Le Tribunal judiciaire de Paris a considéré qu’une cession écrite de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit doit être passée devant notaire sous peine de nullité.
Dans un jugement du 8 février 2022[1], le Tribunal judiciaire de Paris a qualifié de donation une cession écrite de droits de propriété intellectuelle consentie à titre gratuit. Or, pour être valide, une telle donation doit impérativement être formalisée par acte authentique. L’acte qui avait été conclu sous seing privé aurait dû, par conséquent, être passé devant notaire.
En l’espèce, une marque et plusieurs dessins et modèles avaient été déposés par deux personnes physiques, qui en étaient donc copropriétaires indivis. Les titres ont dans un premier temps été exploités par deux sociétés dont les cotitulaires étaient tous deux associés, et par une troisième société dont un seul d’entre eux, M. Z., était l’unique associé et gérant.
Après que M. Z. a quitté la première société, et que la deuxième a été liquidée, les droits de propriété intellectuelle ont été cédés par acte sous seing privé et à titre gratuit à la troisième société.
Le second cotitulaire des droits, M. A., a assigné M. Z et sa société aux fins de requalification de la cession en donation et en nullité de l’acte de cession.
Assimilation de la cession à titre gratuit à une donation
Aux termes de l’article 894 du Code civil, la donation entre vifs est l’acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire, qui l’accepte. L’existence d’une donation est donc conditionnée à une stipulation (« l’acte ») qui a un caractère irrévocable. Cette condition d’irrévocabilité suppose que la donation entraine un transfert définitif de la propriété de la chose donnée.
Les défendeurs soutenaient que l’acte en question n’était pas une donation faute de caractère irrévocable et « de stipulation de donation ». Sans revenir davantage sur ces arguments, le Tribunal judiciaire de Paris a considéré que l’acte en question devait être qualifié de donation dans la mesure où il emportait « le transfert de propriété de la marque et des modèles à titre gratuit ».
C’est donc bien l’absence de contrepartie à cette cession qui a motivé sa requalification en donation.
Inapplicabilité des exceptions au formalisme de l’acte authentique devant notaire
Admettre la qualification de donation implique que l’acte n’est valide que s’il respecte le formalisme requis aux termes de l’article 931 du Code civil[2]. Ainsi si l’acte de donation n’a pas été passé devant notaire, il encourt la nullité. Le Tribunal judiciaire affirme d’ailleurs que ce formalisme doit s’appliquer et être respecté pour les transferts de droits de propriété incorporelle régis par le Code de la propriété intellectuelle, puisque ce dernier « ne déroge pas à cette condition formelle des donations, et prévoit seulement, s’agissant des marques, que le transfert de leur propriété doit être constaté par écrit ».
Les défendeurs invoquaient deux exceptions jurisprudentielles à ce formalisme, que le Tribunal écarte tour à tour.
La première exception est relative aux dons manuels, qui reposent sur la remise de main à main de la chose donnée. Les défendeurs considéraient que l’acte litigieux consistait en un don manuel non soumis au formalisme de l’acte authentique, au motif qu’il ne s’agissait que d’une régularisation de la situation de fait déjà en vigueur en remettant les droits de propriété intellectuelle à la société qui les exploitait.
Le Tribunal a cependant considéré que cette exception ne pouvait bénéficier à l’acte en question, car celui-ci portait sur des droits incorporels, « comme tels insusceptibles de remise physique ».
Les défendeurs se prévalaient également de l’exception relative aux donations déguisées ou indirectes, dont les conditions de forme doivent suivre celles de l’acte dont elles empruntent l’apparence. Cette exception n’a pas non plus été accueillie par les juges, qui ont considéré que le contrat litigieux « emport[ait] explicitement transfert de propriété de la marque et des modèles ‘‘à titre gratuit’’ » et qu’il s’agissait donc « par définition d’une donation non dissimulée ».
L’acte de cession sanctionné par la nullité
Le passage devant notaire des actes de donation est obligatoire et, faute de respecter le formalisme de l’acte authentique, l’acte encourt la nullité. Tel est donc le cas lorsque l’acte a seulement été passé sous seing privé, ce qui était le cas en l’espèce.
Ainsi, le Tribunal relève que l’« acte qui devait donc être passé devant notaire alors qu’il est constant qu’il a été conclu sous seing privé, est nul » et prononce donc la nullité de l’acte de cession.
Si cette décision est isolée, sa confirmation serait susceptible de remettre en cause, ou du moins de fortement compliquer la pratique des cessions de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit, qui seraient systématiquement qualifiés de donations et devraient donc nécessairement être passée devant notaire. La prudence recommande dès lors d’assortir la cession de droits de propriété intellectuelle d’une contrepartie, qui ne doit pas être dérisoire, pour neutraliser le risque de requalification en donation.
Spécificités de la concession de droits détenus en indivision
Au-delà de la question de la qualification des cessions de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit, le jugement fournit un rappel intéressant des règles applicables à la cession ou à la concession de droits détenus en indivision.
En effet, M. A. demandait également la condamnation de M. Z. pour contrefaçon de marque et de dessins et modèles. Il lui reprochait notamment d’avoir concédé en licence la marque et les modèles à une quatrième société tierce, en se présentant comme leur titulaire exclusif.
Cependant, ces titres étaient détenus en indivision par les deux ex-associés. Or, selon le régime de l’indivision, leur concession ne pouvait être considérée comme valablement consentie que si elle l’avait été par les indivisaires détenant au moins les deux tiers des droits sur le titre.
Pour autant, M. Z. ayant concédé la licence sur la marque et le modèle sans le consentement de M. A., le Tribunal a jugé que « Cet acte, accompli en son nom propre […] caractérise une contrefaçon de la marque et des modèles […], qui engage sa responsabilité personnelle. »
Le Tribunal a en effet estimé que le fait de concéder une licence sur une marque devait s’assimiler à un usage dans la vie des affaires. En concédant une telle licence en l’absence du consentement de l’autre titulaire, M. Z., qui détenait moins de deux tiers des droits, avait donc commis un acte de contrefaçon.
Jugement non publié.
[1] Tribunal judiciaire de Paris, 8 février 2022, n° 19/14142
[2] Article 931 du Code civil : « Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité. »