La jurisprudence hésite sur la nature de la violation de licence, contrefaçon ou faute contractuelle, alors que les conséquences sont majeures.
La violation d’un contrat de licence d’un logiciel est-il un acte de contrefaçon ou une faute contractuelle ? Cette question se pose chaque fois qu’un titulaire des droits veut engager une procédure judiciaire pour non-respect du contrat de licence d’un logiciel.
S’il est très généralement admis que le débat doit être porté devant la juridiction civile (et non pénale), les juges retiennent tantôt le fondement de la contrefaçon (Cour d’appel de Versailles, 1er septembre 2015, n° 13/08074), tantôt le fondement de la responsabilité contractuelle (Cour d’appel de Paris, 10 mai 2016, n° 14/25055).
Le 19 mars 2021, la Cour d’appel de Paris a pris position en considérant que le non-respect d’un contrat de licence de logiciel n’est pas un acte de contrefaçon (responsabilité délictuelle) mais une faute contractuelle (responsabilité contractuelle).
L’affaire en elle-même est banale. La société Entr’ouvert, estimant que la société Orange avait utilisé le logiciel qu’elle a développé en violation des dispositions de la licence libre (GNU GPL v2), l’a assignée sur le fondement de la contrefaçon de droit d’auteur. Le tribunal de grande Instance de Paris a déclaré cette action irrecevable, considérant qu’une licence relative à un logiciel libre était un contrat qui liait les parties entre elles (TGI de Paris, 21 juin 2019). La Cour d’appel a confirmé à son tour que « lorsque le fait générateur d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle résulte d’un manquement contractuel, le titulaire du droit ayant consenti par contrat à son utilisation sous certaines réserves, alors seule une action en responsabilité contractuelle est recevable par application du principe de non-cumul des responsabilités » (Cour d’appel de Paris, 19 mars 2021, n° 19/17493).
Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle (par : Cour d’appel de Paris, 16 oct. 2018, n° 17/02679), avait pourtant pris position, fin 2019, pour le fondement de la contrefaçon (CJUE, 18 décembre 2019). En effet, la juridiction européenne a considéré que la violation d’une clause d’un contrat de licence de logiciel « relève de la notion d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle », au sens de la directive 2004/48/CE (du 29 avril 2004) ». Elle en a déduit qu’un titulaire de droits doit pouvoir « bénéficier des garanties prévues par la directive 2004/48/CE en cas de non-respect d’un contrat de licence ». Cependant, elle a également précisé qu’il revient au législateur national «de définir, notamment, la nature, contractuelle ou délictuelle, de l’action dont le titulaire de ceux-ci dispose, en cas de violation de ses droits de propriété intellectuelle ».
Cette réponse – certes, en demi-teinte – n’a donc pas été suivie par les juges d’appel. L’arrêt du 19 mars 2021 crée de ce fait une situation précaire pour les titulaires de droits d’auteur. Ces derniers se voient en effet privés de certaines garanties. Le fondement de la contrefaçon permet de recourir à des mesures conservatoires (saisie-contrefaçon, saisie-descriptive…) ou encore à des modalités de calcul du préjudice, à la compétence des tribunaux judiciaires spécialisés en propriété intellectuelle… A l’inverse, les titulaires pourront sans doute démontrer plus facilement la violation du dispositif contractuel que l’originalité du logiciel, condition préalable exigée pour pouvoir agir sur le terrain de la contrefaçon.
Du côté du licencié, c’est l’occasion de rappeler qu’il est impératif de prévoir un suivi rigoureux des conditions d’utilisation des logiciels. Confronté aux évolutions incessantes du parc logiciel, dans un environnement lui-même très évolutif, il faut une gestion de plus en plus sophistiquée des licences. D’où l’importance d’un contrôle permanent du nombre de postes ou d’utilisateurs autorisés à utiliser tel ou tel logiciel, les sites autorisés, les durées d’utilisation, des droits associés… L’objectif est d’être prêt à répondre aux opérations d’audit dont l’objectif est précisément de s’assurer du respect des contrats de licence.
On rappellera que, en cas d’écarts constatés entre l’utilisation réelle et les droits accordés au sein du contrat de licence, le licencié s’expose à des risques importants. Outre le risque d’une résiliation du contrat de licence, objet de l’audit, il peut être contraint au paiement de redevances supplémentaires, à des pénalités pour utilisation abusive, voire aux frais de l’audit. On peut ajouter la mobilisation de ressources humaines internes pour suivre l’audit et la désorganisation consécutive qu’un audit peut entraîner. Il est donc essentiel pour les entreprises d’avoir pleinement connaissance de ces clauses et dans la mesure du possible, de contribuer aux négociations contractuelles menant à leur rédaction.
In fine, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 mars 2021 vient rappeler que les actifs logiciels exigent un cadrage contractuel important avec une forte implication des équipes juridiques et informatiques. Car au final, c’est le contrat qui fait la loi entre les parties.