Dans un arrêt du 1er juin 2022, la Cour de cassation a jugé que cette plateforme exerçait un rôle actif et, dès lors, ne pouvait pas bénéficier de la responsabilité limitée des hébergeurs au sens de la LCEN.
Ticketbis exploite un site Internet de mise en relation entre des revendeurs et des acheteurs potentiels de billets donnant accès à des évènements sportifs ou culturels. Ce site permettait notamment d’acheter des billets pour des matchs de football de l’Équipe de France.
Or, le fait de vendre des titres d’accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale sans l’autorisation du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation constitue une infraction réprimée par l’article 313-6-2 du Code pénal.
Pour autant, la Fédération Française de Football (FFF), qui organise les matchs de l’Équipe de France, n’a donné aucune autorisation à Ticketbis pour mettre en œuvre cette revente de billets. De surcroît, les conditions générales de la FFF interdisent une telle opération de revente.
A deux reprises, la FFF a mis en demeure la société Ticketbis de retirer de son site les offres de vente de billets donnant accès à des matchs qu’elle organisait.
La société Ticketbis a procédé au retrait des offres litigieuses, mais a continué à proposer des offres relatives à d’autres matchs de l’Équipe de France.
En conséquence, la FFF a assigné Ticketbis en responsabilité civile en sa qualité d’éditeur du site internet, notamment aux fins d’obtenir une indemnisation du préjudice qu’elle estimait avoir subi.
Dans un arrêt du 11 septembre 2020, la Cour d’appel de Paris a rejeté la demande de la FFF, en considérant que Ticketbis n’avait pas la qualité d’éditeur de contenu au sens de la LCEN, mais d’hébergeur, et qu’elle n’était donc pas responsable du contenu accessible sur son site.
Le 1er juin 2022, la Cour de cassation a censuré cet arrêt, en jugeant que la société Ticketbis était bien éditrice de contenu au regard du rôle actif qu’elle jouait.
Le régime de responsabilité très favorable des hébergeurs au sens de la LCEN
La Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN), qui transpose la Directive 2000/31 CE du 8 juin 2002 sur le commerce électronique, prévoit un régime de responsabilité dual pour les prestataires de services gestionnaires de sites Internet :
- L’éditeur de contenu est responsable de tout contenu publié sur son site Internet,
- Le fournisseur d’un service d’hébergement n’est responsable que du contenu illicite qui lui a été signalé et qu’il n’a pas rapidement retiré de son site Internet.
Ce second régime de responsabilité, visant à favoriser la libre circulation des services de la société de l’information, est favorable aux prestataires de services en ligne, qui n’ont pas d’obligation de surveiller le contenu diffusé sur leur site par les internautes autorisés à contribuer à la création de contenu.
Ainsi, pour pouvoir engager la responsabilité d’un hébergeur, il est nécessaire de porter à sa connaissance l’existence du contenu litigieux. C’est seulement si ce contenu n’est pas rapidement retiré qu’il est possible d’engager la responsabilité de l’hébergeur. A contrario, cette démarche préalable n’est pas nécessaire à la mise en cause d’un éditeur.
Il est donc nécessaire, avant d’engager une action, de vérifier si le prestataire a la qualité d’éditeur ou d’hébergeur, qui se déduit du rôle actif ou bien neutre qu’il exerce sur son site internet.
Les prestataires de services en ligne peuvent donc être tentés de s’abriter derrière le régime de responsabilité favorable des hébergeurs, ce qui suppose néanmoins de limiter leur intervention sur le contenu et l’organisation de leur site, pour conserver un rôle neutre.
Le rôle actif suppose une connaissance ou un contrôle du contenu diffusé sur le site
La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a eu l’occasion de se prononcer sur les critères permettant de caractériser un rôle actif « de nature à confier [au prestataire de service] une connaissance ou un contrôle des données stockées »[1].
Pour la CJUE, l’optimisation de la présentation des offres à la vente ou la promotion des annonces sont des éléments permettant de caractériser l’exercice d’un rôle actif[2].
En l’espèce, la Cour d’appel de Paris avait qualifié Ticketbis d’hébergeur en retenant que seuls les utilisateurs fournissaient les renseignements concernant les billets mis en vente, en fixaient le prix et les transmettaient aux acheteurs. Elle considérait que Ticketbis, se contentant de stocker les offres, exerçait un rôle « purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des données ».
La Cour de cassation a jugé que la Cour d’appel n’avait pas tiré les conséquences de ses propres constatations en jugeant que Ticketbis exerçait un rôle neutre, alors que cette plateforme :
- Assurait la sécurisation de la transaction,
- Assistait les utilisateurs en optimisant la présentation des offres et en en faisant la promotion,
- Illustrait ses offres par des commentaires sportifs sur les matchs à venir, en indiquant notamment que « tous les matchs de qualification du Mondial 2018 sont à suivre en direct grâce à Ticketbis qui vous permet non seulement d’acheter mais de vendre vos billets de match de foot ».
Pour la Cour de cassation, ces éléments démontraient que Ticketbis avait connaissance ou contrôlait les données stockées sur son site, et dès lors, exerçait bien un rôle actif. Elle a donc censuré l’arrêt d’appel et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée, qui devra en tirer les conséquences.
Lire l’arrêt n° 20-21.744 de la Cour de cassation du 1er juin 2022
[1] CJUE, 23 mars 2010, Google France SARL, Google Inc. contre Louis Vuitton Malletier SA et Google France SARL contre Viaticum SA, Luteciel SAR, affaires jointes C-236/08 à C-238/08
[2] CJUE, 12 juillet 2011, L’Oréal e.a./eBay international e.a. C324/09