Dans son arrêt du 21 décembre 2021, la CJUE rappelle que les règles de compétence applicables aux demandes d’indemnisation diffèrent de celles relatives aux demandes de rectification et de suppression de contenus dénigrants.
L’affaire opposait une société tchèque et un réalisateur hongrois, opérant tous deux dans le secteur du divertissement pour adultes. Le réalisateur hongrois avait publié des propos dénigrants sur plusieurs sites et forums à l’égard de la société tchèque. Cette dernière avait saisi le Tribunal de grande instance de Lyon aux fins de voir condamner l’auteur des propos à cesser tout acte de dénigrement, à publier un communiqué judiciaire, et à lui verser la somme de deux euros symboliques au titre de la réparation de son préjudice.
La Cour de cassation avait approuvé l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon ayant écarté la compétence du Tribunal pour connaître des demandes de suppression et rectification des contenus dénigrants – cette compétence revenant aux juges tchèques ou hongrois.
S’agissant cependant les demandes indemnitaires, la Cour de cassation a adressé une question préjudicielle à la CJUE concernant l’interprétation de l’article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012 (Bruxelles I bis) relatif aux règles de compétence en matière délictuelle et quasi-délictuelle.
Elle demandait si, compte tenu de leur compétence exclusive pour connaître des demandes de rectification et de suppression de propos dénigrants, les juridictions tchèques ou hongroises étaient également seules compétentes pour connaître des demandes d’indemnisation.
En d’autres termes, elle demandait si les demandes indemnitaires et les demandes de rectification ou suppression de contenus dénigrants pouvaient être présentées séparément, devant des juridictions distinctes, ou si elles devaient toutes être présentées devant la juridiction compétente pour connaître des demandes de rectification ou suppression.
L’arrêt du 21 décembre 2021 consacre la faculté, pour le demandeur, d’exercer soit des actions séparées soit une action conjointe.
Les juridictions compétentes pour les demandes indemnitaires
En conformité avec sa jurisprudence antérieure[1], la CJUE rappelle qu’en matière délictuelle, et indemnitaire, le demandeur dispose d’une option de compétence et peut demander :
- La réparation intégrale de son préjudice, soit :
- Au lieu où se trouve le centre de ses intérêts principaux, ou
- Au lieu d’établissement du défendeur, ou
- La réparation partielle de son préjudice, devant les juridictions de chaque État membre où les contenus sont accessibles. Le demandeur ne pourra alors demander que la réparation du préjudice subi dans ce seul État.
Les juridictions compétentes pour la demande de rectification et de suppression des contenus litigieux
La Cour rappelle sa position[2] quant à la compétence judiciaire pour juger d’une demande visant à la rectification et/ou à la suppression de contenus, qui ne peut être portée que devant les juridictions compétentes pour connaitre de l’intégralité du dommage, soit :
- La juridiction du lieu où se trouve l’émetteur de ces contenus, ou
- La juridiction du lieu où se trouve le centre des intérêts du demandeur.
Cette attribution de compétence résulte, selon la Cour, du fait que la demande relative à la rectification et à la suppression de contenus sur Internet a une portée territorialement illimitée et non seulement locale. Cette demande est donc une et indivisible et ne peut, par conséquent, être portée devant une juridiction seulement compétente pour connaître d’une demande de réparation partielle.
L’articulation de ces compétences
La CJUE n’avait jamais expressément exclu la possibilité pour un demandeur d’engager des actions devant plusieurs juridictions nationales, en application des règles de compétence qui viennent d’être rappelées.
L’arrêt du 15 décembre 2021 confirme la faculté, pour le demandeur, d’engager plusieurs actions simultanées. La CJUE indique que peuvent parallèlement être engagées :
- Une action en rectification et suppression des contenus devant une juridiction compétente pour connaître de l’intégralité du préjudice, et
- Des actions en dommages et intérêts devant les juridictions de chaque État où les contenus litigieux étaient accessibles, et pour le seul préjudice subi dans le ressort de l’État saisi, bien que ces mêmes juridictions ne soient pas compétentes pour connaître de la demande de rectification et de suppression des contenus.
La solution se justifie d’une part par le fait que, à la différence d’une demande de rectification ou de suppression qui est une et indivisible, « une demande ayant trait à la réparation du dommage peut avoir pour objet soit une indemnisation intégrale, soit une indemnisation partielle ».
La CJUE ajoute, d’autre part, qu’il n’existe entre les deux types de demandes aucun « lien de dépendance nécessaire »susceptible de justifier une attribution exclusive de compétence pour les demandes indemnitaires à la juridiction également compétente pour les demandes de rectification / suppression. En effet, bien que ces demandes soient fondées sur des faits identiques, « leur objet, leur cause et leur capacité d’être divisées sont différents », de sorte qu’il n’est pas nécessaire qu’elles soient examinées conjointement par une seule juridiction.
Le demandeur conserve naturellement la faculté d’exercer une action unique devant les juridictions compétentes pour connaître des demandes de suppression des contenus, qui pourront alors statuer sur l’intégralité du préjudice subi.
Lire l’arrêt du 21 décembre 2021
[1] CJCE 25 oct. 2011, aff. C-509/09 et C-161/10 (eDate Advertising et Martinez).
[2] CJUE 17 oct. 2017, aff. C-194/16 (Bolagsupplysningen OÜ et Ingrid Ilsjan contre Svensk Handel AB).