Les dépôts successifs de marques identiques sont susceptibles de révéler la mauvaise foi du déposant

Dans un arrêt du 7 septembre 2022, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé une décision de l’EUIPO ayant annulé une marque en raison de la mauvaise foi de son titulaire lors de son enregistrement. 

Le 5 décembre 2011, une société a déposé une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne « MONSOON » pour désigner notamment des articles de gymnastique et de sport. Après plusieurs transferts de propriété entre diverses sociétés systématiquement représentées par le même mandataire, cette marque a été enregistrée le 7 octobre 2017 au profit de la société Segimerus Ltd.

Entretemps, la société Kasten Manufacturing Corp. a présenté, en 2015 et 2018, des demandes d’enregistrement des signes verbaux « HOOFER MONSOON », « MONSOON » et « PIONEER MONSOON », pour désigner des sacs de golf et des housses pour sac de golf. 

À la suite de la contestation par la société Segimerus Ltd de l’usage de ces marques identiques, la société Kasten Manufacturing Corp. a agi en nullité de la marque antérieure MONSOON, soutenant qu’elle avait été déposée de mauvaise foi. 

La division d’annulation puis la chambre de recours de l’EUIPO ont fait droit à cette demande 

Le Tribunal de l’Union européenne (TUE), saisi à son tour, a également conclu que la marque avait été déposée de mauvaise foi. 

Les marques déposées de mauvaise foi peuvent être annulées

En matière de marques, le premier déposant dispose d’un droit exclusif sur le signe qu’il a enregistré en premier. 

Par ailleurs, lorsqu’une personne dépose une marque nationale dans l’un des États parties à la Convention de Paris[1] ou membres de l’organisation mondiale du commerce, elle bénéficie d’un droit de priorité de six mois à compter du dépôt national pour effectuer une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne. Cette marque de l’Union bénéficiera alors de la date d’antériorité de la marque nationale sous priorité de laquelle elle a été déposée. 

Toutefois, l’article 59 § 1 b) du Règlement 2017/1001[2] prévoit la possibilité de demander la nullité d’une marque de l’Union européenne devant l’EUIPO, ou dans le cadre d’une demande reconventionnelle introduite à la suite d’une action en contrefaçon, lorsque le titulaire était de mauvaise foi lors de la demande d’enregistrement de la marque.

Cette notion n’est pas définie par le droit européen. L’intention du demandeur est un « élément subjectif » qui s’apprécie en prenant en compte les « facteurs pertinents propres au cas d’espèce » susceptibles de révéler notamment si au moment du dépôt de la demande d’enregistrement, le demandeur avait la volonté d’utiliser la marque demandée.  

La bonne ou mauvaise foi du déposant s’apprécie de manière globale et implique de tenir compte notamment de l’origine du signe contesté, de son usage depuis sa création, de la logique commerciale dans laquelle s’est inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement ainsi que de la chronologie des évènements y ayant conduit. 

L’enchaînement des dépôts et leur dissimulation par des cessions successives sont susceptibles de révéler une stratégie de dépôt abusive 

En l’espèce, le Tribunal a relevé que la demande de marque allemande, sous priorité de laquelle la marque de l’Union contestée avait été déposée, était « le dernier maillon d’une chaine de demandes d’enregistrement de marques nationales, qui ont été déposées, tous les six mois depuis 2006, en alternance en Allemagne et en Autriche ». 

Le Tribunal a également relevé que ces différentes demandes avaient été considérées comme non avenues en raison du non-paiement des taxes de dépôt.

Le Tribunal en a conclu que le comportement du requérant était de mauvaise foi et s’inscrivait dans une stratégie de dépôt abusive visant à lui conférer une « position de blocage » pour monopoliser le signe contesté et à prolonger artificiellement le délai de priorité de six mois. 

Le Tribunal a également noté que la requérante avait déposé la marque de l’Union litigieuse en décembre 2011, sous priorité de la marque antérieure allemande déposée en juin 2011, afin de faire obstacle au dépôt d’une marque identique par un tiers intervenu en septembre 2011. Il a relevé que si la société Segimerus Ltd avait véritablement voulu étendre la protection du signe litigieux, elle aurait pu le faire sous priorité de n’importe lequel de ses dépôts nationaux antérieurs à partir de 2006. 

Enfin, le Tribunal a ajouté que la société Segimerus Ltd avait manqué de transparence dans ses démarches, relevant l’existence de « plusieurs transferts ou changements du nom et de l’adresse des sociétés titulaires de la marque contestée ». Il a jugé que ces transferts successifs visaient à dissimuler une stratégie de dépôt abusive en rendant « moins apparent le fait qu’une seule et même personne, à savoir le représentant de la requérante et de ses prédécesseurs en droit, orchestrait une multitude » de dépôts.

Le Tribunal a donc confirmé la décision de la chambre de recours de l’EUIPO ayant conclu à la nullité de la marque MONSOON pour dépôt de mauvaise foi. 

La mauvaise foi du demandeur à la nullité est indifférente

Au soutien de son recours, Segimerus Ltd invoquait notamment la mauvaise foi de la société Kasten Manufacturing Corp., demanderesse à la nullité, et reprochait à l’EUIPO de ne pas l’avoir prise en compte. 

À cet égard, le TUE a précisé que « la cause de nullité pour mauvaise foi est une cause de nullité absolue et ne saurait donc dépendre de la mauvaise foi de la personne » à l’origine de la demande de nullité de la marque contestée. 

Que retenir de cet arrêt ?  

  • Le droit exclusif conféré au premier déposant d’une marque de l’Union européenne peut être contesté si le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque.
  • La mauvaise foi du déposant s’apprécie de manière globale, par la prise en compte de facteurs pertinents propres au cas d’espèce existant au moment du dépôt de la demande. 
  • Un enchainement de demandes successives d’enregistrement de marques nationales est susceptible de révéler une stratégie de dépôt abusive.
  • Dans tous les cas, la mauvaise foi du demandeur à la nullité est indifférente.  

Lire l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 7 septembre 2022 dans l’affaire T‐627/21Segimerus Ltd c/ EUIPO


[1] Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883 révisée

[2] Règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne

 

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