Le préjudice commercial né d’une mesure de saisie-contrefaçon ne peut être indemnisé en l’absence d’intention de nuire

Dans un arrêt du 15 novembre 2022, la Cour d’appel de Bordeaux a refusé d’indemniser le préjudice commercial subi par une société du fait d’un prétendu abus de droit lié à la mise en œuvre d’une mesure de saisie-contrefaçon.

Le litige concernait deux marques françaises « RD BOXING » enregistrées pour désigner des articles de sports de combat et d’arts martiaux. 

Les titulaires des droits sur ces marques, déposant et licencié, avaient découverts que trois sociétés commercialisaient, en magasin et sur Internet, des articles identiques à ceux couverts par les marques « RD BOXING » sous le signe « RDX » sans leur autorisation. 

Afin d’établir la nature et l’ampleur des actes de contrefaçon allégués, les titulaires de droit avaient été autorisés, par ordonnance sur requête[1], à procéder à une saisie-contrefaçon au siège social de l’une des sociétés en cause, la société HADJIME. 

Les titulaires de droit avaient ensuite assigné les trois sociétés en contrefaçon de marque, concurrence déloyale et parasitisme devant le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux.

Dans un jugement du 3 décembre 2019, le Tribunal avait débouté les titulaires de droit de l’ensemble de leurs demandes. De plus, il avait fait droit à la demande de la société HADJIME en réparation de son préjudice commercial résultant de l’exécution de la saisie-contrefaçon.

Insatisfaits, les titulaires de droit avaient fait appel des chefs du jugement les ayant condamnés à réparer le préjudice commercial de la société HADJIME.

La réparation du préjudice résultant de la mise en œuvre abusive d’une mesure conservatoire est subordonnée à la démonstration d’une intention de nuire 

En l’espèce, la société HADJIME prétendait avoir subi un préjudice commercial à hauteur de 50.000 euros résultant de sa décision de retirer certains produits « RDX » de son catalogue. 

Selon la société HADJIME, la décision de retirer les produits litigieux avait été motivée par l’exécution de la saisie-contrefaçon dans ses locaux. 

Elle reprochait ainsi aux titulaires de droit d’avoir fait procéder à une saisie-contrefaçon « inutile et disproportionnée ». 

La Cour d’appel a rappelé que l’appréciation erronée de ses droits par le demandeur ne constitue pas une faute. Ainsi, le fait d’agir en justice ne dégénère en abus de droit que si l’action a été intentée avec une légèreté blâmable et dans l’intention de nuire. 

Dès lors, il ne pouvait être reproché aux appelants d’avoir à tort considéré que la commercialisation des articles « RDX » était constitutive d’actes de contrefaçon et fait procéder à une saisie-contrefaçon en prévision d’un futur procès.  

Seule la preuve de l’intention de nuire à l’origine de la saisie-contrefaçon pouvait donc caractériser l’abus de droit d’agir et permettre l’indemnisation du préjudice en résultant. 

Sur ce point, la société HADJIME soutenait que l’intention de nuire des titulaires de droit était caractérisée par les éléments suivants :

  • L’exécution de la mesure aux horaires d’ouverture de son magasin, qui n’est autre que son siège social (lieu d’exécution de la mesure) ;
  • L’absence de mise en demeure préalable à la saisie-contrefaçon ;
  • La prétendue volonté des appelants de paralyser la société afin qu’une société concurrente récupère ses parts de marché et provoque le cas échéant sa fermeture. 

La Cour d’appel a toutefois jugé que n’était pas abusif le fait que la saisie se soit déroulée aux heures d’ouverture du magasin, d’autant que le procès-verbal de l’huissier ne relatait pas d’incident particulier. 

S’agissant de l’absence de mise en demeure préalable, la Cour a rappelé qu’une saisie-contrefaçon était une mesure s’inscrivant dans une procédure aux fins probatoires et non contradictoires. Dès lors, les appelants n’étaient pas tenus d’en informer la société saisie, et ce d’autant plus qu’un avertissement préalable aurait risqué de rendre la mesure inefficace. 

Enfin, la Cour d’appel a rejeté l’argument de la société HADJIME selon lequel les titulaires de droit sur les marques RD BOXING auraient agi au profit d’une société concurrente en l’absence d’élément probant.

La Cour d’appel de Bordeaux a ainsi infirmé les chefs du jugement ayant condamné les appelants à réparer le préjudice commercial de la société HADJIME en l’absence de caractérisation d’une intention de nuire. 

Que retenir de cet arrêt ? 

Afin d’obtenir la réparation du préjudice résultant de l’exécution abusive d’une saisie-contrefaçon, le demandeur doit rapporter la preuve d’une intention de nuire.  

Lire l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux, 15 novembre 2022, RG n°20/00280


[1] Article L. 716-4-7 du Code de la propriété intellectuelle.

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