Dans un arrêt du 16 décembre 2022, la Cour d’appel de Paris a sanctionné sur le fondement du parasitisme une société qui avait repris sur son site Internet de nombreux éléments de présentation du site Internet de l’un de ses concurrents.
Une société exerçant exclusivement sur Internet une activité de vente d’étiquettes et d’objets personnalisés pour enfant avait investi plus de 420 000 euros pour la conception et la mise à jour de son site Internet.
Elle s’est aperçue de l’exploitation par l’un de ses concurrents d’un site Internet qui utilisait une présentation similaire à la sienne, reprenant notamment un système de rubriques identiques ou très proches.
La première société estimait que sa concurrente avait copié la présentation de son site et avait saisi le Tribunal de commerce pour obtenir sa condamnation sur le fondement du parasitisme. Ce dernier n’a toutefois pas reconnu l’existence d’actes de concurrence déloyale, et la demanderesse a interjeté appel.
La valeur économique d’un site Internet résulte de sa singularité
Le parasitisme est défini comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou encore des investissements consentis pour développer un produit.
Sur ce fondement, une société peut protéger la « valeur économique » issue de ses investissements contre les agissements de tiers qui viseraient à capter cette valeur.
En matière de sites Internet, cette valeur économique s’apprécie en fonction de la globalité des éléments constituant le site[1]. Pris dans son ensemble, et si ce tout est singulier dans l’environnement de ses concurrents, le site peut être protégé en tant que valeur économique individualisée.
Dans le cas présent, l’appelante établissait que la société concurrente avait repris massivement les différents éléments de présentation revendiqués par le premier site.
La Cour a par ailleurs procédé à une analyse comparative avec d’autres sites Internet proposant des services et produits similaires. Leurs présentations étaient très éloignées de celles des parties tant au niveau des rubriques que de la présentation des pages. Ces éléments singuliers les distinguaient alors des sites concurrents.
L’argument de la société concurrente selon lequel la reprise pouvait être considérée comme fortuite ou relevant des tendances de marché a donc été rejeté.
La protection au titre du parasitisme est subordonnée à la démonstration d’investissements dans la conception du site Internet
Le succès de l’action fondée sur le parasitisme dépend de la capacité du demandeur à prouver les efforts qu’il a déployés pour créer la valeur objet de l’atteinte.
Au cas d’espèce, la société appelante démontrait que les éléments copiés de son site Internet, tels que le choix et l’ordre des rubriques, des textes de présentation et du système de personnalisation des produits ainsi que de sa gamme de produits, étaient le fruit d’investissements intellectuels.
La société appelante évoquait par ailleurs d’importants investissements financiers – plus de 420.000 euros – en graphisme et en prestations informatiques afin de concevoir et de mettre à jour le site Internet. Elle produisait à cet égard une attestation de son commissaire aux comptes et des factures de prestataires informatiques.
Pour la Cour d’appel, ces investissements conféraient au site une valeur économique individualisée procurant à la société un avantage concurrentiel.
A contrario, la société concurrente n’a pas établi la preuve de son propre investissement dans la conception de son site. Elle ne justifiait d’aucun élément comptable en lien direct avec la conception du site.
La Cour en a conclu que la reprise des éléments du premier site témoignait d’une volonté de la société concurrente de s’inscrire, à titre lucratif et de façon injustifiée, dans le sillage de la première société.
Elle a alors condamné la société concurrente à indemniser le trouble commercial subit par la première société au titre du parasitisme.
La Cour d’appel n’a en revanche pas assorti l’interdiction de poursuivre les agissements d’une astreinte – la société concurrente ayant déjà modifié les pages litigieuses de son site Internet.
Que retenir de cet arrêt ?
Les sites Internet qui sont le fruit d’importants investissements peuvent être protégés de la copie par l’action en parasitisme. Pour ce faire, l’exploitant devra démontrer que la reprise porte sur des éléments singuliers qui distinguent son site de celui de ses concurrents. Il devra également se préparer à justifier des investissements qu’il a consentis pour sa conception.
La société accusée de copier pourrait se dégager de sa responsabilité en prouvant qu’elle a elle-même réalisé des investissements substantiels pour développer son site.
Lire l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 16 décembre 2022, RG n°21/01469
[1] Dans ce sens, voir un arrêt très proche, Cour d’appel de Paris, 7 octobre 2015, n° 11/03744 : « le parasitisme résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité ».