Vous avez dit « influenceur » ?

« Quel est votre métier ? » 

« Influenceur ! » « influenceuse » ! 

En bref, « leader d’opinion sur les réseaux sociaux ». 

Ces acteurs sont de plus en plus nombreux à opérer sur YouTube, Instagram, Twitch… au moyen de vidéos et visuels, avec pour mission d’influencer les choix des consommateurs, tous domaines confondus, qu’il s’agisse de sport, de cinéma, de musique, de mode, de voyages, de restaurants… ou encore pour défendre des causes comme la lutte contre les discriminations ou la protection de l’environnement. 

Véritables stars du web, leurs cibles peuvent se compter en plusieurs milliers, voire millions de fans, à l’exemple de Cyprien (humoriste), Squeezie (gamer) ou encore Chiara Ferragni (influenceuse mode). 

L’objectif ? Il s’agit le plus souvent d’accroitre la notoriété et la visibilité des marques dans le cadre de campagnes promotionnelles. 

Comment ? En exposant publiquement leurs avis et leurs choix sur tel ou tel produit ou service. Ils peuvent ainsi le promouvoir (ou le détrôner), ou encore favoriser tel ou tel placement, faire le succès d’une opération publicitaire.

Ils sont désormais au cœur de la stratégie marketing des entreprises. 

Ils sont courtisés, adulés, monétisés avec des cachets qui peuvent donner le vertige, les montants pouvant varier en fonction de l’audience. 

Un concept étrange où l’influenceur / l’influenceuse offre une visibilité quasi permanente, cultivant « l’exposition de soi », n’hésitant pas à se dévoiler, parfois en toute impudeur ! La frontière entre sa vie privée et sa vie publique semble se dissoudre jusqu’à disparaitre. Mais après tout, il faut admettre que la vie privée est une notion fluctuante. Comme le rappelle le professeur Beignier[1], au XVIIe siècle, les Parisiens se baignaient nus dans la Seine, la Reine de France accouchait en public et dans les habitations, il régnait une promiscuité que nous jugerions intolérable…. 

Désormais, l’influenceur ou l’influenceuse est un modèle, référence, guide, mentor… auprès d’un auditoire qui le suit, le scrute pour copier sa manière d’être, de penser, d’agir. 

Alors, forcément, on en arrive ainsi très vite à la question de sa responsabilité, car on peut deviner les dégâts considérables que pourraient provoquer certains propos ou prises de position, relayés et partagés par des millions de fans. 

Les règles de la responsabilité civile ont bien sûr vocation à s’appliquer. De même, la responsabilité pénale peut être engagée en présence, par exemple, de propos incitant à la haine ou jugés attentatoires à un groupe de personne déterminé. 

L’obligation la plus essentielle pour un influenceur est certainement celle d’agir en transparence. La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique prévoit en effet que « toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. »

Aussi, lorsqu’un influenceur ou une influenceuse est rémunéré(e) pour faire la promotion de produits et qu’il ou elle ne le précise pas, cela est de la publicité déguisée. C’est ce que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a indiqué à l’influenceuse Nabilla[2] qui avait publié sur son compte Snapchat une « story » faisant la promotion de services boursiers, sans mentionner à sa communauté qu’elle était rémunérée. En tant que professionnelle rémunérée, elle avait aussi l’obligation de ne pas induire en erreur les consommateurs sur les caractéristiques du service et les résultats attendus de son utilisation. Or, elle avait communiqué à tort sur la gratuité du service proposé ou encore la récupération systématique des sommes investies. Son comportement a été jugé trompeur[3].

Faut-il aller plus loin et envisager un statut spécifique pour l’activité d’influenceur ? 

En fait, la vraie question est celle de savoir si la responsabilité de l’influenceur ou de l’influenceuse est la même lorsqu’il ou elle s’adresse à 10 suiveurs ou à plusieurs centaines de milliers de suiveurs ? Monsieur tout le monde aurait-il le même niveau de responsabilité que le streamer ZeratoR, qui organise depuis 4 ans des live caritatifs permettant de lever des fonds pour Amnesty International ? Quid lorsqu’il s’agit de plusieurs dizaines de millions de suiveurs ? 

Ne serait-il pas temps de prévoir un code de conduite sur le web ? 

Après tout, dans le monde réel, il existe un code de la route et il faut un permis pour pouvoir conduire une moto, une voiture, une camionnette, un poids lourd… un permis catégoriel en fonction du véhicule concerné, sauf pour les vélos, les trottinettes… 

L’association RespectZone qui lutte contre le cyberharcèlement propose que « 20% des comptes les plus “influents” des utilisateurs inscrits en France suivre une formation spécifique au respect numérique et à la modération respectueuse (…) » 

Une idée intéressante à explorer et à généraliser. 

En attendant, pourquoi ne pas exiger de chaque influenceur / influence, la signature d’une charte éthique dès qu’il franchit un seuil de « suiveurs » ? Une manière de le rappeler à ses responsabilités et d’encourager le respect de la cyberéthique. 


[1] B. Beignier, « La protection de la vie privée », in R. Cabrillac, M.A. Frison-Roche, T. Revet (dir.), Libertés et droits fondamentaux, 23e éd, 2017, Dalloz, p. 224.

[2] https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgccrf/presse/communique/2021/cp-nabilla-benattia-vergara.pdf?v=1627466371

[3] L’article L. 121-3 du Code de la consommation qualifie de trompeuse la pratique qui « omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte ». 

Article initialement publié sur le Journal du Master Droit des Affaires Approfondi n° 6 de l’Université Jean Moulin – Lyon III

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