La CJUE précise que la compensation due à l’auteur au titre de l’exception dite de « copie privée » peut s’appliquer au stockage sur le cloud de la copie d’une œuvre protégée à des fins privées.
Alors que la France a récemment étendu le bénéfice de la compensation pour copie privée aux appareils d’occasion[1], la CJUE l’étend à son tour, dans un arrêt du 22 mars 2022, aux copies d’œuvres stockées sur le nuage.
L’exception de copie privée permet à toute personne de copier ou de reproduire, à des fins privées et à partir d’une source licite, une œuvre divulguée[2]. En contrepartie, l’auteur dont l’œuvre est librement copiée devra percevoir une rémunération au titre de cette reproduction[3]. Cette rémunération est versée par « le fabricant, l’importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires (…) de supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d’œuvres »[4].
En l’espèce, les juridictions autrichiennes étaient saisies d’une affaire opposant une société de gestion collective et un fournisseur de services de stockage en nuage. La société de gestion collective avait assigné le fournisseur des services de cloud devant le tribunal régional supérieur de Vienne, afin d’obtenir le paiement de la rémunération due, selon elle, aux auteurs qu’elle représente au titre de la rémunération pour copie privée.
Deux questions préjudicielles ont été soulevées par la juridiction autrichienne, auxquelles la Cour répond dans l’arrêt en cause :
- L’exception de copie privée, prévue par l’article 5, paragraphe 2 de la directive 2001/29, est-elle applicable aux reproductions d’œuvres stockées dans le cloud ? Si tel est le cas,
- La législation nationale doit-elle prévoir que le fournisseur de services cloud est assujetti au versement de la compensation équitable au profit des titulaires de droits ?
L’expression « reproduction effectuée sur tout support » s’entend de la copie d’une œuvre stockée sur le nuage
La Cour rappelle tout d’abord que l’exception de copie privée s’applique aux « reproductions effectuées sur tout support » par une personne physique à des fins privées [5].
La CJUE retient une interprétation large de la notion de reproduction. Elle juge en effet que « la réalisation d’une copie de sauvegarde d’une œuvre dans un espace de stockage mis à la disposition d’un utilisateur dans le cadre d’un service d’informatique en nuage constitue une reproduction de cette œuvre » au sens de la directive précitée.
S’agissant ensuite des termes « sur tout support », la Cour relève que cette expression vise l’ensemble des supports sur lesquels une œuvre peut être reproduite ou copiée.
Pour déterminer si cette notion vise également les espaces de stockage en nuage, la Cour se réfère aux objectifs de la directive 2001/29 relative à l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. La Cour relève que l’objectif de cette directive était de créer un cadre général et souple au niveau de l’Union Européenne pour favoriser le développement de la société de l’information. Elle estime que cette souplesse doit permettre d’intégrer de nouvelles technologies et « l’apparition notamment de médias numériques et de services d’informatique en nuage » dans le champ de cette directive et de son article 5.
La Cour se prononce ainsi en faveur de l’application de l’exception de copie privée au stockage sur le cloud de copies d’œuvres protégées.
L’assujettissement des fournisseurs de services de stockage en nuage à la compensation pour copie privée
Afin de répondre à la seconde question préjudicielle, qui découle logiquement de la réponse apportée à la première, la CJUE rappelle que les États membres qui ont choisi de mettre en œuvre l’exception en cause doivent s’assurer que les auteurs reçoivent, en contrepartie de la reproduction de leur œuvre, une « compensation équitable ». Les États sont alors tenus à une obligation de résultat de s’assurer de la perception effective de cette compensation équitable.
Sur ce point, la directive ne précise pas quelles sont les personnes assujetties au paiement de cette compensation ni selon quelles modalités celle-ci doit être perçue, et laisse ainsi une grande marge de manœuvre aux États quant à la détermination de ces paramètres. La Cour rappelle néanmoins que si, en principe, c’est à la personne qui effectue la copie de supporter le paiement, les difficultés pratiques liées à l’identification de ces utilisateurs finaux peuvent justifier d’assujettir au versement de cette compensation les personnes mettant les services de reproduction à la disposition des utilisateurs.
Aussi, la Cour relève que la directive ne s’oppose pas à ce qu’une règlementation nationale, en matière de copie privée, n’assujettisse pas directement les fournisseurs de services de stockage en nuage au versement de ladite redevance, dès lors que les titulaires de droits la perçoivent effectivement. A contrario, rien ne s’oppose donc à ce que les fournisseurs de cloud soient soumis au paiement de cette compensation.
Dans l’hypothèse où un État membre ferait un tel choix, il devra justifier des difficultés pratiques tendant à l’identification des utilisateurs finaux justifiant l’assujettissement des fournisseurs de cloud. La Cour relève qu’en matière de cloud, ces difficultés peuvent découler de la nature dématérialisée de tels services. Elle rappelle enfin que ces fournisseurs de cloud devront disposer d’un droit au remboursement lorsque cette redevance n’est pas due.
Si un tel assujettissement est possible, chaque État membre dispose d’une large marge de manœuvre pour décider s’il souhaite étendre le bénéfice de la rémunération pour copie privée aux services de stockage en nuage et aux supports numériques permettant d’accéder à ces services. Sur ce point, le gouvernement français, dans ses observations à la Cour, a plaidé pour une extension de la rémunération pour copie privée aux services de Cloud. Une telle application pourrait donc être à prévoir en France[6].
Lire l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne
[1] Article L. 311-4 du Code de la propriété intellectuelle modifié par loi n°2021-1485 du 15 novembre 2021.
[2] Article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle modifié par l’ordonnance n°2021-1518 du 24 novembre 2021.
[3] Article L. 311-1 du Code de la propriété intellectuelle modifié par la loi n°2011-1898 du 20 décembre 2011.
[4] Article L. 311-4 du Code de la propriété intellectuelle précité.
[5] Article 5, paragraphe 2 b) de la directive 2001/29 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.