Exclusivité des semelles rouges : épisode japonais de la saga Louboutin

Un fabricant de chaussures japonais commercialisait des modèles de chaussures à talons aux semelles rouges. Faute de bénéficier d’une protection de sa semelle emblématique à titre de marque au Japon, Christian Louboutin[1] l’a attaqué sur le fondement de la concurrence déloyale. 

Les chaussures Louboutin sont principalement connues pour la couleur de leurs semelles, un rouge dont la visibilité est augmentée par la hauteur des escarpins. Au-delà de la couleur prise en elle-même, c’est donc son emplacement sur les semelles qui permettrait de distinguer ce produit de luxe. 

En France, la représentation de cette semelle colorée d’une nuance précise de rouge[2] fait l’objet d’une protection par le droit des marques depuis 2011[3]. Le juge français a eu l’occasion de confirmer la validité de cette marque dans un arrêt rendu en 2018[4]. Il a considéré que la couleur apposée sur la semelle constituant la marque était distinctive et ne résultait aucunement de « la forme imposée par la nature ou la fonction du produit (chaussures à talon haut) ». 

Peu après cette décision, la Cour de Justice de l’Union Européenne a également jugé, que cette marque de Louboutin, enregistrée auprès de l’Office Benelux, était valable au regard de règles de l’UE[5].  

Au Japon, le créateur Christian Louboutin mène une longue bataille pour faire enregistrer la marque constituée de la semelle rouge

En effet, Christian Louboutin peine davantage à faire reconnaître la protection de sa semelle rouge. En 2015, a été déposée auprès du Japan Patent Office (ci-après « JPO »)[6] une demande d’enregistrement de ce signe à titre de marque[7]. La demande a fait l’objet d’un premier rejet en 2016[8]. Louboutin a demandé un réexamen mais le JPO a, de nouveau, rejeté la demande en juillet 2019[9]

Dans sa décision, le JPO a estimé qu’au Japon les chaussures Louboutin seraient connues comme celles à « semelles rouges », surtout par les consommateurs de produits de luxe. Néanmoins, il a conclu que la couleur rouge appliquée à la semelle ne permettrait pas à l’acheteur ordinaire (consommateur final et/ou commerçant) de distinguer les chaussures Louboutin d’autres chaussures, également aux semelles rouges. Ce défaut de distinctivité résultait aussi du fait que des chaussures à talons à semelles rouges étaient déjà commercialisées au Japon au moment du dépôt de la demande.

Monsieur Christian Louboutin a formé recours contre cette décision de rejet[10]. L’examen a été clôturé en avril 2022, et le designer attend une décision du JPO.

Le droit japonais ne permet pas non plus à Louboutin de faire reconnaître ses droits sur le fondement de la concurrence déloyale

EIZO Collection vendait des modèles de chaussures à semelles en caoutchouc de couleur rouge. Sur le fondement de la concurrence déloyale, c’est à la fois la société Christian Louboutin S.A.S. et son créateur qui ont assigné, en mai 2019, ce fabricant japonais devant le tribunal de district de Tokyo. 

La loi japonaise sur la lutte contre la concurrence déloyale interdit le fait de créer une confusion en utilisant une présentation de produit ou de service tierce « connue des acheteurs »[11]. Les critères d’application de ce texte semblent plus exigeants que ceux applicables en droit français. 

Dans le jugement du 11 mars 2022[12], le tribunal a rappelé qu’une caractéristique de produit ne peut être considérée comme « une présentation de produit » au sens de la loi que si elle remplit deux conditions :

  • cette caractéristique est objectivement marquante par rapport aux autres produits de même type ;
  • cette caractéristique est utilisée exclusivement par un certain opérateur pendant une période suffisamment longue ou largement connue pour désigner l’opérateur.

Le tribunal a jugé que la semelle rouge de Louboutin ne pourrait pas être qualifiée de « présentation de produit » bénéficiaire de la protection, faute de remplir les conditions précitées : 

  • la caractéristique n’est pas objectivement marquante dès lors que le rouge, couleur traditionnellement adoptée dans le secteur de la mode, était déjà utilisé sur des semelles de chaussures à talon avant l’arrivée de Louboutin sur le marché japonais. 
  • la présence de Louboutin depuis vingt ans au Japon ne serait pas suffisamment longue pour que la caractéristique soit qualifiée de « connue des acheteurs ». 

Le juge japonais a par ailleurs conclu à l’absence de risque de confusion compte tenu de la différence de prix des produits litigieux (600€ au minimum pour Louboutin et environ 120€ pour EIZO) et des matériaux des semelles (cuir laqué pour Louboutin et caoutchouc pour EIZO). 

Pour finir, le tribunal a rappelé l’objectif de concurrence loyale et de développement économique sain, lesquels seraient entravés si la protection était reconnue malgré l’absence de risque de confusion entre les produits litigieux. 

Les recours de Christian Louboutin pour la protection de ses semelles rouges ne sont pas encore épuisés. Il faut anticiper qu’il n’a pas l’intention d’en rester là et qu’il pourra engager d’autres actions, potentiellement sur le fondement du droit des marques si la demande d’enregistrement est enfin accueillie par le JPO. 

Suite au prochain épisode…


[1] Christian Louboutin S.A.S. et X (designer de cette dernière)

[2] La nuance de rouge est référencée par le code international Pantone (n° n°18.1663TP).

[3] Dépôt du 25 octobre 2011, demande n° 11 3 869 370.

[4] Cour d’appel de Paris, 15 mai 2018, RG n° 17/07124.

[5] CJUE, 12 juin 2018, aff. C-163/16, Christian Louboutin et Christian Louboutin S.A.S c/ Van Haren Schoenen BV

[6] Le Japan Patent Office est l’office d’enregistrement de la propriété industrielle au Japon. Il est compétent en droit des brevets, marques, dessins et modèles.

[7] Dépôt du 1er avril 2015, demande n° 2015-029921. 

[8] Notification de premier rejet, 28 avril 2016.

[9] Notification de deuxième rejet, 30 juillet 2019.

[10] Demande du 29 octobre 2019, recours n° 2019-014379.

[11] Article 2, I, 1°, de la loi japonaise sur la concurrence déloyale

[12] Tribunal de district de Tokyo, affaire n° H31(Wa)11108 (平成31年(ワ)第11108号) 

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