La Cour d’appel de Paris ordonne à Twitter de communiquer les moyens qu’elle met en œuvre pour la modération des contenus

Twitter a deux mois pour communiquer à des associations de lutte contre le racisme tout document relatif aux moyens qu’elle consacre à la lutte contre les contenus haineux diffusés sur sa plateforme.

Des associations de lutte contre le racisme reprochaient à Twitter de ne pas supprimer systématiquement et rapidement les messages racistes, antisémites ou homophobes publiés et signalés sur son réseau. Or, l’article 6. I. 7. de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) impose aux hébergeurs, en matière de répression de l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale et de la pédopornographie de : 

  • Mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant aux internautes de signaler ce type de contenu ;
  • Informer promptement les autorités compétentes de toute activité illicite,
  • Rendre publics les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre ces activités illicites.

Afin de constituer une preuve en vue d’une action au fond contre Twitter, les associations demandaient au juge des référés d’ordonner au réseau social de leur communiquer le détail des moyens mis en place dans le cadre de ses obligations liées à la modération des contenus haineux et discriminatoires.

Cette demande était fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile, qui permet à tout intéressé de demander au juge, sur requête ou en référé, la mise en œuvre de mesures d’instruction et la communication de divers documents.

À l’appui de leur demande, les associations produisaient un certain nombre d’éléments attestant du non-respect par Twitter de ses obligations. Elles s’appuyaient notamment sur plusieurs enquêtes et des constats d’huissier, réalisés en 2019 et 2020, indiquant que seulement 9 à 28 % des messages haineux publiés sur Twitter étaient supprimés dans un délai de 48 heures.

Par ordonnance du 6 juillet 2021, le Tribunal judiciaire de Paris avait fait droit à la requête des associations et avait ordonné à Twitter de produire, dans un délai de deux mois : 

  • Tout document administratif, contractuel, technique, ou commercial relatif aux moyens matériels et humains mis en œuvre dans le cadre du service Twitter pour lutter contre la diffusion des contenus haineux et discriminatoires ;
  • Le nombre, la localisation, la nationalité, la langue des personnes affectées au traitement des signalements provenant des utilisateurs de la plateforme française ;
  • Le nombre de signalements provenant des utilisateurs de la plateforme française, en matière d’apologie des crimes contre l’humanité et d’incitation à la haine raciale ;
  • Le nombre d’informations transmises aux autorités publiques compétentes en application de l’article 6. I. 7 de la LCEN.

La société Twitter n’avait cependant pas exécuté l’ordonnance, et avait saisi la Cour d’appel de Paris afin que la décision du Tribunal judiciaire soit infirmée en ce qui concerne la communication de ces documents et informations. Le réseau social reprochait au Tribunal de lui avoir fait injonction de communiquer ces éléments et invoquait l’absence de faits précis, objectifs et vérifiables pour justifier cette mesure.

Dans son arrêt du 20 janvier 2022, la Cour d’appel de Paris a confirmé ce jugement. Elle a considéré que la future action au fond des associations était bien déterminée, celles-ci ayant fait état de leur intention de poursuivre les manquements de Twitter à l’article 6.I.7 de la LCEN. Elle a également jugé que les associations disposaient d’un motif légitime à obtenir les éléments précités : en effet, elles produisaient de nombreux éléments factuels rendant crédible l’existence des manquements allégués. Enfin, la Cour a retenu que les associations démontraient que les mesures ordonnées étaient de nature à améliorer effectivement leur situation probatoire dans le cadre de l’action à venir.

Les difficultés liées à l’obtention d’éléments permettant de rapporter la preuve de la méconnaissance par les hébergeurs de leurs obligations en matière de lutte contre les contenus haineux devraient, pour une partie d’entre elles, être dépassées avec l’adoption du futur règlement européen Digital Services Act. En effet, l’article 13 de la proposition de règlement prévoit d’imposer aux hébergeurs la publication, aminima annuelle, d’un rapport sur les procédures de modération engagées. Ce rapport devra notamment préciser le nombre de cas soumis à leur mode alternatif de règlement des différends et la durée de traitement de ces cas, le nombre de suspensions prononcées, le nombre de notifications et le nombre de plaintes manifestement infondées, etc.

En attendant l’entrée en application du futur Digital Services Act, la voie du référé ou de la requête 145 reste le meilleur moyen d’action pour obtenir des informations de la part d’hébergeurs sur leurs activités en matière de modération des contenus. Le demandeur doit dès lors s’assurer de disposer « d’éléments rendant crédibles ses suppositions et démontr[ant] que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec » – sans pour autant que ces éléments ne suffisent en eux-mêmes à établir une preuve certaine des faits litigieux, puisque les mesures d’instruction demandées seraient alors dépourvues d’utilité. 

Lire l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 20 janvier 2022

 

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