CEDH : l’interview télévisée d’une mineure en l’absence de consentement parental contrevient à son droit au respect à la vie privée

Viole l’article 8 de la Convention EDH la diffusion de l’interview télévisée d’une mineure, portant sur un évènement tragique, sans le consentement préalable de ses parents et sans que des mesures spécifiques aient été mises en œuvre pour protéger son identité. 

Une enfant roumaine de 11 ans avait été interviewée en l’absence de ses parents et sans leur consentement, au sujet du décès de l’une de ses camarades au cours d’un voyage scolaire auquel elle n’avait pas participé. À la suite de cet entretien télévisé au cours duquel elle avait notamment mis en cause l’absence de surveillance de la victime par un enseignant, l’enfant a été la victime d’hostilité et de représailles de la part du corps enseignant et de ses camarades de classe.

La requérante, représentée par sa mère, avait en conséquence introduit une action civile en réparation de son préjudice moral à l’encontre de la société exploitante de la chaîne de télévision. Elle lui rapprochait notamment de ne pas avoir pris suffisamment de précautions pour ne pas la rendre identifiable, car si son visage avait été flouté, sa voix n’avait en revanche pas été modifiée de sorte que l’enfant était facilement reconnaissable.

La demande de la requérante a été accueillie en première instance, mais la Cour du comté de Prahova saisi du premier appel a infirmé cette première décision. Elle a notamment considéré que l’intérêt que présentait le sujet du reportage pour le public et la liberté journalistique du défendeur empêchaient que  ce dernier soit tenu responsable du préjudice causé à la requérante par le personnel de l’établissement scolaire, et ce malgré l’absence de consentement des parents.

Finalement, la Cour d’appel de Ploiesti saisie du pourvoi formé par la requérante a également confirmé la décision rendue en appel en rappelant, dans un premier temps, la nécessité de concilier les impératifs de respect du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son droit au respect de son image, de sa famille et de sa vie privée, avec la liberté d’expression. La Cour a alors jugé que « le tribunal de comté avait conclu à juste titre que l’interview portait sur une question d’intérêt public, dont la finalité était de révéler les défaillances liées à l’organisation d’un voyage scolaire ». Dès lors, le droit des journalistes d’informer le public, corollaire de la liberté d’expression, prévalait sur le droit au respect de l’image et à la vie privée de l’enfant.

C’est dans ce contexte que la requérante avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) d’une violation de l’article 8 de la Convention et que la CEDH a rendu son arrêt le 1er mars 2022. 

Les critères de mise en balance du droit au respect à la vie privée et de la liberté d’expression

Dans son arrêt, la Cour effectue un rappel des critères à prendre en compte lors de l’examen du juste équilibre à opérer entre droit au respect à la vie privée (article 8 de la Convention EDH) et liberté d’expression (article 10). 

Ainsi, outre le caractère vulnérable de la personne concernée, doivent être notamment pris en compte : 

  • La contribution du sujet traité à un débat d’intérêt public ; 
  • La conduite passée de la personne concernée ; 
  • Le contenu, la forme et les conséquences de la publication ; 
  • Les circonstances entourant la captation de l’image de la personne concernée. 

La Cour s’attache ensuite à analyser les critères pertinents au regard de l’affaire d’espèce pour déterminer si oui ou non la chaine de télévision devait être considérée responsable des préjudices subis par la requérante.

Le consentement parental comme garantie destinée à protéger l’image des mineurs

En ce qui concerne l’absence de consentement parental préalable, la Cour relève que la requérante, âgée de seulement 11 ans à l’époque des faits, n’était pas une personnalité publique. 

Par ailleurs, en tant que mineure, la Cour relève que le droit à la protection de sa vie privée et de son image appartenait à ses parents, qui en l’espèce en avaient été privés. Or, comme le souligne la CEDH, « le consentement parental préalable doit être considéré comme une garantie destinée à protéger l’image de la requérante, plutôt que comme une simple exigence formelle »[1].

Aussi, il est reproché aux juridictions roumaines : 

  • d’avoir considéré que l’obtention du consentement parental n’aurait pas empêché les enseignants et camarades de l’élève d’adopter un comportement hostile à son égard, alors que ses parents auraient pu s’opposer à la réalisation et la diffusion de cet entretien ;
  • de ne pas avoir recherché si l’image de l’enfant avait fait l’objet de mesures de protection spécifiques (floutage, distorsion de la voix, etc.) compte tenu de son âge et donc de sa particulière vulnérabilité. 

La contribution de l’opinion d’un mineur au débat d’intérêt général mise en doute

La Cour rappelle également que, compte tenu de la particulière vulnérabilité des mineurs, la divulgation de leur identité peut porter atteinte à leur dignité et à leur bien-être de manière plus grave que dans le cas de personnes adultes. Ainsi, « même lorsqu’un reportage apporte une contribution au débat public, la divulgation d’informations privées, telles que l’identité d’un mineur ayant assisté à un événement tragique, ne doit pas excéder la latitude accordée en matière de liberté éditoriale et doit être justifiée »[2].

En l’espèce, la CEDH met en doute l’intérêt pour le public de l’opinion d’une mineure, sur un évènement tragique auquel elle n’avait pas personnellement assisté. Elle note également que les juridictions roumaines n’avaient pas nié que la requérante avait bien subi un préjudice moral important à la suite de la diffusion de l’interview.

La CEDH conclut à la violation de l’article 8 de la Convention, les juridictions internes n’ayant pas suffisamment tenu compte du fait que la requérante était mineure dans la mise en balance de son droit au respect à la vie privée avec la liberté d’expression du diffuseur. 

Lire l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (en anglais)


[1] CEDH, 1er mars 2022, req. n°35582/15, I.V.T. c/ Roumanie, pt. 54.

[2] CEDH, 1er mars 2022, req. n°35582/15, I.V.T. c/ Roumanie, pt. 56.

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