L’article 10 de la Convention EDH ne fait pas obstacle à l’application à un homme politique, titulaire d’un compte sur un réseau social, d’un régime de responsabilité du fait de contenus haineux publiés par des tiers.
Un homme politique en campagne électorale avait publié sur sa page Facebook un message visant un adversaire politique. Des tiers avaient commenté cette publication de propos islamophobes dirigés contre ce même adversaire et sa compagne.
Aux termes d’une procédure pénale engagée par cette dernière, les juridictions nationales ont condamné le politicien, en sa qualité de producteur d’un site de communication au public en ligne, pour provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison d’une religion déterminée.
Le politicien (le « Requérant ») a saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) au motif que cette condamnation constituait un risque de censure, et partant un risque pour sa liberté d’expression.
La CEDH a considéré que cette condamnation ne portait pas atteinte au droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention EDH[1].
Le titulaire d’une page Facebook peut être condamné au titre de commentaires haineux publiés par des tiers
Les lois des 29 juillet 1881 et 1982[2] instaurent un régime de responsabilité pénale « en cascade » concernant les infractions de presse commises par un moyen de communication au public par voie électronique.
La responsabilité de différents acteurs peut ainsi être engagée dès lors qu’est établie (i) leur connaissance du message avant sa mise en ligne ou (ii) le fait de ne pas avoir agi promptement pour le retirer dès le moment où il en a eu connaissance. Par priorité, le responsable est :
- Le directeur de publication ou, à défaut,
- L’auteur, ou
- Le producteur, défini comme celui qui a pris la responsabilité d’offrir un forum de discussion aux internautes sur des thèmes donnés.
En application de ce dispositif, le Requérant avait été qualifié de producteur et condamné pour ne pas avoir retiré promptement les commentaires illicites publiés par des tiers sur sa page Facebook.
Le Requérant critiquait ce dispositif, arguant notamment que les conditions dans lesquelles le producteur était réputé avoir eu connaissance des propos illicites n’étaient pas précisées.
La Cour a considéré que l’absence de système de notification préalable ne soulevait aucune difficulté sur la légalité de l’ingérence étatique.
Le Requérant soutenait également qu’il ne pouvait être mis en cause en l’absence de poursuites contre le directeur de la publication ou les auteurs des commentaires litigieux. Or, les tiers auteurs avaient en l’espèce été identifiés et condamnés.
La Cour a relevé que l’engagement de la responsabilité du seul producteur pouvait être envisagé s’agissant d’infractions à la loi sur la presse pour des propos tenus par un tiers clairement identifié. Ce faisant, la Cour a considéré que les juridictions internes n’avaient pas été arbitraires ou manifestement déraisonnables.
Les juges de la CEDH ont en conséquence estimé que l’ingérence au droit à la liberté d’expression était suffisamment prévue par la loi.
La condamnation du titulaire de la page est une ingérence proportionnée à la liberté d’expression
Les ingérences à un droit ou une liberté fondamentale sont possibles dès lorsqu’elles sont prévues par la loi et qu’elles ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit ou à la liberté en cause.
En l’espèce, pour apprécier cette proportionnalité, la Cour a mis en balance plusieurs éléments tels que la nature du discours, les intérêts en présence, etc.
Elle a alors considéré que l’ingérence prévue par le droit français ne portait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression du Requérant.
Elle a rappelé que si le discours politique exige un degré élevé de protection, il ne dispose pas d’une liberté absolue notamment face aux discours de haine diffusés sur Internet.
Les juges ont notamment pris en compte le fait que les propos haineux bénéficiaient d’une résonance particulière en raison de la notoriété et représentativité du Requérant. Ils ont à ce titre relevé que le Requérant utilisait les réseaux sociaux de façon entièrement publique, à des fins politiques et électorales, ce qui alourdissait sa responsabilité.
Partant, la grande chambre de la CEDH a considéré que la condamnation pénale du politicien était proportionnée et ne portait pas atteinte à sa liberté d’expression.
Lire l’arrêt de la CEDH du 15 mai 2023, n°45581/15
[1] Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (Convention EDH).
[2] Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et loi n°82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.