La CJUE précise les notions de copie privée et de communication au public en matière d’IPTV et d’enregistrement vidéo en ligne

Dans un arrêt du 13 juillet 2023, la CJUE a notamment jugé que le service d’enregistrement vidéo qui donne accès à la copie réalisée par un premier utilisateur aux autres utilisateurs ne bénéficie pas de l’exception de copie privée.

Une société avait pour activité la fourniture à ses clients professionnels (gestionnaires de réseaux, hôteliers, etc.) d’un service de retransmission d’émissions télévisées en ligne (le « Service IPTV »). 

Le Service IPTV, hébergé dans le cloud ou installé sur site via la mise à disposition de matériels et de logiciels, permet à ses clients de proposer à leurs propres clients (les « Utilisateurs Finaux ») de visionner des programmes télévisés en direct ou en différé grâce à un enregistreur vidéo en ligne. Afin de limiter le nombre de copies, l’enregistreur vidéo met à disposition de l’ensemble des Utilisateurs Finaux tout programme enregistré par un premier utilisateur via un procédé de déduplication.

Une société de communication audiovisuelle (la « Société Audiovisuelle ») s’était aperçue que les programmes sur lesquels elle disposait des droits de retransmission étaient diffusés et enregistrés, sans son autorisation, sur le Service IPTV. 

La Société Audiovisuelle avait saisi les juridictions autrichiennes afin d’interdire à l’exploitant du Service IPTV de mettre à disposition de ses clients les programmes litigieux, de les reproduire ou de les faire reproduire par des tiers.

La Cour Suprême autrichienne, saisie du litige, avait posé à la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») deux questions préjudicielles afin de déterminer si : 

  1. l’exception de copie privée est applicable à un service d’enregistrement vidéo en ligne tel que celui en cause ; et 
  2. la fourniture de matériels et de logiciels par le Service IPTV à ses clients professionnels constitue une « communication au public ».

Le service d’enregistrement vidéo qui donne accès à la copie d’une œuvre à un nombre indéterminé d’utilisateurs ne bénéficie pas de l’exception de copie privée 

En droit français, l’exception de copie privée permet à toute personne de copier ou de reproduire, à des fins privées et à partir d’une source licite, une œuvre protégée par le droit d’auteur[1]

Cette exception découle du droit de l’Union Européenne qui prévoit la faculté pour les États membres d’instaurer des limitations au droit d’auteur lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées : 

  1. sur tout support ;
  2. par une personne physique ;
  3. pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales ; et
  4. sous réserve que le titulaire de droit reçoive une compensation équitable[2].

S’agissant de l’expression « reproduction effectuée sur tout support », la CJUE a déjà jugé qu’elle devait notamment s’entendre de la copie d’une œuvre stockée dans le cloud[3]

En l’espèce, la Cour devait déterminer si l’enregistrement d’un programme télévisé initié par un premier utilisateur puis mis à disposition des autres utilisateurs du service est effectué pour un usage privé et à des fins non commerciales. 

Si la technique de déduplication en cause conduisait à la réalisation d’une copie par une personne physique, cette copie n’était pas à la disposition exclusive de cette dernière, mais destinée à être accessible à un nombre indéterminé d’Utilisateurs Finaux. 

Dès lors, la CJUE a considéré que la copie réalisée par le biais de l’enregistreur vidéo n’est pas effectuée pour un usage strictement privé et le service d’enregistrement ne bénéficie donc pas de l’exception de copie privée.

Il appartenait donc au Service IPTV d’obtenir l’accord préalable des titulaires de droit sur les programmes qu’il diffuse pour mettre à disposition de l’ensemble des Utilisateurs Finaux les copies de programmes effectuées par un premier Utilisateur Final. 

La fourniture de matériel permettant à un tiers de donner accès à des contenus protégés ne constitue pas un acte de communication au public

La CJUE devait encore déterminer si la fourniture de matériels et logiciels nécessaires au fonctionnement du Service IPTV, dans sa version installée sur site, constituait un acte de communication au public. 

L’auteur dispose en effet du droit d’autoriser et d’interdire, y compris de façon préventive, toute communication au public de son œuvre[4].

Sur ce point, la CJUE a tout d’abord rappelé que la notion de « communication au public » requiert deux éléments cumulatifs : un acte de communication d’une œuvre et la communication de cette œuvre à un public. 

La Cour a ensuite précisé que la qualification de communication au public implique une appréciation individualisée, laquelle résulte de plusieurs critères complémentaires, à savoir : 

  • le rôle incontournable joué par le fournisseur ; et
  • le caractère délibéré de son intervention[5].

Il y a ainsi communication au public dans l’hypothèse où le prestataire intervient, en connaissance de cause, pour donner accès à ses clients à une œuvre protégée, notamment lorsqu’en l’absence de cette intervention ses clients ne pourraient pas jouir de l’œuvre diffusée.

La CJUE a, en outre, spécifié que la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au public[6].

Il apparaissait en l’espèce que l’exploitant du Service IPTV se limitait à assurer la fourniture du matériel et des logiciels nécessaires, ses clients étant les seuls à accorder aux Utilisateurs Finaux l’accès aux œuvres protégées. 

La CJUE a par conséquent jugé que l’exploitant du Service IPTV, qui n’a aucun lien avec les Utilisateurs Finaux, ne joue pas un rôle incontournable et ne réalise aucun acte de communication au public. 

La Cour a également précisé que la connaissance de l’usage illicite qui peut être fait du service proposé ne suffit pas à considérer que l’exploitant du service réalise un acte de communication.

Que retenir de cet arrêt :

  • Le service d’enregistrement vidéo qui met à disposition d’un nombre indéfini d’utilisateurs la copie d’une œuvre protégée, effectuée par un premier utilisateur, ne bénéficie pas de l’exception de copie privée ; 
  • L’exploitant d’un service IPTV qui fournit à son client le matériel lui permettant de donner accès en différé à des contenus protégés ne réalise pas un acte de communication au public. 

Lire l’arrêt de la CJUE du 13 juillet 2023, affaire C-426/21


[1] Article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle.

[2] Articles 2 b) et 5, paragraphe 2 b) de la directive 2001/29 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.

[3] CJUE, 24 mars 2023, Austro-Mechana, aff. C-433/20 ; Lire notre analyse de l’arrêt.

[4] Articles 3, paragraphe 1 de la directive 2001/29 précitée.

[5] CJUE, 20 avril 2023, Blue Air Aviation, aff. C‑775/21 et C‑826/21.

[6] Considérant 27, de la directive 2001/29/CE précitée.

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