Bientôt, les consommateurs européens pourront s’unir contre des entreprises

La directive sur les actions représentatives reprend un projet de longue date qui n’a cessé d’évoluer et de se préciser sur l’action de groupe au sein de l’UE. Les entreprises maltraitant les données personnelles, par exemple, pourraient bien se voir visées rapidement de manière plus aisée que sur la base du seul RGPD. A l’inverse, le projet exclut des actions groupées d’entreprises contre des quasi-monopoles tels que les GAFAM.

Le projet remonte à 1984 (Mémorandum sur l’accès des consommateurs à la justice de la Commission européenne COM(84)692), mais le premier texte de réelle envergure et ouvrant la voie à la nouvelle directive fut le texte de la Commission : la « nouvelle donne pour les consommateurs » du 11 avril 2018 ( Communication de la Commission au Parlement Européen, au Conseil et au Comité Économique et Social Européen : Une nouvelle donne pour les consommateurs, 11 avril 2018). Ce texte avait pour objectif de renforcer le pouvoir de sanction des entités chargées de la protection des consommateurs dans les États membres et de leur permettre d’initier des recours collectifs pour le compte des consommateurs. En outre, ce texte envisageait un renforcement des droits des consommateurs lors de leurs achats en ligne, la mise en place de nouveaux instruments de protection (tel que le recours collectif), de sanctions effectives, une lutte plus accrue contre les pratiques commerciales déloyales (telle que celles « relatives à la commercialisation, dans plusieurs États membres, de produits dits identiques alors que leur composition ou leurs caractéristiques sont sensiblement différentes ») et enfin, une amélioration du cadre opérationnel des entreprises (« Une nouvelle donne pour les consommateurs : la Commission renforce les droits des consommateurs et leur application dans l’UE », Communiqué de presse de la Commission européenne, 11 avril 2018).

Aujourd’hui, la Commission et le Parlement ont parachevé cet ambitieux projet en publiant la « Directive actions représentatives » (directive UE 2020/1828 du parlement européen et du conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs et abrogeant la directive 2009/22/CE), établissant ainsi un réel cadre européen aux recours collectifs offerts aux consommateurs.

En France, l’action de groupe existe déjà depuis 2014

Parallèlement, en France, l’action de groupe, introduite par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (loi Hamon, Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation), a été étendue progressivement à plusieurs domaines : santé (Loi n° 2016-41, 26 janv. 2016, art. 184), la discrimination et les relations de travail, les dommages environnementaux et les données personnelles ( Loi n° 2016-1547, 18 nov. 2016, art. 60 s.Loi n° 2018-493, 20 juin 2018, art. 25Loi n° 2018-1021, 23 nov. 2018, art. 38).

A l’issue d’une mission d’information sur le bilan et les perspectives de l’action de groupe, un rapport d’information, publié le 11 juin 2020 (Assemblée Nationale, Rapport d’information, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 11 juin 2020), a dressé un bilan « décevant » des class actions à la française (La mission d’information avait indiqué que « l’action de groupe [n’a] pas été à l’origine d’avancées significatives dans la défense des consommateurs ») et a formulé des propositions.

Les contentieux sur cette question se multipliant, un cadre commun pour les actions de groupe a été recommandé, l’accent étant mis notamment sur un élargissement des personnes pouvant avoir qualité à agir, un meilleur financement des actions de groupe, une meilleure indemnisation des victimes ainsi que la mise en place d’une procédure avec des délais de jugement réduits.

Ces principaux axes ont été repris dans la proposition de loi « pour un nouveau régime de l’action de groupe », déposée le 15 septembre 2020 (Assemblée générale, Proposition de loi pour un nouveau régime de l’action de groupe, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 septembre 2020).

La directive 2020/1828 plus protectrice du consommateur : un nouveau souffle à l’action de groupe

La directive prévoit un large champ d’application : elle recouvre les actions en cessation d’une pratique illégale (mesures provisoires, mesures conservatoires, mesures préventives, mesures définitives, mesures de publication…) et en réparation contre des professionnels en infraction, dans des domaines variés tels que le droit de la consommation, la protection des données ou encore les télécommunications (Directive (UE) 2020/1828, article 2, considérants 8 et 13).

Le texte européen réserve la qualité à agir aux seuls consommateurs, c’est-à-dire à « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité́ commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ». Elle opère une distinction claire avec les « professionnels », c’est-à-dire « toute personne physique ou morale, qu’elle soit publique ou privée, qui agit, y compris par l’intermédiaire d’une autre personne agissant au nom ou pour le compte de ladite personne, à des fins qui entrent dans le cadre de son activité́ commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ». Le dispositif semble bien exclure que des professionnels puissent exercer un recours collectif, par exemple contre les GAFAM, la qualité à agir restant réservée aux consommateurs : « Les infractions qui lèsent des personnes physiques ayant la qualité de professionnel au sens de la présente directive ne devraient pas être couvertes par celle-ci » (Directive (UE) 2020/1828, considérant 14).

Les recours doivent être intentés exclusivement par le biais d’entités qualifiées (Directive (UE) 2020/1828, article 4). Celles-ci, désignées par les États membres, sont en principe des organismes de consommateurs ou encore des organismes publics (Directive (UE) 2020/1828, considérant 24). Toutefois, il est possible de constituer des entités ad hoc, qui peuvent intenter une action représentative nationale déterminée (Directive (UE) 2020/1828, considérant 28, article 4 § 6).

Des saisines uniquement par des organisations de consommateurs

L’entité qualifiée intentant une action représentative devra au préalable fournir à la juridiction ou à l’autorité administrative des « informations suffisantes sur les consommateurs concernés par l’action représentative », afin de permettre à la juridiction ou à l’autorité saisie de déterminer si elle est compétente et le cas échéant, la loi applicable (Directive (UE) 2020/1828, considérant 34, article 7 § 2). Par ailleurs, une affaire « manifestement non fondé[e] » sera rejetée par la juridiction saisie (Directive (UE) 2020/1828, article 7, § 7).

La directive ayant pour objectif premier de renforcer la sécurité des consommateurs, on peut considérer qu’un professionnel (par exemple un DSI) qui manquerait à son devoir de sécurité pourrait se voir infliger une sanction « effective, dissuasive et proportionnée » telle qu’une amende conditionnelle, des paiements périodiques ou bien encore une astreinte. D’autres sanctions sont également prévues en cas de « manquement à l’obligation de se conformer à une décision ordonnant de fournir aux consommateurs concernés des informations relatives aux décisions définitives ou (…) au refus de se conformer à une telle obligation ». En outre, des mesures procédurales sont également envisagées en cas de « refus de se conformer à une décision ordonnant de produire des preuves » (Directive (UE) 2020/1828, considérant 69).

Le texte européen permettrait ainsi, selon son rapporteur Geoffroy Didier, d’assurer « un équilibre entre une protection renforcée pour les consommateurs et la garantie pour les entreprises de la sécurité juridique dont elles ont besoin ». En outre, bien que certains puissent déplorer le fait que cette action reste réservée aux entités habilitées, il semble primordial de rappeler que la directive a vocation à n’instaurer qu’un cadre harmonisé au sein des États membres lesquels restent libres d’interpréter plus largement cette directive. La France a donc jusqu’au 25 décembre 2022 pour s’y conformer et pour adapter et renforcer la législation française en matière d’action de groupe.

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