L’auteur peut-il être une machine ?

A qui appartiennent les œuvres d’une intelligence artificielle ? Pour l’heure, la question est dans le domaine artistique. Qu’en sera-t-il quand l’IA sera intégrée totalement aux process d’innovation d’une entreprise ?

Depuis quelques années, les succès dans le domaine de l’intelligence artificielle ont mis en lumière un nouveau type d’algorithme, les algorithmes d’apprentissage ou plus communément appelés les algorithmes de machine learning.

Si par le passé, les algorithmes étaient automatisés et fonctionnaient selon des règles prédéfinies entièrement par son créateur, les progrès de la science font qu’aujourd’hui certains algorithmes peuvent évoluer avec un certain niveau d’autonomie.

Cet apprentissage machine peut être supervisé ou non.

Dans le premier cas, l’objectif de l’algorithme sera de développer une fonction de prédiction à partir d’exemples issus d’une base d’entrainement. Ainsi, dans un système de reconnaissance d’images, l’homme indiquera à l’algorithme que telle image représente un chat et telle autre un chien et l’algorithme, après avoir visualisé des millions d’exemples différents, apprendra à discerner les caractéristiques propres aux deux animaux.

Dans le second cas, l’algorithme sera plus ou moins laissé à lui-même pour analyser des données partiellement ou non-étiquetées et tenter de créer des groupes (clusters) de données ayant des points communs. Cette dernière catégorie d’algorithmes est particulièrement utile pour traiter un grand nombre de données. Pour reprendre l’exemple précédent, l’algorithme classera les images de chiens et chats en fonction des catégories qui lui paraissent le plus homogènes ; les animaux les plus petits, ceux à poil long, ceux à fourrure noire, etc.

Si ces algorithmes sont particulièrement utilisés dans le domaine de la science et des innovations technologiques, l’actualité nous a fait part récemment d’applications plus variées dans le secteur culturel. Ainsi, en octobre 2018, un collectif français a réussi, uniquement par le biais d’une intelligence artificielle, à créer un tableau intitulé Le portrait d’Edmond de Belamy. Adjugé pour 432 500 dollars chez Christie’s à New York, l’évènement a fait sensation à raison du montant de l’adjudication, mais aussi parce que l’algorithme aurait appris à imiter plus de 15000 portraits réalisés entre le XIVe et le XXe siècle.

Faut-il déduire de cet évènement qu’un algorithme ou, plus globalement, un système basé sur l’intelligence artificielle pourrait bénéficier du statut de l’auteur, bénéficiant à ce titre de droits sur sa création ?

De prime abord, le droit d’auteur à l’heure actuelle nous pousserait à répondre par la négative. D’une part, l’auteur d’une œuvre de l’esprit ne peut être qu’une personne physique. C’est ce que rappelle de manière constante la jurisprudence, notamment celle de la Cour de cassation qui dans un arrêt du 15 janvier 2015 considère qu’une personne morale ne peut recevoir la qualité d’« auteur » (Cass. civ., 15/01/2015, no 13‐ 23.566). D’autre part, l’œuvre doit porter l’empreinte de la personnalité de son auteur. S’il appartient aux juges d’apprécier ce critère, la conception particulièrement humaniste du droit d’auteur nous laisse à penser que l’intervention humaine est déterminante dans le processus créatif. En effet, on imagine difficilement un juge considérer un algorithme comme étant doté d’une personnalité propre lui permettant de faire des choix créatifs exprimant sa personnalité (Projet de rapport du parlement européen sur les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle, Revue Lamy Droit civil, No 184, 1er septembre 2020) !

Cependant, cette idée fût brièvement évoquée dans le cadre d’une résolution du Parlement européen adoptée le 16 février 2017 (Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique, recommandation 59, f) qui proposait notamment « la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables de réparer tout dommage causé à un tiers ».

Les robots et autres algorithmes intelligents sont-ils donc amenés à bénéficier d’une personnalité juridique ?

