Les informations permettant de déduire l’orientation sexuelle d’une personne sont des données sensibles

Pour la CJUE, l’obligation de communiquer des données sur l’identité du partenaire de vie d’une personne soumise à une obligation de déclaration d’intérêts privés n’est pas compatible avec le droit de l’Union. 

La réglementation lituanienne impose aux personnes travaillant dans le service public l’obligation de déposer une déclaration d’intérêts privés auprès de la Haute commission de prévention des conflits d’intérêts dans le service public, l’équivalent lituanien de notre Haute Autorité pour la Transparence dans la Vie Publique (HATVP)[1]

Cette règlementation nationale poursuit le double objectif de garantir le respect du principe de transparence dans l’exercice des fonctions publiques, et de prévenir la corruption au sein du service public. 

Cette déclaration d’intérêts privés est rendue publique : elle est mise en ligne sur le site Internet de la Haute commission chargée de collecter ces déclarations et d’en contrôler la teneur. Ces déclarations sont librement consultables par toute personne qui le souhaite.

Les déclarants doivent notamment renseigner des informations nominatives relatives à leur conjoint, concubin ou partenaire. 

Par ailleurs, la loi impose de déclarer les détails relatifs à toute transaction de plus de 3 000 euros intervenue au cours des douze derniers mois. 

Par une décision du 7 février 2018, la Haute commission a jugé que le directeur d’un établissement lituanien percevant des fonds publics avait manqué à son obligation de lui adresser une déclaration d’intérêts privés. 

Le directeur a contesté cette décision, estimant qu’il n’était pas assujetti à cette obligation, et surtout, qu’une telle mesure portait gravement atteinte à sa vie privée, ainsi qu’à celle des tiers qu’il serait tenu de mentionner dans sa déclaration. 

Le Tribunal administratif de Vilnius, saisi du recours, a émis des doutes sur la comptabilité de la réglementation lituanienne avec la réglementation applicable en matière de protection des données à caractère personnel, et a adressé deux questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). 

Dans un arrêt du 1er août 2022, la CJUE a été invitée à se prononcer sur :

  • La comptabilité de l’obligation de déclaration des intérêts privés, et la mesure de publicité qui l’accompagne, avec le droit au respect de la vie privée et la protection des données personnelles ; et
  • La qualification de données sensibles pour des données susceptibles de révéler indirectement l’orientation sexuelle d’une personne concernée. 

La déclaration d’intérêts privés doit uniquement contenir des données strictement nécessaires à la lutte contre la corruption

La Cour a rappelé que la loi nationale lituanienne qui impose un tel traitement de données personnelles tend à répondre à un objectif d’intérêt général consistant à prévenir les conflits d’intérêts et à lutter contre la corruption dans le secteur public. 

En conséquence, et au regard de cet objectif d’intérêt général, des limitations à l’exercice des droits au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles pouvaient être admises, à condition d’être proportionnées et strictement nécessaires pour atteindre l’objectif poursuivi. 

Aussi, l’obligation déclarative imposée par la loi lituanienne était de nature à atteindre l’objectif recherché. Néanmoins, la Cour a jugé que « la divulgation publique, en ligne, de données relatives au conjoint, concubin ou partenaire » d’un déclarant allait « au-delà de ce qui est strictement nécessaire » pour attendre l’objectif visé. 

De la même manière, l’obligation de déclaration des transactions d’un montant supérieur à 3 000 euros intervenues au cours des douze derniers moins a été jugée disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. 

La divulgation indirecte de l’orientation sexuelle d’une personne physique constitue un traitement de données sensibles

Par ailleurs, la CJUE devait se prononcer sur l’appréciation de la notion de « données sensibles », au sens de l’article 9§1 du RGPD.

Aux termes de cet article, le traitement des données sensibles, qui incluent notamment les opinions politiques, l’orientation sexuelle ou les données biométriques, est en principe interdit. 

Par exception, il est possible de traiter ces données personnelles, notamment avec le consentement explicite de la personne concernée ou pour des motifs d’intérêt public importants.

En l’espèce, la mention de l’identité du partenaire de la personne concernée dans la déclaration d’intérêts privés permettait de déduire des informations sur la vie ou l’orientation sexuelle des deux personnes concernées. 

La question posée à la Cour était de savoir si une donnée qui permettait indirectement de connaître l’orientation sexuelle d’une personne devait être considérée comme une donnée sensible, et ainsi être soumise au régime de protection renforcée prévue par le RGPD.

La CJUE a jugé que la notion de données sensibles devait s’entendre au sens large.

En conséquence, les informations qui permettent de connaître l’orientation sexuelle d’une personne par une opération intellectuelle de rapprochement ou de déduction doivent être soumises au régime de protection renforcée des données sensibles prévu par l’article 9 du RPGD. 

Que retenir de cet arrêt ? 

  • L’obligation de publier des déclarations d’intérêts est conforme au droit de l’Union européenne sous réserve que ces déclarations ne contiennent que des données strictement nécessaires aux objectifs de prévention des conflits d’intérêts et de lutte contre la corruption ; 
  • La notion de données sensible s’interprète au sens large : elle inclut les données qui sont susceptibles d’être révélées par une opération intellectuelle de rapprochement ou de déduction.

Lire l’arrêt de la CJUE dans l’affaire C-184/20 du 1er aout 2022


[1] Loi lituanienne n°VIII-371 du 7 juillet 1997

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