La Cour d’appel de Paris a confirmé que la reproduction sans autorisation d’une œuvre de street art peut porter atteinte aux droits moral et patrimoniaux de son auteur.
Dans le cadre des élections présidentielles de 2017 et municipales de 2021, un parti politique avait diffusé plusieurs vidéos de campagne reproduisant une œuvre de street art sans l’autorisation de son auteur.
L’artiste concerné, auteur d’une fresque apposée sur le mur d’un immeuble parisien, avait mis en demeure le parti politique de cesser l’exploitation de son œuvre, de retirer les vidéos litigieuses et de lui verser des dommages et intérêts en réparation de son préjudice.
Cette mise en demeure étant restée sans effet, l’artiste avait assigné le parti politique et son président sur le fondement de l’atteinte à son droit d’auteur.
Le Tribunal judiciaire de Paris[1] avait débouté l’auteur de ses demandes, estimant notamment que les exceptions de panorama et de courte citation étaient applicables à l’espèce.
Saisie de l’affaire, la Cour d’appel de Paris a, dans un arrêt 5 juillet 2023, partiellement infirmé la décision de première instance et reconnu l’atteinte aux droits moraux et patrimoniaux de l’artiste.
Le bénéfice de la protection du droit d’auteur accordée à l’œuvre de street art réalisée sans autorisation dans l’espace public
Si la titularité et l’originalité de l’œuvre n’étaient pas remises en cause par les intimés, la Cour a tout de même approuvé l’analyse des premiers juges, qui avaient notamment reconnu que le caractère original de l’œuvre lui ouvrait droit à la protection par le droit d’auteur.
Il s’agit d’une décision d’appel importante, qui reconnait la protection des œuvres de street art par le droit d’auteur, peu important qu’elles soient ou non réalisées avec l’accord du propriétaire du support.
En effet, si de rares décisions de première instance ont pu accorder à des œuvres de street art réalisées sans autorisation le bénéfice de la protection du droit d’auteur[2], la Cour de cassation a quant à elle nié la qualification d’œuvre originale à une réalisation de street art (en l’occurrence, des graffitis), qualifiée de dégradation de bien d’autrui donnant lieu à la sanction pénale de leur auteur[3].
Aussi, la Cour d’appel de Paris considère implicitement que le caractère illégal de la réalisation de street art ne devrait pas empêcher son auteur de revendiquer la protection de celle-ci au titre du droit d’auteur.
L’inapplicabilité de l’exception de panorama à l’œuvre de street art apposée sur un ouvrage architectural
Les intimés soutenaient que la reproduction de l’œuvre dans les vidéos de campagne sans autorisation préalable n’était pas fautive dès lors qu’ils bénéficiaient notamment de l’exception de panorama.
La liberté de panorama, qui figure parmi les exceptions au droit d’auteur édictées par l’article L. 122‑5 du Code de la propriété intellectuelle, empêche l’auteur de s’opposer à la représentation ou reproduction de son œuvre sous certaines conditions, à savoir :
- L’œuvre doit être une œuvre architecturale ou sculpturale ;
- L’œuvre doit être placée en permanence sur la voie publique ;
- L’acte de reproduction ou de représentation doit être effectué par un particulier à des fins non lucratives.
Après avoir rappelé que l’exception de panorama, comme toutes les exceptions au droit d’auteur, est d’interprétation stricte, la Cour a jugé que les conditions de l’exception n’étaient pas remplies en l’espèce.
Les juges ont tout d’abord relevé que la fresque litigieuse ne s’apparentait pas à une œuvre architecturale ou sculpturale.
En outre, en tant qu’œuvre de street art composée en partie de collages, la Cour relève qu’elle est soumise aux aléas extérieurs et peut ainsi faire l’objet de dégradations naturelles et volontaires. Dès lors, l’œuvre ne pouvait être considérée comme « placée en permanence sur la voie publique ».
Par conséquent, la liberté de panorama, spécifiquement réservée aux œuvres architecturales et sculpturales, n’est pas applicable aux œuvres de street art.
La Cour d’appel de Paris a donc partiellement infirmé la décision de première instance et a condamné les intimés à verser des dommages et intérêts à l’auteur en réparation des préjudices subis au titre des atteintes à ses droits d’auteur.
Lire l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 juillet 2023, RG n°21/11317
[1] TJ Paris, 21 janvier 2021, RG n°20/08482 (non publié).
[2] TGI Paris 14 novembre 2017, RG n° 06/12982 (non publié).
[3] Crim., 11 juillet 2017, n°08-84989 et suivants.