Luxe, mode et metaverse : point sur les grandes questions en matière de propriété intellectuelle

Plébiscité par le secteur des jeux vidéo puis de l’art, le metaverse intéresse désormais l’industrie du luxe et de la mode. 

Le terme metaverse désigne un monde virtuel fictif dans lequel les utilisateurs interagissent en réalité augmentée. Il s’agit d’une sorte de prolongement du monde physique dans lequel les utilisateurs peuvent notamment acheter des contenus numériques représentant des avatars ou des « items » (objets virtuels, tels que les vêtements et accessoires desdits avatars). 

Les NFT (non-fongible token) sont des jetons numériques, inscris dans une blockchain, qui représentent un élément unique, rare et identifiable pouvant être numérique (ex. : une image numérisée ou une vidéo) ou physique (ex. : un tableau). 

Dans le monde réel, l’achat d’un produit de luxe est un marqueur social fort de par son caractère unique et coûteux. Il en va de même dans le metaverse, où la rareté, l’authenticité et le caractère exclusif d’un NFT répondent à un besoin identique.

D’après un rapport de Morgan Stanley publié en 2021, le secteur du luxe serait l’un des premiers bénéficiaires de cette nouvelle technologie. Les NFT de luxe pourraient ainsi représenter 10 % du marché d’ici 2030 et générer près de 55 milliards de dollars. 

Bien que le metaverse offre une opportunité économique certaine, ce monde virtuel soulève de nombreuses questions en matière de protection des droits de propriété intellectuelle.

Les entreprises de la mode et du luxe peuvent-elles protéger leurs actifs immatériels d’une éventuelle atteinte dans le monde virtuel ? 

Pour une entreprise du secteur du luxe, la défense de sa marque est essentielle, dans la mesure où elle véhicule l’image de ses produits. 

La protection de la marque est en premier lieu assurée par le dépôt de celle-ci. Néanmoins la protection accordée par ce dépôt est, en vertu du principe de spécialité, limitée aux seuls produits et services désignés. La question est donc de savoir si les biens et services existant dans le monde physique pourraient être considérés comme identiques ou similaires à leurs équivalents virtuels. Si tel était le cas, les marques enregistrées bénéficieraient déjà d’une protection au sein du metaverse

En l’état actuel du droit, il n’existe pas de réponse à cette question. Dès lors, il semble que la prudence recommande aux titulaires de marques de luxe de procéder à un nouveau dépôt afin de viser spécifiquement les classes 9, 35 et 41 qui regroupent des produits et services de nature virtuelle. C’est ce que font d’ores et déjà un certain nombre d’entreprises. Cela étant, ces marques devront être exploitées dans le metaverse afin de bénéficier d’une protection effective. 

S’agissant de la marque de renommée – définie comme une marque « connue d’une partie significative du public concerné par les produits et services couverts par elle »[1] –, telles que CHANEL ou CHÂTEAU d’YQUEM, le recours à un nouveau dépôt pourrait ne pas être nécessaire. En effet, ces marques bénéficient d’une protection étendue. Leur usage par un tiers non autorisé peut être sanctionné même pour des produits et services différents, par exemple virtuels[2]

Le metaverse soulève également des difficultés liées à la mise en œuvre de l’action en contrefaçon ou en concurrence déloyale. 

L’action en contrefaçon de marque engagée, aux Etats-Unis, par la maison de luxe Hermès dont l’emblématique modèle de sac Birkin a été reproduit et commercialisé sous forme de NFT pourrait nous donner de nouvelles pistes de réflexion. 

Outre le droit des marques, les créations de luxe peuvent également être protégées, ne serait-ce que pour partie, sur le fondement du droit d’auteur et/ou du droit des dessins et modèles qui ne sont pas soumis au principe de spécialité. Dès lors, l’atteinte à ces droits pourraient être invoquée seule ou en complément du droit des marques afin de protéger les créations de luxe dans le metaverse.

Les clauses de propriété intellectuelle contenues dans les contrats du secteur du luxe et de la mode doivent-elles être adaptées ? 

L’émergence du metaverse a fait naitre de nouvelles opportunités commerciales et marketing pour les entreprises du secteur du luxe. Cette industrie dispose désormais d’un nouveau canal de distribution pour ses produits dont les contrats du secteur devront tenir compte.

La rédaction des contrats de cession et de licence ou tout autre contrat comportant une clause de propriété intellectuelle (ex. : contrat de travail d’un styliste) sera nécessairement impactée par ce nouveau mode d’exploitation. 

Il est tout à fait possible que certains de ces contrats comportent une clause anticipant les modes d’exploitation imprévisibles à la date de leur signature[3]. Cette clause, si sa rédaction le permet, pourrait justifier une exploitation des droits dans le metaverse ou sous forme de NFT.

Pour les contrats qui n’auraient pas anticipé un mode d’exploitation de ce type et les contrats futurs il paraît plus prudent de prévoir de façon expresse le cas d’une exploitation dans le metaverse, qu’il s’agisse de l’inclure ou de l’exclure du champ contractuel. 

A titre d’illustration, la société de production Miramax a assigné le réalisateur Quentin Tarantino au motif que ce dernier ne disposerait pas des droits de propriété intellectuelle lui permettant de vendre des NFT du scénario de Pulp Fiction. Le contrat de cession intervenu entre les parties prévoyait cependant une clause de réservation de droits au profit du réalisateur. Cette clause lui permettait notamment de publier le scénario du film dans des formats électroniques. Reste à savoir si l’émission de NFT sera considérée comme une exploitation du scénario sous forme électronique. 

Le metaverse soulève donc de nouvelles questions liées à la propriété intellectuelle, dont certaines peuvent surement être appréhendées par le droit commun. Les futures décisions de justice et/ou d’éventuels textes spécifiques pourraient apporter des précisions utiles qu’il sera nécessaire de suivre pour les acteurs du secteur du luxe et de la mode. 


[1] CJUE, 14 septembre 1999, aff. C-375/97, General Motors c. Yplon.

[2] Article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle.

[3] Article L.131-6 du Code de la propriété intellectuelle. 

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