous apprend la jurisprudence étrangère ? 

Si les inventions ou créations générées exclusivement par intelligence artificielle ne semblent pas protégeables, un certain degré d’intervention humaine peut les rendre éligibles à une protection par la propriété intellectuelle. Une appréciation au cas par cas reste nécessaire.   

Si les juges français n’ont pas encore eu l’occasion de se prononcer sur la protégeabilité de créations ou d’inventions générées ou assistées par intelligence artificielle, certains de leurs homologues étrangers se sont penchés sur la question. 

Brevets : pour l’Australie et le Royaume-Uni, l’inventeur doit être une personne humaine

Un déposant avait tenté d’obtenir des brevets sur deux inventions réalisées de manière entièrement autonome par une intelligence artificielle dont il était propriétaire. Auprès des Offices de brevets compétents, il avait donc déclaré l’intelligence artificielle comme « inventeur » et s’était désigné lui-même comme titulaire des brevets, en sa qualité de propriétaire du système d’IA. 

Le déposant avait d’abord formé un recours contre le refus d’enregistrement prononcé par l’Office australien : en première instance, un juge de la Cour Fédérale d’Australie lui avait donné raison, estimant qu’un système d’IA pouvait être considéré comme l’« inventeur » d’un brevet – sans toutefois que la propriété de l’invention ne lui soit attribuée. 

En appel, et à l’unanimité, la Cour a infirmé cette décision et considéré que l’« inventeur » devait nécessairement être une personne physique[1]. Si le Patents Act australien ne définit pas la notion d’inventeur, la Cour a retenu que la jurisprudence ainsi que les travaux préparatoires de la législation actuelle et antérieure supposaient que l’inventeur soit une personne physique, d’autant plus que la délivrance d’un brevet récompense l’ingéniosité et l’effort personnel de celle-ci. Elle a donc rejeté les demandes de brevets du propriétaire du système d’IA. 

Après un parcours administratif et judiciaire similaire au Royaume-Uni, la Cour Suprême britannique a, elle aussi, confirmé que l’inventeur désigné dans une demande de brevet devait être une personne physique et que le propriétaire d’un système d’IA à l’origine d’une invention ne pouvait bénéficier de l’attribution d’un brevet[2]

Cependant, ces décisions ne signifient pas qu’une personne ayant utilisé un système d’IA comme outil pour concevoir une invention doive nécessairement se voir refuser la qualité d’inventeur.

Droit d’auteur : pour les États-Unis et la Chine, un certain degré d’intervention humaine est nécessaire

Pour les juges américains, les œuvres entièrement générées par intelligence artificielle sans intervention humaine ne sont pas éligibles à la protection du droit d’auteur : c’est ce qu’a rappelé le Tribunal du District de Columbia à un individu qui avait tenté d’enregistrer une image générée de manière autonome par son système d’IA auprès du Copyright Office

Là encore, le demandeur avait désigné le système d’IA comme auteur de l’image, et considérait devoir bénéficier de la titularité des droits d’auteur en sa qualité de propriétaire de la machine et en application de la doctrine du work made for hire. Le Copyright Office avait refusé d’enregistrer l’œuvre au motif qu’elle n’avait pas d’auteur humain. 

Saisi d’un recours, le Tribunal du District de Columbia a considéré qu’une œuvre générée de manière autonome par IA n’est pas protégeable par le droit d’auteur[3]. Après avoir rappelé que la loi était suffisamment malléable pour reconnaître la protégeabilité d’œuvres créées à l’aide de technologies, le Tribunal a retenu que cette adaptabilité supposait une constante : la créativité humaine. Comme l’inventeur, l’auteur doit nécessairement être humain – puisque, selon le Tribunal, l’objet même du droit d’auteur est de favoriser la création. Le Tribunal a également rappelé que toute la jurisprudence américaine considérait que l’auteur était nécessairement une personne physique exprimant ses idées en créant une forme originale. 

Le Tribunal a par ailleurs rejeté l’argument du demandeur selon lequel celui-ci aurait fourni des instructions au système d’IA et l’aurait guidé dans la création de l’œuvre. Cet argument, formulé pour la première fois devant le Tribunal, contredisait directement la demande présentée au Copyright Office – qui désignait l’IA comme créateur autonome de l’image. 

La solution aurait peut-être été différente si le demandeur avait, dès l’origine, décrit son apport personnel dans le processus de création. En effet, les lignes directrices du Copyright Office[4] préconisent une analyse au cas par cas et distinguent trois hypothèses :

  • Si tous les éléments de l’œuvre sont exclusivement produits par l’IA, le résultat n’est pas protégeable ;
  • Si l’œuvre finale est suffisamment éloignée du contenu initialement généré par le système d’IA – par exemple parce que l’auteur l’a beaucoup retravaillé par la suite – de sorte que les éléments artificiels sont minimes, alors le résultat global est protégeable ;
  • Si le contenu généré par IA dépasse un certain seuil, mais que le résultat comprend également une forte intervention humaine, alors seuls les apports humains peuvent être protégeables. L’auteur doit alors divulguer ce qui, dans l’œuvre, a été généré par IA, et l’exclure de sa demande d’inscription au Copyright Office.

Le Tribunal de Pékin exige, lui aussi, un certain degré d’intervention humaine. Il a ainsi reconnu le caractère protégeable d’un portrait de femme créé à l’aide d’un système d’IA, en soulignant le caractère extrêmement détaillé des prompts employés par le créateur personne physique[5].

Celui-ci avait non seulement fourni des instructions très spécifiques quant aux traits du visage et à la coiffure désirés, à la position du sujet, à son environnement, à l’éclairage et au style photoréaliste recherché, mais avait également indiqué les caractéristiques qu’il ne souhaitait pas voir apparaître. Enfin, l’auteur avait procédé par itérations, ajustant de multiples paramètres au fil des résultats intermédiaires successifs afin d’arriver au résultat final désiré. Le Tribunal a donc retenu que le portrait, dont la création avait été assistée par un système d’IA, exprimait bien la personnalité de son auteur et était donc original.

Surtout, l’auteur avait documenté son processus de création de manière très minutieuse – confortant ainsi la recommandation formulée dans notre précédent article sur la protégeabilité des contenus générés par intelligence artificielle. 


[1] Commissioner of Patents v Thaler [2022] FCAFC 62

[2] Thaler v. Comptroller-General of Patents, Designs and Trade Marks, Judgment dated December 20, 2023

[3] United States District Court for the District Of Columbia, Civil Action No. 22-1564, Judge Beryl A. Howell, 18 August 2023

[4] Copyright Registration Guidance: Works Containing Material Generated by Artificial Intelligence, Federal Register, vol. 88, n° 5188, 16 mars 2023

[5] Beijing Internet Court, Civil Judgment, (2023) Beijing 0491 Republic of China No. 11279

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