Le contrat de location d’équipements informatiques ne doit pas soumettre le preneur à une reconduction systématique

La reconduction systématique d’un contrat de location de matériel informatique chaque fois que le locataire sollicite l’exécution d’une prestation essentielle peut constituer un engagement perpétuel prohibé par le Code civil. 

Le droit français prohibe les engagements perpétuels. L’article 1709 du Code civil[1] applique ce principe au contrat de louage de choses, en disposant que « […] l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps […] ». 

Dans un arrêt du 11 mai 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation a appliqué ce principe en matière de location de matériel informatique.   

En l’espèce, une société avait souscrit en 2004 un contrat de location d’équipements informatiques devenu en 2005 un contrat de location dit « évolutif ». Ce contrat prévoyait une « Technology Refresh Option », matérialisée notamment par une annexe dite « TRO ». Cette option permettait au preneur de demander le changement du matériel loué tous les 6 mois. Chaque fois que le client usait de cette option, l’annexe était renouvelée automatiquement pour trois ans et demi. Le preneur ne pouvait alors mettre fin à cette dernière qu’en choisissant de ne pas renouveler le matériel ou en résiliant l’annexe. 

Quelques mois après la reconduction, le bailleur a résilié l’option d’échange. L’ensemble contractuel, et notamment l’annexe TRO, continuaient quant à eux de s’appliquer jusqu’à leur terme, prévu plusieurs années plus tard. Après avoir tenté, sans succès, de négocier la rupture anticipée de l’ensemble contractuel, le preneur a assigné le bailleur pour obtenir la nullité de l’annexe TRO en raison de son caractère perpétuel. 

Les juges doivent apprécier au cas par cas si le contrat est perpétuel 

La Cour d’appel de Paris avait débouté le locataire de cette demande. Elle avait en effet estimé que l’annexe TRO ne créait pas d’engagement perpétuel dans la mesure où le preneur pouvait y mettre fin, soit en choisissant de ne pas échanger son matériel, soit en usant de sa faculté de résiliation. 

La chambre commerciale de la Cour de cassation a censuré ce raisonnement.

La Cour de cassation a précisé qu’un engagement pouvait présenter un caractère perpétuel si la reconduction du contrat n’est pas qu’une simple possibilité, mais est de facto systématique. 

Tel pouvait être le cas en l’espèce puisque, s’il souhaitait écarter le jeu de la clause de reconduction, le locataire devait renoncer au bénéfice d’une caractéristique substantielle du contrat – à savoir la possibilité d’adapter son matériel à ses besoins en échangeant périodiquement le matériel loué. Dès lors, pour pouvoir bénéficier de cette prestation essentielle du contrat, le preneur devait systématiquement le reconduire. 

Dans ces conditions, la Cour de cassation a reproché au juge d’appel de ne pas avoir vérifié si les conditions concrètes de la relation contractuelle litigieuse n’étaient pas de nature à soumettre le preneur à une obligation infinie. 

L’incertitude quant à la sanction du vice de perpétuité

La Cour d’appel de renvoi devra se prononcer sur l’existence effective d’un engagement perpétuel. 

Si la Cour d’appel de renvoi considère que le contrat est effectivement entaché du vice de perpétuité, la sanction qui en découlerait n’est pas totalement certaine. En effet, si l’article 1709 du Code civil prohibe les contrats de louage perpétuels, il n’indique pas comment cette perpétuité est sanctionnée. 

Pour les contrats antérieurs à la réforme du droit des obligations[2], comme celui en cause en l’espèce, la jurisprudence a pu hésiter entre plusieurs solutions. Elle a ainsi pu sanctionner un vice de perpétuité affectant un contrat de location d’une installation téléphonique par la nullité de l’ensemble du contrat[3]. Dans d’autres cas – ne concernant toutefois pas la location de matériels – elle a pu prononcer une requalification en contrat à durée indéterminée[4].  

Le régime applicable semble plus clair pour les contrats conclus postérieurement à la réforme. Celle-ci a prévu que, lorsqu’un engagement est perpétuel, chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions applicables aux contrats à durée indéterminée[5]. Il devra respecter un délai de préavis – ou à défaut un délai raisonnable – pour mettre fin au contrat[6], seule la durée du préavis pouvant éventuellement être contestée. 

Que retenir de cet arrêt ?

Quelques enseignements peuvent être tirés de cet arrêt : 

  • Le contrat de louage de choses automatiquement reconduit chaque fois que le preneur bénéficie de la prestation essentielle peut soumettre ce preneur à une obligation infinie. 
  • Suivant la date de conclusion du contrat, la sanction de l’engagement perpétuel pourra aller de la nullité du contrat à sa requalification en contrat à durée indéterminée.

Lire l’arrêt n° 19-22.015 de la Cour de cassation du 11 mai 2022


[1] Article 1709 du Code civil.

[2] Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

[3] Voir en ce sens l’arrêt n°95-18.278 de la Cour de cassation du 7 avril 1998 

[4] Voir en ce sens l’arrêt n°99-21.209 de la Cour de cassation du 19 mars 2002 ou encore pour les contrats à exécution successive ne prévoyant aucun terme l’arrêt n°14-28.232 de la Cour de cassation du 8 février 2017

[5] Article 1210 du Code civil

[6] Article 1211 du Code civil

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