La Cour d’appel de Paris rejette la demande de deux associations visant au blocage de sites pornographiques accessibles aux mineurs

La Cour a confirmé le rejet de la demande de blocage, par les FAI, de neuf sites Internet permettant aux mineurs d’accéder à des contenus pornographiques, faute pour les demandeurs d’avoir préalablement tenté d’agir contre les éditeurs et hébergeurs de ces sites. 

Deux associations de protection des mineurs, E-Enfance et La Voix de l’enfant, avaient constaté l’existence de neuf sites pornographiques facilement accessibles aux mineurs. 

En août 2021, ces associations avaient assigné en référé les principaux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) français devant le Tribunal judiciaire de Paris afin qu’il leur soit ordonné de procéder au blocage des sites litigieux. Déboutées de leurs demandes, les associations avaient relevé appel de l’ordonnance. 

Dans un arrêt du 19 mai 2022, la Cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance du Tribunal en toutes ses dispositions. Elle a considéré que les demandes de blocage formulées par les associations sur le fondement des articles 6, I, 8 de la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN)[1] et 835 alinéa 1er du Code de procédure civile étaient irrecevables. 

L’Arcom n’a pas le monopole des demandes de blocages de sites pornographiques auprès des FAI

Peu de temps après l’introduction de l’action des associations, le Président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique[2] (Arcom) avait engagé des procédures de blocage contre les éditeurs de cinq des neuf sites pornographiques en cause. 

En effet, l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020[3] permet au Président de l’Arcom de saisir le Président du Tribunal judiciaire de Paris afin qu’il ordonne aux FAI de bloquer l’accès à un contenu pornographique. Cette saisine ne peut intervenir que si l’éditeur du contenu n’a pas déféré à une injonction préalable de rendre ce contenu inaccessible aux mineurs. 

En conséquence, certains FAI demandaient, à titre liminaire, que la Cour d’appel sursoie à statuer dans l’attente de la décision du Président de l’Arcom. Ils soutenaient également que les demandes des associations étaient irrecevables, les pouvoirs conférés au Président de l’Arcom s’opposant selon eux à la saisine du juge des référés par un tiers. 

La Cour a jugé que la faculté octroyée au Président de l’Arcom ne faisait pas obstacle à la possibilité, pour toute personne justifiant d’un intérêt à agir, de saisir simultanément le juge afin d’obtenir la cessation de l’atteinte occasionnée par un service de communication en ligne. Elle a ajouté que le texte relatif aux pouvoirs spéciaux du Président de l’Arcom n’empêchait pas la saisine du juge des référés sur les fondements distincts de la LCEN ou du Code de procédure civile.

En conséquence, la Cour a rejeté la demande de sursis et la fin de non-recevoir soulevées par les FAI. 

La mise en cause des éditeurs et hébergeurs est un préalable nécessaire au blocage des sites par les FAI

Afin d’obtenir le blocage des sites litigieux, les associations se fondaient, en premier lieu, sur les dispositions de l’article 6, I, 8 de la LCEN[4], dans sa version applicable au litige, qui permettent notamment d’obtenir en référé le blocage d’un contenu illicite. 

La Cour d’appel a rappelé que le principe de subsidiarité posé par la jurisprudence impose au requérant, qui entend obtenir une telle mesure, d’agir prioritairement contre l’éditeur, l’hébergeur ou l’auteur du contenu litigieux. À défaut, le requérant devra « établir l’impossibilité d’agir efficacement et rapidement contre l’hébergeur [ou] l’éditeur [ou] l’auteur du contenu litigieux » pour mettre en cause directement les FAI.

En l’espèce, la Cour a reproché aux associations d’avoir agi directement contre les FAI. Elle leur reprochait en outre de ne pas « à tout le moins établir » en quoi il leur était impossible d’agir contre les éditeurs ou hébergeurs de ces sites.

Elle a notamment relevé que, malgré l’absence de mention d’un directeur de la publication, toutes les sociétés éditrices des sites visés étaient pourtant identifiables et disposaient d’une adresse sur le territoire de l’Union européenne. De même, la Cour a observé qu’il était aisé d’identifier l’hébergeur de la majorité des sites concernés. 

Dès lors, la Cour d’appel a confirmé l’irrecevabilité de la demande de blocage des sites par les FAI fondée sur les dispositions de la LCEN. 

Le blocage des sites doit être la seule mesure permettant la cessation du trouble manifestement illicite

Les associations entendaient également obtenir le blocage des sites litigieux sur le fondement de l’alinéa 1er de l’article 835 du Code de procédure civile[5]

La Cour d’appel a reconnu que la possibilité pour un mineur d’accéder à des contenus pornographiques via les sites litigieux matérialisait l’infraction prévue par l’article 227-24 du Code pénal[6] et constituait ainsi un trouble manifestement illicite. Toute personne disposant d’un intérêt à agir était donc fondée à saisir le juge des référés pour obtenir la cessation de ce trouble.

Toutefois, la mesure sollicitée ne saurait se justifier que si elle est proportionnée à l’atteinte constatée. Cette proportionnalité doit notamment être appréciée en fonction des intérêts en présence. 

En l’espèce, la Cour a observé que les FAI n’étaient pas personnellement responsables du trouble. 

Or, la mise en balance des intérêts ne pouvait être effectuée qu’en présence des responsables des contenus litigieux, que les associations n’avaient pas attraits dans la procédure. N’ayant pu être entendus, les éditeurs n’avaient pas pu formuler d’observations ou proposer des solutions correctrices ou alternatives, ni présenter les conditions de fonctionnement de leurs sites s’agissant des mineurs.

La Cour ne disposait donc d’aucun élément lui permettant de vérifier que le blocage des sites était la seule mesure propre à faire cesser l’atteinte. Elle n’était donc pas en mesure, tout comme le Président du Tribunal avant elle, de vérifier la proportionnalité de la mesure sollicitée dans le respect du principe du contradictoire.

Elle a en conséquence rejeté la demande de blocage fondée sur l’existence d’un trouble manifestement illicite. 

Que retenir de cet arrêt ?

Quelques enseignements peuvent être tirés de cet arrêt :

  • La mise en œuvre par le Président de l’Arcom d’une procédure de blocage de contenus pornographiques accessibles aux mineurs n’exclut pas la possibilité, pour toute personne présentant un intérêt à agir, de saisir le juge afin d’obtenir le blocage de ces sites sur un autre fondement.
  • La demande de blocage fondée sur les dispositions de la LCEN ne peut être formulée contre un FAI qu’à condition : (i) d’avoir préalablement tenté d’agir contre l’éditeur, l’hébergeur ou l’auteur du contenu litigieux et/ou (ii) de justifier de l’impossibilité d’agir contre ces derniers. 
  • Le demandeur doit permettre au juge de vérifier que la mesure de blocage est proportionnée. Cela peut être le cas si le demandeur n’a pas réussi à agir contre les responsables du contenu litigieux. 

Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 mai 2022 RG n°21/18159 (non publié)


[1] Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique 

[2] Voir notre billet portant sur les compétences de l’Arcom 

[3] Article 23 de la Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales

[4] L’article 6, I, 8 de la LCEN prévoit désormais que le Président du Tribunal judiciaire statue non plus en référé mais selon la procédure accélérée au fond

[5] Article 835 du Code de procédure civile

[6] Article 227-24 du Code pénal

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