La Cour de cassation consacre la protection de la sous-base de données « Immobilier » du site Leboncoin.fr au titre du droit sui generis

Justifiant d’investissements spécifiques, la société LBC obtient la protection de sa sous-base de données contre l’extraction et la réutilisation de ses annonces immobilières. 

La société LBC France (« LBC ») exploite le site de petites annonces en ligne leboncoin.fr, qui comporte une catégorie « immobilier ». 

La société LBC avait découvert que l’un de ses concurrents, la société Entreparticuliers.com (« Entreparticuliers ») qui propose également d’héberger des annonces essentiellement immobilières, diffusait de manière systématique sur son propre site les annonces originellement publiées sur le site leboncoin.fr

Pour ce faire, Entreparticuliers avait recours aux services d’une société qui collectait et transmettait quotidiennement à ses abonnés, majoritairement des professionnels de l’immobilier, toutes les nouvelles annonces immobilières publiées sur différents supports, y compris ceux provenant du site leboncoin.fr. 

De nombreux utilisateurs de leboncoin.fr s’étaient plaints de la reprise de leurs annonces sur le site entreparticuliers.com. 

Estimant que son concurrent avait ainsi mis en place un système d’extraction totale, répétée et systématique de sa base de données, la société LBC l’avait assigné sur le fondement du droit sui generis du producteur de base de données.

Saisie en cause d’appel, la Cour d’appel de Paris avait reconnu à la société LBC la qualité de producteur de base de données sur le site leboncoin.fr, et producteur de sous-base de données sur la catégorie « immobilier » du site[1]. Elle avait également jugé que la société Entreparticuliers avait procédé à l’extraction et la réutilisation d’une partie qualitativement substantielle du contenu de la sous-base de données.

Insatisfaite, la société Entreparticuliers s’est pourvue en cassation.

Dans un arrêt du 5 octobre 2022, la Cour de cassation a confirmé la qualité de producteur de base de données et de sous-base de données de la société LBC ainsi que l’atteinte portée à cette sous-base de données par la société Entreparticuliers. 

La qualité de producteur du cessionnaire d’une base de données initiale est conditionnée à la démonstration d’un nouvel investissement substantiel

Afin de bénéficier d’une protection sur le contenu de sa base de données, le producteur doit démontrer que « la constitution, la vérification ou la présentation de celle-ci attestent d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel »[2]

En l’espèce, la société LBC n’était pas le producteur initial de la base de données puisqu’elle l’avait acquise à la suite d’un traité d’apport partiel d’actifs conclu en 2011. La Cour d’appel lui avait toutefois reconnu la qualité de producteur, la société LBC ayant démontré avoir réalisé de nouveaux investissements substantiels.

La Cour de cassation a validé le raisonnement de la Cour d’appel, qui avait considéré que la société LBC justifiait d’un triple investissement substantiel :

  • Un investissement lié à l’obtention du contenu de la base de données[3], comprenant les dépenses de communication et de stockage informatique. La Cour admet ainsi que les dépenses de publicité, ayant pour but de collecter des annonces auprès des internautes, et de stockage peuvent être prises en compte au titre de l’investissement substantiel.
  • Un investissement lié à la vérification du contenu de la base de données[4], correspondant aux coûts des opérations de vérification – effectuées par un logiciel de filtrage et en cas de fraude par une équipe chargée de la modération – dont les annonces font l’objet. 
  • Un investissement lié à la présentation du contenu de la base de données[5], constitué des dépenses relatives à la classification des annonces réalisée par l’équipe « produits ».

La société LBC justifiait ainsi de nouveaux investissements substantiels, elle pouvait donc être qualifiée de producteur de la base de données « leboncoin.fr ». 

La protection de la sous-base de données est subordonnée à la preuve d’un investissement distinct de celui engagé pour la base de données principale

Se prononçant pour la première fois sur la question de la protection d’une sous-base de données, la Cour d’appel avait jugé que la sous-base de données « immobilier » du site leboncoin.fr était protégeable au titre du droit sui generis, la société LBC ayant justifié d’investissements spécifiques. 

La Cour posait ainsi comme condition à la protection d’une sous-base de données la réalisation d’un investissement substantiel spécialement consacré à la constitution, la vérification ou la présentation de celle-ci.

La Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel qui avait considéré que la société LBC démontrait avoir réalisé un investissement substantiel distinct comprenant :

  • La publicité ciblée en matière immobilière ;
  • L’acquisition d’une société exploitant un site d’annonces immobilières et donc des données de celle-ci ;

De façon étonnante, la Cour retient également, au titre de cet investissement spécifique, 10% des dépenses engagées pour la constitution, la vérification et la présentation de la base de données principale, ce pourcentage correspondant à la sous-base « immobilier ».

La Cour de cassation consacre ainsi la possibilité de protéger de manière autonome une sous-base de données. 

L’extraction et la réutilisation substantielle peuvent s’analyser au regard de la seule sous-base de données 

Le droit sui generis du producteur de base de données lui confère le droit d’interdire l’extraction et/ou la réutilisation de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base de données[6].

Notons qu’en première instance, le Tribunal avait débouté la société LBC de sa demande tendant à faire constater l’extraction et la réutilisation d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de sa base de données générale[7]

Le Tribunal avait relevé que les annonces immobilières représentaient 10% du contenu de la base de données. Dès lors, les actes d’extraction et de réutilisation ne portaient pas sur une partie quantitativement ou qualitativement substantielle du site leboncoin.fr. 

En appel, la société LBC avait précisé sa demande afin qu’elle porte également sur la sous-base de données « immobilier ». L’objectif poursuivi était d’obtenir l’indemnisation du préjudice résultant de ces extractions substantielles, à savoir les investissements engagés pour la gestion des plaintes de ses utilisateurs. Ce qu’elle avait d’ailleurs obtenu, à hauteur de 50 000 euros.  

Sur ce point, la Cour de cassation a encore validé l’analyse des juges d’appel, considérant que la société Entreparticuliers avait procédé à l’extraction et à la réutilisation d’une partie qualitativement substantielle du contenu de la seule sous-base de données « Immobilier ». 

En effet, les annonces publiées sur le site litigieux reprenaient les éléments essentiels des annonces immobilières du site leboncoin.fr, à savoir la localisation, la surface, le prix, la description et la photographie de chaque bien.

La Cour de cassation a ainsi confirmé l’arrêt d’appel dans toutes ses dispositions. 

Que retenir de cet arrêt ? 

  • Afin de bénéficier de la protection accordée par le droit sui generis, le cessionnaire d’une base de données initiale doit démontrer avoir réalisé un nouvel investissement financier, matériel ou humain substantiel pour la constitution, la vérification ou la présentation de celle-ci ;
  • Pour être protégeable, la sous-base de données doit faire l’objet un investissement spécifique, distinct de celui consacré à la base de données principale. Le producteur doit ainsi justifier de nouveaux moyens substantiels consacrés à la constitution, la vérification ou la présentation de cette sous-base de données ;
  • Ces investissements peuvent notamment être constitués par des dépenses de communication ou de stockage informatique.

Lire l’arrêt n° 21-16.307 de la Cour de cassation du 5 octobre 2022


[1] Cour d’appel de Paris, pôle 5 ch. 1, 2 février 2021 (legalis.net). 

[2] Article L. 341-1 du Code de la propriété intellectuelle.

[3] « moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement (…), le titulaire d’une base de données devant dès lors justifier d’un investissement autonome par rapport à celui que requiert la création des données » (CJCE, 9 novembre 2004, aff. C-203/02).

[4] « moyens consacrés, en vue d’assurer la fiabilité de l’information contenue dans ladite base, au contrôle de l’exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de cette base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci » (CJCE, 9 novembre 2004, aff. C-203/02).

[5] « moyens visant à conférer à ladite base sa fonction de traitement de l’information, à savoir ceux consacrés à la disposition systématique ou méthodique des éléments contenus dans cette base ainsi qu’à l’organisation de leur accessibilité individuelle » (CJCE, 9 novembre 2004, ff. C-338/02).

[6] Article L. 342-1 du Code de la propriété intellectuelle.

[7] TGI de Paris, 1er septembre 2017 (Legalis.net).

Ne manquez pas nos prochaines publications

Votre adresse email est traitée par FÉRAL afin de vous transmettre les publications et actualités du Cabinet. Vous pouvez vous désabonner à tout moment. Pour en savoir plus sur la manière dont sont traitées vos données et sur l’exercice de vos droits, veuillez consulter notre politique de protection des données personnelles.

Rechercher
Fermer ce champ de recherche.