Le Tribunal judiciaire de Paris a ordonné à Meta de supprimer des contenus faisant la promotion illicite du pastis Ricard, et de communiquer l’identité des éditeurs du compte Instagram litigieux.
L’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) également appelée « Addictions France » avait constaté la publication de certaines publications vantant les mérites du pastis de la marque Ricard sur un compte Instagram dénommé « Your Best Riflon ».
Addictions France avait assigné FACEBOOK FRANCE et FACEBOOK IRELAND (devenue META PLATFORMS IRELAND) devant le Président du Tribunal judiciaire de Paris, selon la procédure accélérée au fond, afin qu’il leur soit ordonné de supprimer les contenus litigieux et de lui communiquer les données d’identification des éditeurs du compte.
Lors de l’audience, Addictions France s’était désistée de ses demandes contre FACEBOOK France, qui n’édite pas le réseau social Instagram. L’association avait également étendu ses demandes à la suppression du compte Instagram litigieux et non plus des seuls contenus en cause.
Dans un jugement du 20 mai 2022, le Tribunal judiciaire de Paris a partiellement fait droit aux demandes d’Addictions France.
La publicité de boissons alcoolisées en violation de la loi Évin est illicite
L’association fondait sa demande de suppression des contenus et du compte Instagram sur l’article 6, I, 8 de la LCEN[1]. Cet article permet de demander au Président du Tribunal judiciaire, selon la procédure accélérée au fond, toute mesure propre à prévenir ou à faire cesser un dommage occasionné par un service de communication au public en ligne.
En l’espèce, le Tribunal judiciaire a rappelé que l’obtention d’une telle mesure suppose que le demandeur établisse que le contenu (i) soit hébergé par un service de communication au public en ligne, (ii) soit prohibé par la loi française, et (iii) cause un dommage au demandeur.
En l’espèce, le Tribunal a considéré que la première condition était remplie dans la mesure où les contenus litigieux étaient hébergés sur Instagram – invariablement qualifié de service de communication au public en ligne.
Le Tribunal a débouté l’association de sa demande de suppression du compte Instagram litigieux, considérant que ce dernier n’était qu’un support des contenus. Il a dès lors évalué la licéité des différentes publications une par une.
Le Tribunal a tout d’abord relevé qu’un certain nombre de contenus faisaient la propagande de boissons alcoolisées. Le terme « riflon » était, selon lui, « manifestement utilisé par les éditeurs du compte pour désigner le pastis de la marque Ricard ». Dès lors, la dénomination même du compte Instagram « your best riflon » (« ton meilleur riflon » en français) constituait une propagande directe de ladite boisson. La même qualification a été donnée aux publications sur lesquelles figuraient le logo et/ou des objets dérivés de la marque (tasse, carafe, verre, etc.).
Ces faits établis, le Tribunal a rappelé que les publicités relatives aux boissons alcoolisées[2] ne peuvent en effet porter que sur certaines informations objectives comme l’origine, la composition, le degré volumique d’alcool, le mode de consommation, les qualités organoleptiques, etc[3]. De plus, ces publicités doivent être assorties d’un message sanitaire précisant que « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé ». L’objectif de ces dispositions, issues de la loi Évin[4], est de permettre une présentation des boissons alcoolisées sans pour autant inciter à la consommation.
En l’espèce, aucune des publications litigieuses n’était assortie du message sanitaire obligatoire, seule la description générale en tête du compte Instagram portant cette mention. En outre, certaines des publications constitutives de propagande ne se limitaient pas à vanter les qualités objectives du pastis Ricard, mais étaient accompagnées d’images ou de textes hyperboliques ou humoristiques.
Le Tribunal a estimé que la majorité des publications visées dans l’assignation contrevenait aux dispositions de la loi Évin et les a donc jugées illicites.
Enfin, le Tribunal a considéré que le caractère dommageable des publications résultait de leur illicéité, le non-respect de la loi Évin ayant eu pour effet d’exposer les utilisateurs d’Instagram à une propagande incitative à la consommation d’alcool. Ce dommage s’étendait nécessairement à l’association, dont l’objet consiste à « promouvoir et contribuer à une politique globale de prévention des risques et des conséquences des usages, usages détournés et mesurages d’alcool… ».
Dans ces conditions, le Tribunal a ordonné à META PLATEFORMS de procéder à la suppression des contenus jugés illicites dans un délai de deux mois sous peine d’une astreinte de 100 euros par jour de retard.
En revanche, le Tribunal n’a pas été en mesure d’apprécier le caractère promotionnel ni la licéité de certaines des publications litigieuses en raison de la petite taille des images produites par l’ANPAA. En effet, le constat d’huissier de la demanderesse ne comportait pas de captures d’écrans isolées de chacun des posts, mais simplement une vue d’ensemble des publications sous forme de « quadrillage » caractéristique à Instagram. Le Tribunal a donc écarté les publications trop peu lisibles de son analyse et débouté l’ANPAA de sa demande de suppression des contenus concernés.
La communication des données d’identification est proportionnée aux enjeux de santé publique
Addictions France entendait également obtenir de META PLATEFORMS qu’elle lui communique les données d’identifications du ou des éditeurs du compte Instagram en cause sur le fondement de l’article 6, I, 8 de la LCEN.
Le Tribunal judiciaire a estimé que la mesure de suppression des contenus illicites ne permettait pas, à elle seule, de prévenir le dommage occasionné par la publication future de contenus de même nature.
Pour cela, il s’est fondé sur le comportement adopté par les éditeurs du compte qui avaient continué à publier des contenus vantant les mérites du pastis Ricard malgré les multiples demandes formulées par l’association. Le Tribunal ne pouvait donc pas exclure la possibilité que les éditeurs du compte litigieux continuent à promouvoir le pastis Ricard de façon illicite.
Dès lors, le Tribunal a estimé que la mesure d’identification sollicitée par Addictions France était nécessaire pour prévenir un dommage futur et « proportionnée aux enjeux de santé publique en présence ».
Le Tribunal judiciaire de Paris a donc ordonné à META PLATEFORMS de communiquer à l’association les données d’identification du ou des éditeurs du compte « your best riflon », à l’exception de l’adresse postale qui n’est pas collectée par META PLATEFORMS.
Que retenir de ce jugement ?
- En cas de non-respect de la loi Évin, la promotion de boissons alcoolisées sur les réseaux sociaux sera qualifiée de contenu illicite ;
- La suppression de ces contenus ainsi que la communication de l’identité de l’internaute les ayant publiés peut donc être demandée sur le fondement de la LCEN ;
- La lisibilité des constats d’huissiers joue un rôle majeur dans l’appréciation de l’illicéité d’un contenu par le juge : aussi, dans le cas d’Instagram, mieux vaut faire constater chaque publication qu’une simple vue d’ensemble du compte.
Jugement du Tribunal judiciaire de Paris
[1] Article 6, I, 8 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
[2] Pour un autre exemple de publicité règlementée, voir notre billet sur Winamax relatif à la publicité pour les jeux d’argent et de hasard.
[3] Article L. 3323-4 du Code de la santé publique.
[4] Loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme.