Droit d’auteur : le clip de campagne d’Eric Zemmour jugé contrefaisant

Le candidat à l’élection présidentielle avait utilisé des extraits de films pour illustrer son clip de campagne sans l’autorisation des titulaires de droits, qui dénonçaient des actes de contrefaçon. Le Tribunal judiciaire de Paris a rejeté les arguments relatifs à l’exception de courte citation et à la liberté d’expression invoqués en défense. 

Diffusion d’extraits de films dans un clip de campagne sans l’autorisation des titulaires de droit

Le 30 novembre 2021, Éric Zemmour a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle en diffusant un clip de campagne diffusé sur les réseaux sociaux et sur ses sites Internet de campagne <zemmour2022.fr> et <lesamisdericzemmour.fr>.  

Ce clip comportait des extraits de quelques secondes de plusieurs films servant d’illustration au discours politique du candidat. Or, les titulaires de droits, dont font partie les sociétés d’exploitation cinématographique Gaumont et Europacorp, n’avaient pas consenti préalablement à la reproduction de leurs œuvres. 

Les ayants droit considéraient que l’intégration des extraits au clip de campagne portait atteinte à leurs droits patrimoniaux et moraux d’auteur. 

Après avoir adressé des mises en demeure infructueuses, les titulaires de droits ont assigné Éric Zemmour, son parti politique Reconquête et le réservataire du nom de domaine <lesamisdericzemmour.fr> à jour fixe devant le Tribunal judicaire de Paris. 

Cette procédure d’urgence visait notamment à obtenir la cessation de la diffusion du clip litigieux et l’indemnisation de leur préjudice en résultant. 

Pour se défendre d’avoir commis des actes de contrefaçon et porté atteinte au droit moral des auteurs, les défendeurs opposaient l’exception de courte citation et leur droit à la liberté d’exception. 

L’exception de courte citation écartée

L’exception dite « de courte citation » permet d’utiliser de courts extraits d’une œuvre divulguée, sans avoir à obtenir l’accord préalable de son auteur, sous réserve que deux conditions cumulatives soient remplies :

  • Le nom de l’auteur et la source de l’œuvre doivent être clairement indiqués ;
  • Ces courtes citations doivent être justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées[1].

En l’espèce, le Tribunal a jugé que l’exception de courte citation ne pouvait s’appliquer, car :

  • D’une part, les preuves apportées par les défendeurs ne permettaient pas de démontrer qu’ils citaient le nom des auteurs de l’œuvre. Les procès-verbaux de constat d’huissier produits en défense faisaient seulement apparaître les titres des films et les titulaires des chaînes YouTube dont les extraits étaient issus.
  • D’autre part, les extraits litigieux en cause, bien que brefs, ne visaient pas un but exclusif d’information, comme le soutenaient les défendeurs, mais servaient de « simples illustrations en guise de fond visuel » au discours politique prononcé par le candidat. A ce titre, le Tribunal relève que, pour que l’utilisation des extraits litigieux puisse être qualifiée d’informative, l’information dispensée devrait être relative aux œuvres dont ces extraits provenaient. Or, cette information n’avait trait qu’à la candidature de Monsieur Zemmour à la présidence de la République.

Aucune des deux conditions exigées pour bénéficier de l’exception de courte citation n’était donc satisfaite.

Pas d’atteinte à la liberté d’expression

Les défendeurs soutenaient également que le fait de sanctionner l’association d’œuvres de fiction à un discours politique constituerait une atteinte disproportionnée à leur liberté d’expression.

Le Tribunal judiciaire de Paris a donc opéré une mise en balance des intérêts entre le droit à la liberté d’expression des défendeurs et le respect du droit de propriété dont découle le droit d’auteur, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et de la Cour de justice de l’Union Européenne.

A l’issue de cette analyse, le Tribunal a jugé que les extraits « n’apparaiss[ai]ent pas nécessaires au discours politique d’Éric Zemmour ». Les juges ont relevé d’une part que d’autres œuvres libres de droits auraient pu être utilisées tout aussi efficacement et d’autre part que la suppression des extraits en cause n’aurait pas eu pour conséquence de modifier le propos, puisqu’ils n’étaient ni commentés ni étudiés mais utilisés comme simples illustrations.

Dans ces conditions, les juges ont conclu que la mise en œuvre du droit d’auteur des demandeurs portait une atteinte nécessaire et proportionnée à la liberté d’expression des défendeurs. 

Une atteinte aux droits moraux des auteurs

Enfin, les titulaires de droits faisaient valoir que ces actes de contrefaçon portaient également atteinte à leurs droits moraux d’auteur, et notamment à leur droit dit de « paternité » et au droit au respect de leurs œuvres. 

Le Tribunal a considéré que, les noms des auteurs des films concernés n’étant pas cités, le clip de campagne portait atteinte à leur droit de paternité.

Enfin, le Tribunal a jugé que l’utilisation des extraits sans autorisation à des fins politiques constituait une dénaturation de leur finalité première, qui est de distraire ou d’informer. L’atteinte au respect et à l’intégrité de l’œuvre, qui consiste en une altération de sa forme ou de son esprit était donc caractérisée. 

En conséquence, le Tribunal judiciaire de Paris a condamné solidairement Éric Zemmour, le parti politique Reconquête ! et le réservataire du nom de domaine <www.lesamisdericzemour.fr> à indemniser les huit demandeurs à hauteur de 5 000 euros chacun, outre une condamnation aux dépens et à 10 000 euros de frais irrépétibles au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Le Tribunal a également ordonné aux défendeurs de cesser de diffuser le clip de campagne non expurgé des extraits litigieux sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard. 

Lire le jugement sur Nextinpact.com


[1] Article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle modifié par l’ordonnance n°2021-1518 du 24 novembre 2021

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