L’hébergeur ayant connaissance d’activités illicites doit prendre les mesures utiles pour les faire cesser, même en l’absence de notification LCEN

Leboncoin contestait avoir eu connaissance d’activités illicites en l’absence de notification conforme à l’article 6.I.5 de la LCEN. Or, la « notification LCEN » permet seulement de bénéficier d’une présomption, en l’absence de laquelle la connaissance par l’hébergeur de l’activité illicite peut être prouvée par tous moyens. 

La Loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (« LCEN ») instaure un régime de responsabilité favorable aux hébergeurs de contenu[1].

Contrairement aux éditeurs, responsables de plein droit du contenu qu’ils publient en ligne, les hébergeurs ne sont responsables que des contenus illicites dont ils ont connaissance, sans être tenus d’une obligation générale de surveillance du contenu publié sur leur site.

Pour pouvoir engager la responsabilité d’un hébergeur, il est donc nécessaire de porter à sa connaissance l’existence du contenu illicite.

Une fois informé, l’hébergeur doit retirer promptement le contenu s’il est « manifestement » illicite. À défaut de retrait, l’hébergeur est susceptible de voir sa responsabilité engagée du fait du contenu illicite resté en ligne.

Leboncoin a alerté une société de l’existence de contenus potentiellement frauduleux la concernant

En l’espèce, en mars 2021, la société LBC France, qui édite la plateforme Leboncoin, a pris l’initiative de contacter une société pour vérifier que le donneur d’ordre ayant sollicité l’ouverture d’un compte professionnel au nom de celle-ci était légitime.

La société avisée a indiqué qu’elle n’était pas à l’origine de la création du compte, et a pris de premières mesures en urgence, notamment le dépôt d’une plainte pénale pour faux, usage de faux, escroquerie et usurpation d’identité. 

Elle a demandé dans le même temps à la société LBC France de lui communiquer les pièces relatives à l’ouverture frauduleuse de ce compte, vraisemblablement pour alimenter sa plainte. 

La société LBC France n’a pas donné suite à cette demande. Quatre mois plus tard, des annonces frauduleuses, usurpant l’identité de la société avisée, étaient publiées sur Leboncoin. 

La société victime d’usurpation a donc adressé deux courriers de mise en demeure à LBC France, sollicitant la suppression de ces annonces frauduleuses.

En réponse, LBC France confirmait avoir supprimé les annonces litigieuses, et indiquait avoir intégré des filtres pour tenter d’empêcher d’éventuelles nouvelles tentatives d’usurpation, en précisant toutefois que ces mesures étaient contournables.  

Or, seulement quelques jours après ces échanges, sept autres annonces frauduleuses, très similaires aux premières, ont été publiées sur Leboncoin.

La société victime de ces agissements a donc assigné LBC France en référé devant le Président du Tribunal de commerce de Saint-Étienne afin qu’il ordonne à la défenderesse de prendre des mesures propres à faire cesser le trouble manifestement illicite qu’elle estimait subir. 

Condamnée en première instance, la société LBC France a interjeté appel. 

La connaissance de l’existence de contenus illicites se prouve par tous moyens

L’article 6-I-5 de la LCEN dispose que « la connaissance des faits litigieux est présumée acquise » par l’hébergeur dès lors qu’il lui est « notifié » l’identité du notifiant, la description du contenu litigieux, les motifs légaux justifiant son retrait, et les preuves de demandes de retrait adressées à l’éditeur du contenu ou, le cas échéant, les éléments justifiant de l’impossibilité de le contacter. 

En l’absence d’obligation générale de surveillance du contenu publié sur son site, Leboncoin estimait qu’à défaut de notification dans les formes prévues par ce texte, elle n’était pas tenue de réagir face à des activités illicites dont elle n’avait pas connaissance. 

La Cour a retenu en effet que l’intimée n’avait pas adressé de notification reprenant l’ensemble des pièces requises par l’article 6-I-5 de la LCEN.

Néanmoins, la Cour a précisé que si le défaut de « notification LCEN » ne permettait pas à l’intimée de bénéficier de la présomption de connaissance du contenu litigieux par l’hébergeur, elle pouvait toujours démontrer, par tous moyens, que l’hébergeur en avait bien connaissance. 

En ayant connaissance du mécanisme frauduleux, Leboncoin devait prendre des mesures utiles pour empêcher la réapparition des contenus illicites

En analysant les pièces produites, et notamment le courrier de la société LBC France du 12 juillet 2021 en réponse aux mises en demeure de l’intimée, la Cour a jugé que LBC France avait nécessairement reçu suffisamment de renseignements pour agir, puisqu’elle a supprimé les premiers contenus frauduleux qui lui ont été signalés.

Elle a considéré que cette connaissance était acquise dès le 17 mars 2021, date à laquelle la société victime a confirmé à France ne pas être à l’origine de l’ouverture d’un compte professionnel sur la plateforme. 

En conséquence, la Cour a jugé que société LBC France avait pleinement connaissance du mécanisme frauduleux à l’œuvre, et qu’il lui appartenait de non seulement de retirer le contenu illicite qui lui avait été signalé, mais également de prendre les mesures utiles pour prévenir sa réapparition. 

Faute pour la société LBC France d’avoir pris les mesures adaptées, la Cour a jugé que le trouble manifestement illicite était caractérisé, et que LBC France en était civilement responsable.  

En conséquence, la Cour d’appel de Lyon a condamné la société LBC France à interdire la diffusion d’annonces utilisant la dénomination sociale, et/ou le numéro RCS et/ou l’IBAN de la société victime d’usurpation sur la plateforme Leboncoin, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard. 

Que retenir de cet arrêt ? 

  • En l’absence de notification LCEN, le demandeur peut démontrer par tous moyens que l’hébergeur avait connaissance du contenu manifestement illicite afin d’engager sa responsabilité,
  • L’hébergeur qui a connaissance d’un mécanisme frauduleux doit prendre les mesures utiles pour empêcher la publication, par le même procédé, d’autres contenus manifestement illicites

Arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 6 juillet 2022, RG n°21/08396 (non publié)


[1] Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique

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