Une plateforme d’art en ligne n’est pas responsable des dessins contrefaisants qu’elle héberge sans en avoir connaissance

Le Tribunal judiciaire de Marseille a jugé qu’en sa qualité d’hébergeur, une plateforme de publication d’images n’encourt aucune responsabilité civile du fait de leur publication si elles s’avèrent contrefaisantes tant qu’elles n’ont pas été portées à sa connaissance. 

La société Art Majeur édite une place de marché en ligne éponyme qui propose aux internautes, notamment aux artistes amateurs, d’offrir leurs œuvres à la vente. La plateforme propose également un service d’impression et d’expédition de ces œuvres lorsqu’elles sont acquises par un internaute.  

Un utilisateur de cette plateforme y a publié une composition, constituée de son portrait et d’autres éléments visuels, notamment deux logos créés par un artiste tiers pour les besoins d’un club de motards. 

Souhaitant se constituer une preuve de ce qu’il considérait comme un acte de contrefaçon, l’artiste a acheté la composition et l’a faite acquérir par un tiers. 

Il a également fait procéder à des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Art Majeur et au domicile de l’internaute à des fins probatoires.

A l’issue des opérations de constatation, la société Art Majeur a immédiatement supprimé les publications litigieuses de son site Internet. 

L’artiste amateur a néanmoins assigné devant le tribunal judiciaire de Marseille l’auteur de la composition ainsi que la société Art Majeur afin d’obtenir réparation des actes de contrefaçon qu’elle estimait avoir subi.

Les dessins ne sont pas protégeables au titre du droit d’auteur faute de démontrer la démarche artistique de leur auteur

En premier lieu, le demandeur invoquait la protection de ses deux œuvres au titre du droit d’auteur.

Pour bénéficier de cette protection, une création doit être originale, c’est-à-dire qu’il doit être possible d’y déceler l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

Dans le cadre d’une action en justice, celui qui revendique une protection au titre du droit d’auteur peut démontrer cette originalité en exprimant les choix et exclusions arbitraires qui l’ont conduit à la création revendiquée. 

En l’espèce, le demandeur affirmait avoir effectué des choix personnels et tentait de justifier de l’originalité de ses logos par le mélange arbitraire de trois éléments distincts.

Le Tribunal a jugé ces explications insuffisantes : le demandeur aurait dû expliquer sa démarche artistique dans le choix des images, de leur couleur, de leur composition, ou de la signification qu’il confère au montage réalisé. Les juges ont estimé que le demandeur s’était contenté d’affirmer que l’œuvre était originale sans pour autant le démontrer. 

Par conséquent, le Tribunal a rejeté les demandes au titre du droit d’auteur revendiqué, faute pour le demandeur de démontrer l’originalité de ses œuvres. 

L’internaute a commis une contrefaçon de dessins et modèles

Le demandeur avait par ailleurs protégé ses dessins par le dépôt à l’INPI de ses logos. 

Le défendeur soutenait que ses actes avaient été accomplis à titre privé et à des fins non commerciales, et qu’il bénéficiait donc d’une exception aux droits conférés par l’enregistrement des dessins[1]. Il justifiait n’avoir réalisé que deux ventes, en l’occurrence au demandeur et au tiers sollicité par ce dernier, pour démontrer qu’il n’avait pas d’intention commerciale.  

Cette défense n’a pas prospéré. Le Tribunal a jugé qu’il ne devait pas être tenu compte des résultats obtenus par le défendeur, mais de la nature de ses actes. 

Or, ce dernier a ouvert un compte sur la plateforme ayant pour objet de vendre des œuvres d’art, y a publié sa composition contrefaisante, et a offert à tout internaute la possibilité de se la procurer sous la forme d’un poster ou d’un tableau imprimé moyennant le paiement d’un prix. 

Ces actes démontrent une mise à disposition à des fins commerciales, privant le défendeur du bénéfice de l’exception d’usage à des fins privées.

Enfin, la composition litigieuse ne présentait que des différences insignifiantes avec le dessin protégé, de sorte que la contrefaçon était effectivement constituée. 

La plateforme d’art en ligne mise hors de cause en sa qualité d’hébergeur

La société Art Majeur, également mise en cause, excipait de sa qualité d’hébergeur pour échapper à l’engagement de sa responsabilité civile. 

En effet, l’hébergeur de contenu au sens de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN) bénéficie d’un régime de responsabilité atténué : il n’est pas responsable du contenu illicite qu’il héberge tant que celui-ci n’a pas été porté à sa connaissance. 

Il n’a par ailleurs aucune obligation de surveiller le contenu qu’il héberge. Par conséquent, les personnes estimant qu’un contenu est illicite doivent le signaler à l’hébergeur dudit contenu afin d’en obtenir le retrait. 

Ce signalement peut se faire sous la forme d’une notification comprenant un certain de nombre de mentions prévues à l’article 6 I 5 de la LCEN: l’hébergeur destinataire d’une telle notification est présumé avoir connaissance du contenu notifié. 

La plateforme n’est susceptible d’engager sa responsabilité civile que si elle s’abstient de retirer promptement un contenu manifestement illicite qui a été porté à sa connaissance. 

Enfin, la jurisprudence retient que la qualité d’hébergeur dépend de l’absence de contrôle éditorial exercé par la plateforme sur le contenu qu’elle héberge. 

En l’espèce, la plateforme d’art indiquait exploiter un portail de mise en relation entre des artistes et des clients potentiels, sans pouvoir contrôler les données qui y sont stockées. 

Concernant les services complémentaires, elle indiquait se contenter d’imprimer et expédier les œuvres commandées par les utilisateurs, et précisait que ces services d’ordre technique ou logistique ne lui permettaient pas d’avoir connaissance du contenu hébergé. 

Par conséquent, le Tribunal a jugé que la plateforme ne jouait pas un rôle actif, mais agissait comme intermédiaire, retenant ainsi sa qualité d’hébergeur. 

Aussi, il note que préalablement aux opérations de saisie-contrefaçon, le demandeur n’a pas porté à la connaissance de la plateforme le contenu litigieux, par message ou courrier recommandé, alors que les coordonnées de l’hébergeur figuraient dans les mentions légales du site.

Par ailleurs, la société éditrice de la plateforme a démontré avoir retiré les contenus litigieux immédiatement après les opérations de saisie-contrefaçon. 

Le demandeur n’était donc pas fondé à engager la responsabilité de la plateforme ayant promptement retiré le contenu manifestement illicite dès lors qu’elle en a eu connaissance. 

En conséquence, seul l’internaute auteur d’actes de contrefaçon a été condamné à indemniser le demandeur à hauteur de 2000 euros. 

Que retenir de ce jugement ? 

  • La revendication de droit d’auteur sur un dessin suppose de démontrer l’originalité de l’œuvre, ce qui implique d’exprimer la démarche artistique engagée par l’auteur.
  • La responsabilité civile d’une plateforme d’art qui héberge des dessins contrefaisants ne peut être engagée si l’existence du contenu litigieux n’a pas été portée à sa connaissance préalablement à la réalisation d’opérations de saisie-contrefaçon, et si elle a retiré les contenus litigieux à l’issue de ces opérations. 

Lire le jugement du Tribunal judiciaire de Marseille du 15 septembre 2022, sur Legalis.net


[1] Article L. 513-6 du Code de la propriété intellectuelle

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