Vers un assouplissement des conditions de licéité de la cession des oeuvres réalisées par un salarié ?

À contre-courant de la jurisprudence en la matière, la Cour d’appel de Paris a validé la clause d’un contrat de travail prévoyant la cession des œuvres réalisées par un salarié au fur et à mesure de leur réalisation et ne stipulant pas de rémunération spécifique.

La fondatrice et associée minoritaire d’une société (la « Salariée ») avait conclu avec cette même société (l’« Employeur ») un contrat de travail en qualité de styliste – directrice artistique. 

Ce contrat comportait une clause de cession des droits de propriété intellectuelle au profit de l’Employeur sur les œuvres réalisées par la Salariée, dans le cadre du contrat, « au fur et à mesure de leur réalisation ».

Dans le cadre de contrats de collaboration conclus entre son Employeur et des sociétés tierces, la Salariée avait exécuté des prestations qui étaient, selon elles, exclues de ses fonctions salariales. Dès lors, elle estimait qu’une rémunération complémentaire lui était due.

Dans ce contexte, la Salariée avait assigné son Employeur afin d’obtenir le versement d’une rémunération complémentaire au titre des droits d’auteur relatifs aux œuvres réalisées dans le cadre des contrats de collaboration. La Salariée formulait également une demande subsidiaire en contrefaçon de droits d’auteur.

Le Tribunal de grande instance de Paris ayant refusé de faire droit à ses demandes, la Salariée avait interjeté appel du jugement. 

Dans un arrêt du 25 janvier 2023, la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement et a notamment jugé que la clause de cession prévue au contrat était licite. 

Licéité de la cession des œuvres salariées déterminables et individualisables « au fur et à mesure de leur réalisation » 

La Salariée soutenait que la clause[1] prévoyant la cession des œuvres « au fur et à mesure de leur réalisation » était nulle au regard du principe de prohibition de la cession globale d’œuvres futures prévue par l’article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle.

Aussi, aux termes de cet article, un auteur ne peut valablement céder ses droits d’exploitation portant sur plusieurs œuvres futures indéterminées ou indéterminables à la date de conclusion du contrat. 

Dans le cadre de la relation employeur-salarié, le respect de la lettre de cette disposition impose à l’employeur de multiplier les contrats afin d’obtenir la cession des œuvres au coup par coup, et ce bien que le salarié soit rémunéré pour créer. 

En pratique, cela se traduit le plus souvent par l’insertion d’une clause de cession des droits de propriété intellectuelle dans le contrat de travail combinée à la conclusion régulière d’actes confirmatifs dans lesquels les œuvres sont clairement identifiées.

Dans un souci de souplesse, la jurisprudence a, de façon isolée, admis que « la prévision d’une cession automatique de droits de propriété littéraire et artistique au fur et à mesure d’éventuels travaux n’est pas constitutive de la cession globale d’œuvres futures »[2]

L’arrêt d’espèce semble s’inscrire dans cette lignée.

La Cour d’appel de Paris a jugé que la clause prévoyant la cession des œuvres réalisées par un salarié dans le cadre de son contrat de travail, au fur et à mesure de leur réalisation, était licite dès lors que ces œuvres étaient « déterminables et individualisables ». 

Selon elle, la cession n’était pas globale, mais limitée à des œuvres déterminables et individualisables, à savoir les œuvres réalisées par la Salariée dans le cadre de ses fonctions, lesquelles sont définies par son contrat de travail.

La Cour a également ajouté que la clause ne visait pas des œuvres futures, mais des œuvres réalisées puisque la cession n’opérait qu’au fur et à mesure de leur réalisation. 

Par conséquent, les juges ont considéré que la clause n’encourait pas le grief de cession globale d’œuvres futures. 

Licéité de la cession ne prévoyant pas de rémunération forfaitaire distinguant la contrepartie de la cession de la rémunération du travail

La Salariée soutenait encore que la cession était nulle en l’absence de contrepartie financière.

La clause de cession de droits d’auteur doit en effet prévoir au profit de l’auteur une rémunération spécifique proportionnelle aux recettes provenant de l’exploitation ou forfaitaire[3].

En effet, la clause ne faisait mention d’aucune rémunération en contrepartie de la cession des droits de propriété intellectuelle de la Salariée. 

Néanmoins, tenant compte des circonstances propres à l’espèce, la Cour d’appel a jugé que la rémunération forfaitaire n’opérant pas de distinction entre la rémunération de la prestation de travail et la contrepartie de la cession était licite.

Pour ce faire, la Cour a examiné l’ensemble des dispositions du contrat et pris en compte les différentes sources de rémunération de la Salariée. Elle a notamment tenu compte des dividendes qu’elle percevait en sa qualité d’associé. 

D’une part, le contrat de travail prévoyait une rémunération fixe de 72 000 euros, une rémunération variable en fonction des résultats obtenus au regard des objectifs arrêtés par la société ainsi qu’un budget mensuel de 3 000 euros pour les frais. 

D’autre part, en tant qu’associée au sein des deux sociétés exploitant les droits attachés à ses créations, la Salariée était nécessairement intéressée aux résultats de ces sociétés par la perception de dividendes.

Par conséquent, la Cour d’appel a considéré que la Salariée n’était pas fondée à contester la validité de la cession de droits d’auteur qui ne prévoyait pas de rémunération distincte.

Si cet arrêt retient une solution favorable aux employeurs, il ne semble pas respecter la lettre de l’article L.131-4 du Code de la Propriété Intellectuelle et se place à contre-courant de la jurisprudence en la matière[4]

Plus récemment, la Cour d’appel de Versailles a d’ailleurs précisé que « le droit d’auteur est une rémunération due par l’utilisateur d’une œuvre, qui compense le préjudice créé par le fait que l’auteur ne peut plus exercer son droit exclusif sur l’œuvre. Cette rémunération est distincte du salaire qui rémunère le travail fourni pour créer l’œuvre et elle ne constitue pas une partie variable du salaire[5] ».

Pour l’heure, la rédaction d’actes confirmatifs identifiant précisément les œuvres cédées et stipulant une rémunération spécifique en contrepartie de la cession demeure vivement recommandée.

Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 janvier 2023, RG n°19/15256


[1] À l’exception des logiciels et de leur documentation, il n’existe pas en droit français de dévolution automatique des droits d’auteur sur les créations faites par un salarié dans le cadre de son contrat de travail au profit de son employeur. L’employeur doit veiller à conclure avec son salarié un accord de cession respectant le formalisme du Code de la propriété intellectuelle.

[2] CA Lyon, 28 novembre 1991: Gaz. Pal. 1992. 1. 275, note Forgeron.

[3] Article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle. 

[4] CA Paris, 4e ch., 29 octobre 1987 : JurisData n° 1987-02180 ; CA Paris 22e ch., 19 janvier 1994 JurisData n°1994-020836.

[5] CA Versailles, 2 février 2023, RG n°20/00676.

Ne manquez pas nos prochaines publications

Votre adresse email est traitée par FÉRAL afin de vous transmettre les publications et actualités du Cabinet. Vous pouvez vous désabonner à tout moment. Pour en savoir plus sur la manière dont sont traitées vos données et sur l’exercice de vos droits, veuillez consulter notre politique de protection des données personnelles.

Rechercher
Fermer ce champ de recherche.