La CJUE et la Cour de cassation ont jugé que le droit à la preuve peut, dans certaines conditions, justifier d’accéder à des documents contenant des données personnelles de tiers.
La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour de cassation ont statué, à quelques jours d’intervalle, sur la licéité de la production en justice de documents contenant des données à caractère personnel de tiers.
Dans la première affaire, une société sollicitait l’accès à un registre du personnel de son prestataire, en vue de confirmer le nombre d’heures travaillées et partant, le montant des travaux dont elle devait s’acquitter.
Dans la seconde affaire, une ancienne employée demandait en référé à son employeur de lui communiquer des bulletins de salaires de ses collègues masculins, afin de prouver une inégalité de rémunération.
Dans les deux cas, les sociétés à qui il était ordonné de communiquer des documents s’y opposaient, arguant du droit à la protection des données personnelles des personnes physiques que les documents concernaient.
Le droit à la protection des données personnelles doit être mis en balance avec le droit à la preuve
Le droit à la protection des données personnelles est un droit fondamental, mais qui n’est pas absolu. Conformément au principe de proportionnalité, il doit être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux tels que le droit à la preuve, comme c’était le cas en l’espèce.
Pour déterminer si le droit à la protection des données personnelles pouvait justifier de s’opposer aux injonctions de communiquer des documents contenant de telles données, la CJUE et la Cour de cassation ont donc apprécié les intérêts opposés en présence.
La CJUE a reconnu l’importance pour une partie de pouvoir accéder aux preuves nécessaires pour établir le bien-fondé de son grief, et ce quand bien même ces preuves peuvent contenir des données personnelles de tiers.
Elle a donc jugé qu’une juridiction nationale pouvait autoriser la divulgation à la partie adverse de données personnelles si elle considère que cela ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire aux fins de garantir les droits des justiciables.
La Cour de cassation a quant à elle considéré que la production de documents qui avait été ordonnée dans le cas d’espèce était indispensable afin de révéler l’inégalité salariale, qui ne pouvait être prouvée autrement.
Les juridictions ont toutes deux insisté sur le fait que cette production n’est possible que si elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et qu’il n’existe aucun autre moyen moins intrusif de la rapporter.
La production des documents contenant des données personnelles doit respecter le principe de minimisation des données
Le fait de produire en justice à titre de preuve un document contenant des données personnelles constitue un nouveau traitement de ces données, soumis en tant que tel au RGPD.
La CJUE a donc rappelé que ce traitement doit répondre au principe de minimisation des données, c’est-à-dire se limiter aux données adéquates et pertinentes pour la finalité poursuivie.
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, l’ancienne salariée avait demandé aux magistrats la suppression, dans les documents qui lui seraient remis, des données personnelles qui n’étaient pas utiles à la résolution du litige avec son ancien employeur.
Les numéros de sécurité sociale, les adresses ou les mentions des arrêts maladie avaient ainsi été occultés, et seuls les noms, prénoms, classification conventionnelle et rémunération avaient été produits à titre de preuve.
De ce fait, la communication était proportionnée au but poursuivi en l’espèce de défense de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.
Que retenir de ces arrêts ?
Un employeur peut se voir ordonner par une juridiction la communication de documents en tant que preuves, cela quand bien même ces documents contiennent des données personnelles de salariés.
Lire les arrêts de la CJUE du 2 mars 2023 C-268/21 et de la Cour de cassation du 8 mars 2023 n°21-12.492