Les entreprises investissent le métavers ! Mais il ne leur faut pas oublier les règles du droit. Pas plus que le web, le métavers n’est un espace de non-droit.
Nouveau terrain de prospection et de commercialisation de leurs produits et services, le métavers attire naturellement de nombreuses entreprises. Ces plateformes permettent aux utilisateurs de créer un ou plusieurs avatars qui peuvent interagir en reproduisant, dans cet espace virtuel, les activités du monde réel : se déplacer, échanger, participer à des jeux, partager des informations, tester des produits, acheter et vendre des actifs mobiliers ou immobiliers…
Le métavers offre donc de nombreuses opportunités, comme en témoignent d’importants investissements alloués par de grands acteurs – la grande distribution envisageant même la possibilité de tester en 3D certains produits avant de les acheter !
Si le développement des usages du métavers amène à s’interroger sur le cadre juridique applicable, il s’agit aussi d’identifier les défis juridiques qu’il soulève et les éventuelles adaptations nécessaires à leur appréhension.
Le métavers n’est pas une zone de non-droit
S’agissant tout d’abord de la régulation des contenus, le métavers est une plateforme qui doit, en cette qualité, prévoir un mécanisme de modération adéquat – permettant une surveillance continue des activités – assorti de mesures de sanctions appropriées, telles que le blocage des comptes détenus par les auteurs de contenus illicites. Par ailleurs, les règles qu’elles définissent au sein desdits espaces virtuels devront faire l’objet de contrôles par des autorités de régulation compétentes. En effet, les politiques, chartes et autres règles de droit souple applicables au sein des métavers doivent être conçues en conformité avec la loi.
Le métavers ne fait pas non plus exception à l’application des dispositions du RGPD. La plateforme, comme les entreprises utilisatrices, ne sont donc pas exonérées des obligations auxquelles elles sont tenues, en leur qualité de responsables de traitement. Elles devront donc notamment recueillir le consentement des personnes concernées, réaliser des analyses d’impact et encadrer les relations avec leurs co-responsables de traitement ou leurs sous-traitants éventuels.
Les utilisateurs – entreprises comme particuliers, consommateurs – sont, quant à eux, des sujets de droit qui pourront voir leur responsabilité civile ou pénale engagée du fait des comportements des avatars qui agissent sous leur contrôle. Plus particulièrement, le régime protecteur du consommateur trouve naturellement à s’appliquer dans le cadre de transactions commerciales qui interviennent dans le métavers. Il s’agit ainsi, pour les entreprises souhaitant investir le métavers, de veiller tout particulièrement au respect des modalités d’information de leurs clients et des règles spécifiques aux contrats conclus par voie électronique et à distance.
Les NFT (non fungible token) ne font pas non plus exception à l’applicabilité des règles de droit que nous connaissons déjà, bien que les modalités d’application soient source d’interrogations. Rappelons que qu’un NFT est un jeton non fongible : à chaque jeton est rattaché un certificat unique, inscrit dans une blockchain, qui représente un élément numérique (une image numérisée) ou physique (un tableau existant dans le monde réel). Une illustration nous en a été donnée dans une affaire portée devant le tribunal fédéral de Manhattan par Hermès (v. Hermes Int’l v. Rothschild, 22-CV-384 (JSR), 18 mai 2022) qui considérait que l’artiste Mason Rothschild avait créé un NFT s’inspirant d’un de ses modèles. De la même manière, Nike n’a pas hésité à engager une action contre l’un de ses revendeurs qui vendait des NFT reproduisant sa marque sans autorisation, plainte déposée par la société Nike Inc. le 3 février 2022 devant le Southern District Court de New York à l’encontre de la société StockX LLC.
Si le droit est bien présent dans le métavers, des mesures préventives sont certainement à envisager.
Par exemple, pour se prémunir des risques d’atteinte à leur propriété intellectuelle, les titulaires de droit d’auteur devraient préciser contractuellement que la cession des droits est applicable à une « exploitation de l’oeuvre sous une forme non prévisible ou non prévue à la date du contrat », et stipuler « une participation corrélative aux profits d’exploitation » conformément à l’article L.131-6 du code de la propriété intellectuelle.
De même, de nouveaux dépôts de marques pour des produits virtuels téléchargeables en classe 9 sont à prévoir, en précisant le contenu auquel le produit virtuel se rapporte (par exemple : « produits virtuels téléchargeables, à savoir, vêtements virtuels »). Voir en ce sens la position de l’EUIPO : « Les produits virtuels relèvent de la classe 9 parce qu’ils sont traités comme des contenus ou des images numérique […] il convient de préciser davantage le contenu auquel les produits virtuels se rapportent (par exemple, produits virtuels téléchargeables, à savoir, vêtements virtuels). ». Nike a déjà passé le cap en effectuant un dépôt pour les « programmes informatiques présentant des chaussures, des vêtements ».
Le droit parfois difficile à mettre en oeuvre dans un univers virtuel
Par ailleurs, il faut admettre que le droit peut parfois être difficile à mettre en oeuvre dans cet environnement virtuel.
Il en est ainsi de la collecte et de la conservation de la preuve dans l’environnement du métavers. Si, sur internet, le commissaire de justice est désormais en mesure d’établir un constat, comment peut-il concrètement intervenir dans le métavers pour restituer fidèlement des faits allégués par l’utilisateur ? Sur ce point, il faudra sans doute anticiper la création d’avatars de commissaires de justice, voire des autorités chargées d’enquêtes pour pouvoir établir des constats et dresser des procès-verbaux.
Par ailleurs, certaines sanctions peuvent être impossibles à mettre en oeuvre dans un métavers. On en prendra pour exemple que, en cas de contrefaçon, la victime peut demander l’interdiction de la poursuite des actes de contrefaçon sous astreinte, voire la destruction des objets contrefaisants. Or il est impossible techniquement de détruire le NFT associé à un élément contrefaisant (puisque le NFT a la caractéristique d’être infalsifiable).
Enfin, comme le métavers ouvre un large champ d’investigation attractif pour la criminalité organisée et pour dissimuler le produit d’activités illicites, ou pour créer de nouveaux vecteurs de financement du terrorisme, il faudra bien que les dispositions LCB-FT appréhendent ce nouvel espace. On peut donc anticiper que le législateur devra apporter quelques ajustements à la réglementation existante.
Pour La Tribune dans son contexte original.