Une idée dangereuse de l’avis de 200 experts de l’intelligence artificielle qui dénoncent une « perception des robots déformée par la science-fiction et quelques communiqués de presse à sensation » dans une lettre ouverte adressée à la Commission européenne (Open letter to the european commission artificial intelligence and robotics, 14 avril 2018). Ils estiment que, si les algorithmes intelligents se développent de manière exponentielle ces dernières années, les doter d’une personnalité juridique serait bien trop hâtif par rapport à l’avancée réelle de leur autonomie et de leurs capacités d’autoapprentissage.

En ce sens, on peut rappeler qu’il y a toujours un homme ou une femme derrière la machine. En témoigne cette œuvre réalisée par une équipe de chercheurs au moyen de l’intelligence artificielle qui a été présentée à un concours littéraire au Japon en 2016. Si cette œuvre a été nominée dès le premier tour de la sélection par un jury qui ignorait les conditions de sa création, l’implication de l’intelligence artificielle à hauteur de 20% du processus rédactionnel n’a pas suffi à aller plus loin.

En ce sens également, un rapport du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique du 27 janvier 2020 (CSPLA, Mission intelligence artificielle et culture, 27 janvier 2020, 2.4) relève que « le droit positif devrait pour l’heure pouvoir être appliqué, dans une lecture renouvelée des critères d’accès à la protection ».

Si à l’avenir les évolutions technologiques venaient à engendrer une insuffisance du droit positif, certains, tels Alexandra Bensamoun et Joëlle Farchy, professeures, respectivement à l’Université de Rennes 1 et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, préconisent l’élaboration d’un droit d’auteur spécial (CSPLA, Mission intelligence artificielle et culture, 27 janvier 2020, 2.4) gardant un lien primordial avec l’humain.

Mais, dans cette voie, comment déterminer la titularité des droits en présence d’une œuvre créée totalement ou partiellement grâce à l’intelligence artificielle ?

La démarche apparaît complexe, notamment à raison de la multitude des acteurs qui interviennent : data scientist, ingénieur, utilisateur … Qui est le plus « légitime » à bénéficier des droits sur la création de l’algorithme ?

L’une des pistes envisagées par le rapport serait de s’inspirer du modèle de l’œuvre collective. En intégrant les créations générées par une IA aux articles L. 113‐2 et L. 113‐5 du CPI (Judith Bouchardeau, « L’œuvre d’art créée par intelligence artificielle : quels enjeux juridiques en droit d’auteur ? », Droit et Patrimoine, No 306, 1er octobre 2020), il suggère un régime qui « représente une vision plus économique du droit d’auteur, moins centrée sur le créateur » (CSPLA, Mission intelligence artificielle et culture, 27 janvier 2020, 2.2.1). Ainsi, le nouvel article L. 113-5 du CPI pourrait disposer que « l’œuvre collective et l’œuvre générée par une IA, sont, sauf preuve contraire, la propriété́ de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elles sont divulguées. Cette personne est investie des droits de l’auteur ». Dans ces circonstances, une personne morale, si elle ne peut pas être l’auteur d’une œuvre de l’esprit, pourrait en revanche être titulaire des droits d’auteur sur cette œuvre.

La reconnaissance de la personnalité juridique de l’IA ne semble donc pas encore d’actualité. Tout en restant attentif aux évolutions de la technique, le droit positif devrait continuer à protéger les actifs immatériels que représentent les algorithmes tout comme le fruit de leur « réflexion ».

Cependant, si l’IA est aujourd’hui un outil créatif inoffensif, d’autres applications algorithmiques peuvent compromettre un certain nombre de droits fondamentaux (surveillance globale, justice prédictive, systèmes de notation …). A cet égard, le 21 avril dernier, la Commission européenne a révélé sa proposition de loi (Commission européenne, Une Europe adaptée à l’ère du numérique : La Commission propose de nouvelles règles et actions en faveur de l’excellence et de la confiance dans l’intelligence artificielle, 21 avril 2021) ayant pour ambition de poser un nouveau cadre juridique pour l’intelligence artificielle en Europe. L’exécutif européen entend prendre en considération les risques et les avantages des systèmes d’IA, en fonction de leurs secteurs d’application, et imposer des exigences en fonction des niveaux de risques.

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